Récit fiction (1/2) : le matin de la fin de la presse ?

Dans ce récit fiction, les patrons de Google, d'Apple et de Facebook complotent pour accompagner la fin de la presse telle que nous l'avons connue. Ils fixent au 6 juin 2019 la "eMediaRevolution" : la publicité disparaît des sites média, et les journaux, voire les journalistes, sont directement rémunérés par les Gafa !
Dépendante des subventions, assujettie aux Gafa, la presse, en état de survie artificielle depuis des années, attend le coup de grâce.
Dépendante des subventions, assujettie aux Gafa, la presse, en état de survie artificielle depuis des années, attend le coup de grâce. (Crédits : Alicja / CCO Creative Commons (via Pixabay))

Palo Alto, le 31 janvier 2018

Finalement, ils avaient décidé de se retrouver au Palo Alto Cafe pour un petit déjeuner. John Doerr, le chairman de Perkins, le légendaire fonds de capital-risque, avait bien proposé de faire ça chez lui, mais la petite bande en décida autrement : pour le bien du plan, il fallait être en petit comité. Eric Schmidt, l'ex-président d'Alphabet [il vient de céder son poste après près de vingt ans de service auprès des deux fondateurs de Google, note de l'auteur], à l'origine du rendez-vous, était arrivé le premier, suivi de Mark Zuckerberg, le Pdg de Facebook. Les compères attendaient Tim Cook, le Pdg d'Apple, qui, comme à l'accoutumée, arriva en retard.

C'est Eric Schmidt qui prit la parole en premier, avec son sourire intelligent :

« Guys, cette opération s'est magnifiquement déroulée, magnifiquement ! Après que la presse, la TV et la radio nous ont donné leurs contenus pour les publier sur tous nos réseaux, ils nous achètent maintenant de la pub pour promouvoir leurs propres articles, gratuits ! Les médias cabotinent, la renommée, le nombre de vues sont plus importants pour eux que leurs revenus », dit-il en souriant.

Mark acquiesça. « C'est vrai que c'est un succès mondial, au-delà de nos espérances. Ce que nous avions défini comme "Les trois coups" s'est réalisé. »

Avant de détailler :

« 1/ Pas une émission de TV ne commence ou ne se termine sans un "Retrouvez-nous sur Facebook, sur Twitter", pas un article de presse ne se passe de liens vers Facebook: voilà une promotion énorme qui nous est faite.

2/ Double coup : nous avons récupéré ces contenus, cette valeur, ce trafic, sans dépenser un dollar, sans même avoir dû promouvoir leurs marques en échange.

3/ Triple bénéfice : c'est nous qui monétisons ce trafic. Nous avons capté, Facebook et Google réunis, 60% du marché publicitaire en ligne aux EU et 95% de la croissance, en 2016. »

Eric Schmidt reprit : « Poum, poum, poum, c'est le lever de rideau. On n'a jamais vu dans l'économie moderne un duopole qui fonctionnait aussi bien. Bien joué Guys ! Moi, je dois dire que cette passivité des médias m'a vraiment étonné. Par exemple, les chaînes de radio et de TV laissent leurs animateurs se servir de leurs antennes pour leur promo personnelle. Voilà des animateurs renvoyant en permanence sur leur propre page et non sur celle de leur chaîne, et ce afin de se valoriser sur le marché et de pouvoir quitter la chaîne avec plus de valeur. »

Et l'ex-dirigeant d'Apple d'ajouter : « Moi, je n'avais pas anticipé la rapidité de ce bouleversement. Vous avez vu les dernières études ? Sur les réseaux sociaux, les lecteurs ne savent même plus quelle est la source de l'article, ils lisent indifféremment un article du Washington Post, du Frankfurter [Allgemeine Zeitung, ndlr], du Monde, de La Tribune ou d'un influenceur inconnu. Tout le monde est au même niveau. »

"Pour les médias, le nombre de vues est plus important que leurs revenus"

Eric, avalant son omelette au saumon mais toujours impatient, remit le sujet sur la table : « Bon, alors sommes-nous d'accord pour finir le job et aller au bout de cette belle affaire ? » Les deux autres CEOs opinèrent.

« Toi, Mark, tu annonceras qu'au 6 juin 2019 tu couperas toute visibilité Facebook aux sites qui font apparaître de la pub, que ce soit sur leurs sites Internet ou sur des applis mobiles. Et là, je pense en particulier à ces nouveaux médias qui se valorisent à des montants indécents pour publier quatre à cinq vidéos par jour grâce à nos réseaux. Tim, toi tu couperas toutes les applications sur Apple qui font apparaître de la publicité directe, et de notre côté, à Google, nous stopperons le référencement sur le moteur de recherche des sites qui contiennent de la publicité, puis s'ils ne jouent pas le jeu nous déréférencerons les apps réfractaires du Google Play », planifia Eric Schmidt.

« Le 6 juin 2019, date de la eMediaRevolution, les médias seront payés directement par nous, nous achèterons leurs contenus, ils seront ravis. Aux utilisateurs, nous expliquerons que nous ne pouvons plus accepter cette pollution de formats publicitaires intrusifs. On leur a déjà fait l'histoire, cela sera sans problème. » Mark souriait.

Tim acquiesça. « En tant que Pdg d'Apple, je tiendrai le discours suivant : "Nous avons besoin de vos contenus, nous les aimons, mais plutôt que de polluer les utilisateurs avec des formats publicitaires pénibles et intrusifs, nous allons vous rémunérer, au juste prix, de façon à ce que vous ayez des recettes pérennes pour développer vos contenus. Vous pourrez à loisir faire ce que vous faites de mieux, investiguer, analyser, rédiger, et nous nous chargerons de leur publication et de leur monétisation, ce que nous savons beaucoup mieux faire." » Eric leva la main pour commander un extra d'omelette au saumon.

« Pour le grand public ce sera une bonne nouvelle, de même que pour la presse, poursuivait Tim. Le free speech, un monde sans pub - enfin, sans la leur. On le sait bien : dès qu'Apple prend la parole, nous arrivons à justifier n'importe quoi, au titre de l'expérience utilisateur. »

La serveuse passait de table en table, mais ne pouvait quitter du regard celle-ci, elle observait sournoisement ces trois hommes, les plus connus de la ville, non ! du monde, qui souriaient comme des enfants avant une bonne blague. Une bonne blague ?

Eric Schmidt marqua une pause. Ce qui allait se décider n'était ni plus ni moins que la mort de la presse telle que nous la connaissons. La suite logique d'une stratégie mondiale bien organisée. Et, en matière d'organisation, Google excelle : première entreprise aux États-Unis avec, au premier semestre 2017, près de 10 millions de dollars distribués à des cabinets d'influence et de relations publiques, elle était troisième en 2016.

(*) Ce pseudonyme est celui d'une personnalité du monde des télécoms, qui, souhaitant rester anonyme, reprend le nom de l'une des figures de la presse parmi les plus respectées, puisqu'elle est quand même morte pour ses idées...

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Retrouvez la suite de notre récit fiction "Le matin de la fin de la presse ?", vendredi 4 mai.

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Commentaires 4
à écrit le 07/05/2018 à 17:05
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même pas «  en fiction » ! jamais sans «  mes journaux » en papier et si je dois l’imaginer ...juste à une «  condition »... j’aimerai une auto- volante a l’énergie quantique en forme de globe transparent pour vérifier l’information en instantané ou ...

à écrit le 03/05/2018 à 10:50
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La fin de la presse papier c'est probable (avec le coup de main de la CGT) , version électronique ... je ne crois pas ! Autrefois j'achetais des revues de cuisine entre autres.... maintenant c'est une page sur d...

à écrit le 03/05/2018 à 8:41
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Lamentable. La fin des médias, la fin de l'information est advenu avec la généralisation du modèle marchand faisant que les journalistes ne mordent pas la main qui les nourrit et comme il y plein d'actionnaires de plein de sociétés médiatiques au...

à écrit le 03/05/2018 à 8:24
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La presse a déjà disparue, point nécessaire d'en faire des scénarios! Nous n'avons droit qu'a des perroquets, des rumeurs et inventions de toute sorte!

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