Pour SFR, fibrer la France n’a rien d’un coup d’esbroufe

Par Pierre Manière  |   |  866  mots
Michel Combes, le PDG de SFR et DG d'Altice.
Les dirigeants de l’opérateur au carré rouge l’assurent : le souhait de SFR d’apporter l’Internet fixe à très haut débit tout seul et dans tout l’Hexagone ne constitue pas un coup de bluff. Malgré le scepticisme des pouvoirs publics et de beaucoup d’observateurs, ils sont persuadés qu’ils s’y retrouveront économiquement sur le long terme.

L'annonce a fait l'effet d'un coup de tonnerre. Mercredi dernier, SFR a indiqué qu'il souhaitait dorénavant apporter le très haut débit tout seul dans tout l'Hexagone. Et cerise sur le gâteau, sans demander le moindre un centime d'argent public ! « Impossible ! », se sont esclaffés nombre d'observateurs et de spécialistes. Et pour cause : une telle annonce revient à torpiller le complexe millefeuille du Plan Très haut débit (PTHD), qui vise à apporter un Internet ultra-rapide à tous les Français à horizon 2022. Sachant que ce grand chantier à 20 milliards d'euros, qui repose essentiellement sur le déploiement de la fibre, est aujourd'hui financé conjointement par les opérateurs télécoms et l'Etat. Dans cette logique, les Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free déploient aujourd'hui leurs infrastructures sur leurs propres deniers dans les grandes villes. Tandis que les zones rurales, moins denses et souvent jugées non-rentables par les opérateurs, bénéficient de subventions de l'Etat pour bâtir des réseaux publics.

Ce mercredi, lors d'une conférence de presse à Paris, SFR a voulu justifier son engagement. Pour Michel Combes, PDG de SFR et DG de sa maison-mère Altice, le Plan Très haut débit est bel et bien « obsolète »« Il ne fonctionne plus !», a-t-il renchéri. D'après lui, non seulement celui-ci siphonnerait trop d'argent public, mais il ne permettrait pas, en plus, d'atteindre l'objectif d'une couverture totale du territoire à horizon 2022. Pour justifier ses dires, Michel Combes argue que le PTHD a été façonné à un moment où les opérateurs, y compris SFR, n'étaient pas prêts à se convertir au très haut débit. Ce qui a, selon lui, obligé l'Etat à le concevoir en mettant largement la main au portefeuille. Pour le PDG de SFR, cette époque est révolue. Surtout, ce qui ne lui plaît pas du tout, c'est que ce plan « vise à retirer la détention des réseaux aux opérateurs » à certains endroits. Or Altice, la maison-mère de SFR et propriété du milliardaire Patrick Drahi, met un point d'honneur, dans tous les pays où il est présent, à posséder de manière obsessionnelle ses propres infrastructures plutôt que de louer celles des autres.

Accélération des déploiements

Michel Paulin, le DG de SFR, justifie ce parti-pris en affirmant que chaque année, l'opérateur au carré rouge débourse « 800 millions d'euros » pour accéder au réseau cuivré d'Orange. Celui-ci, pour rappel, a été déployé tout seul par l'ex-France Télécom du temps où il était un monopole d'Etat. Pour les dirigeants de SFR, le passage à la fibre doit leur permettre, à terme, d'en finir progressivement avec ce statut honni de locataire. Ce qui leur permettrait, à les en croire, d'accroître en parallèle leur capacité d'investissement. Côté calendrier, SFR affirme vouloir couvrir 80% du territoire en très haut débit en 2022, et 100% en 2025. Pour ce faire, l'opérateur compte booster ses investissements. D'après Michel Paulin, l'opérateur déploiera entre 2 et 3 millions de prises par an à compter de 2018, contre 1,7 millions cette année.

Pour arriver à ses fins, SFR appelle les pouvoirs publics « à sortir d'une économie administrée », dixit Michel Combes. Autrement dit, le grand patron souhaite avoir les coudées franches pour investir partout où il veut, ce qu'il ne peut pas faire dans le cadre de l'actuel PTHD. Dans les grandes villes et les zones très denses, qui représentent 6 millions de logements, SFR n'est pas contraint puisque les opérateurs investissent chacun dans leurs propres réseaux. Mais ce n'est pas le cas dans les villes moyennes et les périphéries des grandes agglomérations, qui ont fait l'objet d'un partage, en 2011, entre SFR et Orange. L'opérateur au carré rouge n'a, à l'époque préempté la couverture « que » de 20% de 10 millions de logements. Or depuis que Patrick Drahi a racheté SFR, en 2014, il appelle à un partage plus équitable avec Orange. Ce que l'opérateur historique ne veut pas. A noter, toutefois, qu'entre 2 et 3 millions de logements de cette zone dite « moyennement dense » n'a fait l'objet d'aucun accord. SFR est donc libre, ici, d'y déployer ses infrastructures.

SFR s'estime digne de confiance

Reste les zones rurales et peu denses (15 millions de logements), où les collectivités déploient la fibre en partie grâce aux deniers de l'Etat. Ici, SFR est catégorique : l'opérateur n'hésitera pas, selon Michel Combes, à y déployer des réseaux en parallèle de ceux déjà prévus et qu'il n'a pas remportés. Même si aux yeux de nombre de spécialistes et observateurs, l'initiative relève d'une hérésie économique.

Pour bénéficier de l'appui des pouvoirs publics, SFR affirme qu'il pourrait faire économiser « jusqu'à 15 milliards d'euros au budget de la France » si on le laissait fibrer le pays. En outre, l'opérateur estime qu'il est aujourd'hui un acteur de confiance. Il en veut pour preuve son important rattrapage dans le mobile, où il rivalise désormais avec Orange et Bouygues Telecom en termes de couverture 4G.