Régulation de la fibre : Orange voit rouge

Par Pierre Manière  |   |  1021  mots
Stéphane Richard, le PDG d'Orange.
L’opérateur historique est furieux de la volonté de l’Arcep, le gendarme des télécoms, de le réguler dans la fibre. A contrario, la concurrence applaudit. Elle qui a mené un lobbying intense contre Orange ces derniers mois.

La semaine dernière, tout le gratin de la high tech française était au Consumer Electronics Show de Las Vegas. Premier opérateur de l'Hexagone, Orange était présent à cette grande messe mondiale de l'électronique grand public. Il en va de même pour l'Arcep, le régulateur français des télécoms, dont le président, Sébastien Soriano, a fait le déplacement. Celui-ci s'est notamment rendu à une soirée organisée par Orange. D'après un cadre présent sur place, le patron de l'Arcep a glissé avoir donné une interview à paraître d'ici peu un brin plus rentre-dedans que d'habitude...

Publiée lundi soir dans Les Echos, cette sortie s'est bien avérée des plus piquantes pour l'opérateur historique ! Dans les colonnes du quotidien économique, Sébastien Soriano a commenté un document mis en ligne au même moment par ses services, appelant à réguler Orange dans la fibre :

« Aujourd'hui, Orange est en avance car il a déployé la fibre plus vite dans les zones denses. Inversement, sur le reste du territoire, il n'a pas forcément intérêt à faire migrer ses abonnés ADSL vers la fibre. Au total, il y a un risque qu'Orange n'impose son rythme. Or on ne peut pas se permettre qu'un opérateur décide pour l'ensemble du marché. »

Course au très haut débit

De fait, Orange est depuis plusieurs années la locomotive des investissements dans la fibre. A ce jour, il possède les trois quarts du marché. Mais pour Sébastien Soriano, il est primordial que les autres opérateurs y fassent vite leur nid pour que la France se convertisse sans traîner à l'Internet fixe à très haut débit. Or depuis des mois, SFR, Free et Bouygues Telecom affirment que si Orange a pris la main sur le marché de la fibre, c'est en partie parce qu'il bénéficie d'avantages spécifiques à son statut d'ancien monopole d'Etat. D'après eux, il est donc nécessaire de réguler l'ex-France Télécom pour que tous les opérateurs se battent à armes égales. Des desiderata auxquels l'Arcep a visiblement été sensible.

Parmi les mesures évoquées par le régulateur, celui-ci souhaite qu'Orange aide ses concurrents à rentrer dans les immeubles où il est déjà présent. L'Arcep envisage aussi de revoir des accords liés à la couverture des zones dites « moyennement denses », rassemblant les périphéries des grands centres urbains et les petites agglomérations. Sachant qu'en 2011, Orange avait glané 80% de ce marché de 12 millions de foyers, contre 20% pour SFR.

Chez Orange, ces propositions ont suscité la colère de la direction. Au point que l'opérateur historique a snobé le forum de l'Arcep sur « la transition numérique des TPE et PME » organisé ce mardi.

« On est face à des injonctions contradictoires, dézingue une source proche de l'état-major d'Orange. D'un côté, l'Arcep affirme qu'il faut plus investir dans la fibre, et de l'autre, qu'il faut nous empêcher d'investir parce qu'on va trop vite ! Mais on ne va pas ralentir nos déploiements. On a pris l'engagement de couvrir 22 millions de foyers d'ici à 2022. Et on va le tenir. »

Des « couinements » payants

Sur le fond, Orange estime que si ses rivaux sont en retard dans la fibre, c'est parce qu'ils n'ont pas daigné mettre la main au portefeuille. Ils ne doivent donc, suivant ce raisonnement, s'en prendre qu'à eux-mêmes. Agacé des « couinements » de ses concurrents auprès de l'Arcep pour revoir la régulation de la fibre, Stéphane Richard, le PDG d'Orange, s'est fendu d'une mise au point, fin juin, dans nos colonnes :

« Pour le déploiement de la fibre, la France a fait le choix de définir des règles du jeu incitatives aux primo-investisseurs. [...] Nous sommes tous partis sur la même ligne de départ. [...] Dès lors, la question est la suivante : les dés ont-ils été pipés ? Orange est-il tellement puissant, tellement fort par rapport à ses pauvres concurrents, que ces derniers ne sont pas en mesure d'investir suffisamment ? Ce qui justifierait, dans ce cas, qu'ils en appellent au régulateur pour rectifier le tir. La réponse est non, ces opérateurs ne sont ni petits, ni pauvres. Messieurs Niel [propriétaire de Free], Bouygues et Drahi font partie des grandes fortunes mondiales. Ils ont régulièrement de grands projets d'acquisitions partout dans le monde. Qu'est-ce qui les empêche d'investir un ou deux milliards de dollars en France pour faire de la fibre ? Ils ont parfaitement les moyens de rivaliser avec Orange. »

SFR craint la reconstitution d'un monopole

Chez SFR, Free et Bouygues Telecom, le parti-pris de l'Arcep constitue forcément une victoire. Même si, contactés par La Tribune, aucun d'entre eux ne souhaite aujourd'hui s'exprimer à ce sujet. Reste qu'en octobre dernier, Michel Combes, le PDG de SFR, a souhaité « qu'on [lui] laisse la liberté d'investir au moins autant qu'Orange » dans la zone moyennement dense. « Si deux acteurs veulent y déployer de la fibre, qu'on les laisse faire ! Sinon, on risque de reconstituer un monopole comme on l'a eu avec le cuivre », a-t-il affirmé à La Tribune.

Même son de cloche chez Iliad (Free). Au mois de juillet, lors d'une audition auprès de la Commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, Maxime Lombardini, le DG du groupe, a fait l'inventaire de plusieurs « avantages structurels » d'Orange. Lesquels ont, d'après lui, faussé la concurrence sur le déploiement de la fibre :

« Jusqu'en 2009, Orange s'est réservé l'usage des fourreaux - ces 350.000 kilomètres de tuyaux qui sont sur les routes de France et permettent de déployer la fibre - pendant que les opérateurs alternatifs devaient creuser des tranchées ou passer par les égouts, a-t-il souligné. Cela a permis à l'opérateur historique de couvrir toute la zone dense quand les autres ne pouvaient pas y accéder. »

Des coups de gueule payants. Même si Orange ne va certainement pas en rester là.