Effet Free Mobile : Orange «ne croit pas à la consolidation»

Par Delphine Cuny  |   |  1383  mots
Stéphane Richard au show innovation d'Orange en novembre dernier. Copyright Reuters
Stéphane Richard, le PDG de l'opérateur historique, se dit «très sceptique» sur d'éventuels rapprochements dans le secteur, un an après l'arrivée du nouvel entrant. Il défend le choix du contrat d'itinérance signé avec Free Mobile mais hausse le ton sur les engagements de couverture de ce dernier.

«La consolidation du marché de la téléphonie mobile en France, je n'y crois pas», a confié lundi Stéphane Richard, le PDG de France Télécom Orange. S'il estime que «la tentation peut être forte pour Free d'utiliser sa valorisation boursière élevée pour obtenir par acquisition ce qu'il n'a pas, un réseau mobile qu'il doit démarrer de zéro», il déclare être «très sceptique» sur d'éventuels rapprochements dans le secteur, convaincu que l'Arcep, le régulateur des télécoms, et surtout l'Autorité de la Concurrence ne permettraient pas une réduction du nombre d'opérateurs. «Je ne crois pas qu'aujourd'hui, un an après l'arrivée d'un quatrième opérateur, qui nous a valu 10 ans de débat, on accepte le passage de 4 à 3 opérateurs mobiles» a-t-il fait valoir, soulignant que la ministre Fleur Pellerin elle-même venait d'affirmer qu'«il y a de la place pour quatre opérateurs. Le gouvernement souhaite que le marché trouve son équilibre à quatre acteurs» à nos confères des Echos.

«Oui, on s'en met plein les poches avec l'itinérance de Free»
Le président de l'Autorité de la Concurrence, Bruno Lasserre, a fait savoir qu'une fusion SFR-Free ne serait pas possible et Stéphane Richard «ne [voit] pas quelle autre combinaison» pourrait fonctionner: «une fusion Bouygues/Free, je ne le sens pas tellement», a-t-il lâché dans un sourire. L'opérateur historique, lui-même trop «gros» pour se marier avec quiconque en France, a d'ailleurs révélé que si Free venait à s'allier ou se marier à un autre opérateur et remettait en cause l'accord d'itinérance qu'il a signé avec Orange, la partie fixe de ce contrat resterait due, au minimum pendant les trois ans d'exclusivité.

Attaqué par SFR et Bouygues Telecom sur ce contrat d'itinérance, Stéphane Richard a répété que les conditions accordées ne donnaient pas un avantage concurrentiel à Free: «on n'est pas assez idiot pour aller faire un cadeau à celui qui nous taille des croupières. Les chiffres le démontreront clairement, entre nos recettes de l'itinérance et leur nombre d'abonnés, il suffira de faire une division, on ne brade pas l'Internet mobile.» Martelant qu'il assume la décision de signer ce contrat, Stéphane Richard a lancé: «oui, on s'en met plein les poches avec l'itinérance de Free. C'est une décision prise dans l'intérêt des actionnaires de France Télécom. Nous sommes une entreprise commerciale privée, pas la direction générale des télécoms...»

Quant à l'Autorité de la Concurrence qui est chargée de fixer une éventuelle date-butoir à ce contrat, le patron de France Télécom a relevé que Telefonica, l'opérateur historique en Espagne, a un tel accord avec Yoigo dont il écoule encore 50% du trafic 5 ans après «et tout le monde trouve cela normal». Il ne serait «pas choqué» qu'il y ait une fin à ce contrat mais «si on dit qu'on arrête au bout de 5 ans et que, techniquement, Free n'est pas en mesure d'assurer un réseau complet, on verra bien, si on coupe le robinet, que diront les millions de Français abonnés à Free Mobile?»

«Pas de mansuétude» à l'égard des engagements de Free
Pour autant, Stéphane Richard ne s'est pas privé d'égratigner son partenaire Free. Interrogé sur le retard de déploiement de Free Mobile pointé par la ministre Fleur Pellerin, le PDG de France Télécom a estimé qu'il n'est «pas surprenant» que le nouvel entrant rencontre des difficultés à déployer son réseau, alors que tous les opérateurs ont du mal à trouver des points hauts pour installer des antennes et qu'une nouvelle proposition de loi, celle de la députée écologiste Laurence Abeille, visant à réduire l'exposition aux ondes électromagnétiques, veut encadrer davantage ces implantations.

Cependant, «est-ce acceptable que Free ne respecte pas ses engagements? Non. Tout le monde vivrait assez mal qu'il y ait une mansuétude des pouvoirs publics» à l'égard de Free Mobile, même s'il ne s'agit pas des obligations prévues dans la licence mais d'objectifs annoncés par les dirigeants de la maison-mère, Iliad, en mars dernier («A fin 2012, Free Mobile disposera de plus de 2.500 sites actifs», or l'Agence nationale des fréquences en a relevé 1.779 et lui a accordé 2.277 autorisations dans son observatoire des déploiements). «S'il ne tient pas ses engagements, il faut qu'il soit sanctionné. Et là, il y a un problème», selon le patron de France Télécom. Réglementairement, le prochain contrôle de couverture prévu dans la licence de Free Mobile est fixé à janvier 2015 (à savoir 75% de la population contre 27% au lancement).

Free contre Google : « une menace de papier »
Décidément très en verve, Stéphane Richard a aussi raillé le « Free AdGate », la polémique provoquée en début d?année par l?introduction d?un dispositif de blocage des publicités en ligne par Free, retiré quelques jours plus tard à la demande de la ministre Fleur Pellerin. « C?était une menace de papier, rapidement mise à la poubelle. Fourbir son arme puis la retirer deux jours après, la queue entre les jambes? » Le patron d?Orange a souligné l?existence d?un « écosystème numérique, tous les fournisseurs de contenus notamment : c?est comme tirer sur l?éléphant Google et risquer de tuer tous les animaux autour. Ce n?était pas forcément une très bonne réponse à une vraie bonne question, sur le financement des réseaux. » Mais sur ce sujet, le PDG de France Télécom, qui militait pour une contribution des géants des services Internet, semble avoir changé d?avis, arguant qu?« il y a des flux financiers entre Google et Orange, et d?autres comme Deutsche Telekom. » Se déclarant à la fois en compétition et en coopération avec le géant de l?Internet, il se rallie à la vision de ce dernier : « Google dit que ses services sont très populaires, les gens ne peuvent s?en passer, et nous ont permis, opérateurs, à vendre plus d?accès, fixes et mobiles. Il faut être honnête et lucide, c?est vrai. » Il se dit « plus choqué de voir Google ne pas payer d?impôt en France que ne pas contribuer au financement des réseaux. » Il ne semble plus préconiser l?instauration d?une forme de péage, une « terminaison d?appel data » pour la consommation de bande passante, se disant « pas favorable à la mise en place encore d?un dispositif de régulation, sur la partie la plus dynamique de notre activité, la data. » Une table ronde sur la Net neutralité, au c?ur de la polémique Free AdGate, se tient d?ailleurs ce mardi à Bercy, au cours de laquelle les opérateurs pourront exposer clairement leurs visions, voire leurs revendications.


Une « keynote d?Orange » sur l?innovation tous les ans à l?automne
Entre autres déclarations et annonces, on retiendra aussi que Stéphane Richard « refera un événement sur l?innovation à l?automne 2013, pas pour faire le showman mais pour inscrire dans la durée ce rendez-vous. Comme il y a chaque année la keynote d?Apple ou d?autres, il y aura désormais la keynote d?Orange. » Le Pdg de France Télécom a aussi glissé que les résultats annuels qui seront publiés dans un mois montreront que le groupe « a terminé 2012 avec le même nombre de clients qu?au début de l?année : on aura encaissé l?arrivée d?un quatrième opérateur sans perdre de clients, c?est quand même un beau résultat », obtenu notamment grâce aux « outils mis en place » tels que la marque 100% web Sosh qui a près de 800.000 abonnés (contre 540.000 à fin septembre), et Open, l?offre quadruple-play, « qui reste une arme extrêmement efficace. » Enfin, Orange a également officialisé « un intérêt de principe » pour l?activité de câbles sous-marins d?Alcatel-Lucent, dont l?acquisition « peut avoir un sens industriel », puisque Alcatel Submarine Networks (ASN) est en concurrence avec sa propre branche FT Marine.