Comment Numericable va se transformer en poids lourd des télécoms

Par Delphine Cuny  |   |  1718  mots
Patrick Drahi, l'architecte de la transformation de Numericable en numéro deux français des télécoms.
Le câblo-opérateur va radicalement changer de dimension et devenir le numéro deux français des télécoms à la finalisation de l’acquisition de SFR, pour lequel il vient d’obtenir le feu vert, sous conditions, de l’Autorité de la Concurrence. Une mutation qui s’accompagne de nombreux défis, industriels, commerciaux, managériaux, culturels et financiers.

Numericable aura bientôt les clefs de SFR : le câblo-opérateur a obtenu lundi le feu vert, sous conditions, de l'Autorité de la Concurrence à l'acquisition du numéro deux français des télécoms qui le fera radicalement changer de stature. Le groupe va lancer vendredi son augmentation de capital de 4,73 milliards d'euros destinée à financer les 13,5 milliards de cash à payer à Vivendi - il a déjà levé 8,8 milliards de dette, principalement sous forme d'obligations, pour boucler ce financement. Les trois quarts de l'augmentation de capital seront souscrits par Altice, l'actionnaire principal de Numericable, contrôlé par Patrick Drahi, l'architecte de la transformation du câblo-opérateur. Avant même la finalisation de l'opération, prévue fin novembre, le PDG de Numericable, Eric Denoyer, qui deviendra directeur général du nouvel ensemble « Numericable SFR », a rencontré mardi les quelque 340 principaux managers de SFR au siège de ce dernier, à Saint-Denis, afin de leur exposer son projet et ses chantiers prioritaires, « 15 projets de synergies », dont il a dévoilé quelques éléments.


Défi industriel : marier les réseaux

« Devenir le numéro un français du très haut débit convergent fixe mobile », c'est l'ambition et « le projet industriel » de Numericable, « en combinant deux réseaux puissants », son réseau câblé rénové en fibre optique et le réseau mobile de SFR, qui a cependant pris du retard dans le déploiement de la 4G, au cours des derniers mois en pleine transition. « Ce qui est clé, c'est d'investir dans le réseau, c'est ce que j'ai dit hier aux équipes » a confié Eric Denoyer mercredi lors d'un point presse. Il se fixe l'objectif, dans son plan à trois ans, de raccorder 12 millions de foyers à la fibre en 2017, le double du nombre visés fin 2014, afin de construire « le plus grand réseau de fibre optique de l'ouest européen. »


Un des défis industriels sera aussi d'interconnecter les deux réseaux, et notamment de « mettre de la capacité derrière les antennes-relais de SFR, en raccordant rapidement à la fibre 9.000 de ses 18.000 sites, comme Orange a commencé à le faire » a indiqué Eric Denoyer. Le but est de « donner un coup d'accélérateur au déploiement de la 4G de SFR.» Sans dévoiler de chiffres, il a précisé que les investissements seraient « au moins plus élevés que ceux de SFR, entre 15% et 20% du chiffre d'affaires, et focalisés sur le réseau. »

Mariage dans le mariage, Numericable devra aussi mener à bien la mutualisation des réseaux mobiles de SFR et de Bouygues Telecom, cruciale car elle permettra de réaliser d'importantes économies (estimées à 200 millions par an pour SFR). Or Bouygues cherchait à renégocier les termes financiers du contrat, du fait des constats dressés par l'Arcep, le gendarme des télécoms, sur la couverture du réseau de SFR, notamment en 4G, moindre qu'indiqué initialement.

« Des ajustements vont être faits et seront annoncés rapidement, sans remettre en cause l'accord, je suis très confiant » a indiqué Eric Denoyer, soulignant que « la mutualisation peut maintenant entrer dans la réalisation concrète, après quelques atermoiements. »

Défi managérial et culturel

Le futur DG du nouvel ensemble dévoilera mi novembre le nouveau comité exécutif : il a d'ores et déjà indiqué qu'en feront partie Thierry Lemaître, le directeur financier de Numericable qui assurera aussi cette fonction, ainsi que François Rubichon, l'actuel directeur des ressources humaines de SFR, un repère indispensable pour un groupe qui emploiera 11.500 à 12.000 salariés, contre 2.100 aujourd'hui pour Numericable seul, en intégrant les équipes de Telindus (télécoms entreprises) mais ce sans compter les boutiques (non détenues en propre, qui emploient environ 4.000 personnes). Il faudra aussi « mettre en cohérence les équipes commerciales B2B », de SFR Business Team, Completel et Telindus, afin de « ne pas se faire concurrence sur les appels d'offres, mais ce sont des synergies positives qui mettent tout le monde d'accord. »


Il faudra également parvenir à marier les deux cultures, très différentes. Pour autant, les équipes ne seront pas regroupées dans l'immédiat : il n'y aura « pas de grand soir du déménagement » a indiqué Eric Denoyer, qui a jugé que SFR est « déjà très centralisé » à Saint-Denis où ses 8.500 salariés seront progressivement rassemblés à mesure que la construction du siège de 110.000 m2 sera achevée (une deuxième tranche sera livrée en octobre 2015). Les employés de Numericable pourraient rester sur leurs sites franciliens (notamment Champs-sur-Marne et La Défense), « cela dépendra des projets. »

Le futur directeur général a aussi réitéré qu'il n'y aurait « pas de plan social », ce qui ne veut pas dire pour autant pas de départ, notamment de managers. Le PDG de SFR, Jean-Yves Charlier n'a pas vocation à rester. D'autres départs sont attendus, car « il n'y aura pas de la place pour tout le monde » reconnaît une source proche. Certains spéculent sur le départ de Frank Cadoret, le directeur exécutif Grand public et professionnels, « l'homme de la segmentation marketing », alors que Patrick Drahi a indiqué qu'il voulait réduire drastiquement le nombre d'offres commerciales.


Défi commercial : synergies, rationalisation des offres et des marques

Eric Denoyer n'a pas voulu trop entrer dans le détail mais il a livré quelques pistes sur les changements de politique commerciale. « Nous aurons des offres de Noël, qui seront lancées avant la fin novembre, des offres fibre sous la marque SFR sur la couverture très haut débit de Numericable » a-t-il notamment révélé. Cela doit « créer immédiatement des synergies positives et donc de la marge » a-t-il fait valoir.

Patrick Drahi n'avait pas caché que la marque du câblo-opérateur avait vocation à disparaître, à s'effacer derrière SFR, « la marque flagship. » Eric Denoyer a indiqué qu'il y aurait « moins de marques », que l'accent serait mis sur le haut du marché. Il a souligné que Virgin Mobile, dont Numericable espère finaliser l'acquisition également fin novembre, est une « marque à la très forte notoriété » idéale pour « attaquer le bas de marché », ce qui pourrait signifier l'arrêt de la gamme low-cost Red de SFR (environ 2 millions de clients).

Il se posera aussi la question des Box : c'est sans doute celle de Numericable, plus sophistiquée, qui sera conservée, au détriment de celle de SFR, qui commercialise aussi un décodeur TV «Google » sous Android, dont il n'est pas sûr qu'il plaise au management du câblo-opérateur qui ne veut « pas être seulement transporteur » de contenus mais créer de la valeur. « Cela fait beaucoup, trois boxes » a d'ailleurs reconnu Eric Denoyer. L'idée est d'avoir « des produits homogènes et bien adaptés au très haut débit. »

Les synergies commerciales sont d'autant plus cruciales que les performances récentes de SFR, en plein flottement depuis plusieurs mois, ont été assez mauvaises : au troisième trimestre, selon les chiffres discrètement publiés par Vivendi mardi soir, SFR a perdu 31.000 abonnés dans le fixe et 49.000 dans le mobile. Hors acquisition de Telindus, l'excédent brut d'exploitation est en recul de 19,2% sur les neuf mois à 1,7 milliard d'euros et le chiffre d'affaires de 4,2% à 7,39 milliards d'euros.

« Quand on a un projet industriel clair, cela permet de simplifier l'ensemble des fonctions de l'entreprise, les offres, les marques, c'est un effet presque naturel, on va arrêter ce qui était inutile » a déclaré Eric Denoyer.

Sujet sensible, l'informatique constitue en soi un chantier de simplification mais qui découle aussi de la rationalisation du catalogue. « Il y a chez SFR une informatique très sophistiquée, très puissante mais pas assez agile. Tout l'art sera de ne pas tout casser, alors que l'informatique de Numericable date un peu » a-t-il relevé.


Défi de gouvernance avec Vivendi

Le conseil d'administration, qui sera présidé par Patrick Drahi lui-même, aura pour membres Jean-René Fourtou et Patrice Roussel comme représentants de Vivendi, ainsi que Colette Neuville, de l'association de défense des actionnaires minoritaires, selon BFM Business. Vivendi a laissé entendre que le maintien de participations dans les télécoms était stratégique. Vincent Bolloré, le nouveau président du conseil de Vivendi, a-t-il décidé de rester chez Numericable SFR? Sur ce point, le dirigeant du câblo-opérateur s'est montré très clair :

« Altice a des calls [options d'achat] sur les 20% de Vivendi : c'est l'essence même de l'accord, Vivendi a vocation à sortir et peu passer à zéro dans trois ans » a souligné Eric Denoyer.

Altice peut racheter l'intégralité de la participation de Vivendi au cours des trois prochaines années en trois étapes et trois tiers : la première option sera ouverte dans 18 mois et portera sur 7% du capital, a précisé le PDG de Numericable. Or Patrick Drahi aime être maître chez lui : il a racheté l'essentiel des parts de Cinven et Carlyle dans Altice.


Défi financier de la dette

Numericable va grossir en chiffre d'affaires, en résultats, en effectifs et en capitalisation boursière. A l'issue de l'augmentation de capital, le nouveau groupe Numericable SFR vaudra environ 13,4 milliards d'euros (486,9 millions d'actions, dont les nouvelles, au cours théorique de 27 euros, ajusté du droit préférentiel de souscription). Soit autant que le montant en cash payé par Numericable pour acheter SFR à Vivendi ! La différence vient de la dette : en « valeur d'entreprise» dette comprise, l'ensemble sera valorisé 25 milliards. Si le nouveau groupe ne sera pas un « LBO » comme Numericable il y a quelques années, il sera malgré tout assez endetté : 11,6 milliards d'euros de dette nette, soit entre 3,5 et 4 fois son excédent brut d'exploitation. Il lui faudra générer du cash flow pour rembourser cette dette (sous forme d'obligations essentiellement) mais aussi pour satisfaire Vivendi, qui demande que soit distribué 50% du cash flow disponible.
Ces 13,4 milliards de capitalisation sont à comparer aux 6 milliards d'euros de Numericable en solo mais aussi aux 9 milliards du groupe Bouygues (dans son ensemble) ou aux 10,5 milliards d'Iliad, la maison-mère de Free.

« Numericable SFR sera aux portes du CAC 40, sans doute dans le CAC Next 20 pour des questions de flottant et de transactions quotidiennes » a relevé Eric Denoyer.