5G : le gouvernement veut éviter une nouvelle fracture numérique

Par Pierre Manière  |   |  830  mots
Pour que les opérateurs se préoccupent sans traîner des campagnes, le régulateur souhaite notamment qu’à la fin 2022, les Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free proposent un débit de 240 mégabits par seconde sur 75% de leurs sites mobiles. (Crédits : Rafael Marchante)
Alors que le déploiement des réseaux 5G doit débuter l’an prochain, l’exécutif veut obliger les opérateurs à ne pas se focaliser uniquement sur les grandes agglomérations et à investir d’emblée dans les territoires ruraux.

Pas question de se retrouver avec une nouvelle fracture numérique. Tel est l'impératif que s'est fixé le gouvernement en vue de l'arrivée de la 5G dans le courant de l'année prochaine. Pour ce faire, Bercy a affirmé qu'il ne se montrerait pas trop gourmand lors de la vente des fréquences dédiées à cette nouvelle génération de communication mobile. Mais en échange, il souhaite que les opérateurs soient soumis à d'importantes obligations de couverture des territoires ruraux, moins peuplés et bien moins rentables que les villes.

L'Etat a transmis ses desiderata à l'Arcep, le régulateur des télécoms, pour qu'il définisse clairement ces obligations en vue de l'attribution des fréquences 5G. Ces règles du jeu ont été dévoilées lundi. Pour que les opérateurs investissent sans traîner dans les campagnes, le régulateur souhaite notamment qu'à la fin 2022, chaque acteur propose un débit de 240 mégabits par seconde sur 75% de ses sites mobiles dans l'Hexagone. Ce qui obligera, en clair, les Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free à se préoccuper d'emblée de la couverture en 5G des territoires ruraux.

D'importantes « clauses de rendez-vous »

Mais ce n'est pas tout. L'Arcep est consciente que les obligations fixées aujourd'hui seront peut-être caduques dans les années à venir, surtout concernant une technologie nouvelle où les usages restent à définir. C'est pourquoi l'institution a fixé des « clauses de rendez-vous » en 2023, en 2028 et en 2033. A ces dates, soigneusement choisies, le régulateur et le gouvernement feront un point avec les opérateurs pour savoir, par exemple, « si les modalités de couverture des zones rurales correspondent bien aux usages, si les calendriers de déploiement sont suffisamment ambitieux, et si on n'a pas oublié quelque chose », explique Sébastien Soriano, le président de l'Arcep. Si à ces occasions, le gouvernement veut renforcer, durcir ses obligations, ou en décider de nouvelles, il pourra négocier avec les opérateurs.

Dans cette perspective, l'Arcep a voulu conserver quelques gros atouts dans sa manche. Ainsi, près d'un quart des fréquences dédiées à la 5G (90 MHz sur 400 MHz) ne seront pas attribuées cet automne. Ces actifs, aujourd'hui utilisés par d'autres acteurs et disponibles en juillet 2026, seront vendus plus tard. C'est précisément lors du premier rendez-vous de 2023 que le régulateur et le gouvernement décideront du devenir de ces fréquences. Ce qui leur offrira un gros levier de négociation vis-à-vis des opérateurs s'ils jugent leurs obligations initiales insatisfaisantes. C'est ce qu'a affirmé, ce lundi, Sébastien Soriano :

« Est-ce qu'on apporte ces 90 MHz en complément aux opérateurs ? Est-ce qu'on les donne aux verticaux [les industriels d'autres secteurs désireux de bénéficier de la 5G, Ndlr] ? Est-ce qu'il faut envisager quelque chose de particulier [...], comme offrir ce bloc à un opérateur qui s'engagerait à couvrir le territoire pour l'ensemble du secteur ? Voilà, tout est possible. »

Ne pas renouveler les erreurs du passé

De la même manière, 2028 sera un rendez-vous clé, puisque certaines licences d'utilisation de fréquences 2G et 3G arriveront à échéance en 2030. La question de leur ré-attribution va donc se poser. Ce qui donnera, là-encore, des billes à l'Arcep et au gouvernement pour négocier d'éventuelles obligations complémentaires concernant le déploiement de la 5G.

Si l'Arcep prend autant les devants, c'est pour ne pas renouveler les erreurs d'antan. Par le passé, les obligations fixées lors de l'attribution des fréquences 4G se sont avérées très insuffisantes. Cette situation a débouché sur des myriades de zones « blanches » et « grises » où, aujourd'hui encore, le mobile ne passe pas, ou très mal. Pour en finir avec cette fracture numérique, le gouvernement et l'Arcep ont mené de difficiles négociations avec les opérateurs il y a deux ans. Celles-ci ont débouché sur un accord baptisé « New Deal ». Début 2018, les Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free se sont engagés à couvrir ces zones « blanches » et « grises » en échange d'une prolongation de certaines licences mobiles.

« On a été pris au dépourvu sur la 4G »

Voilà pourquoi, avec la 5G, l'Arcep veut s'assurer très en amont de pouvoir « compléter » plus tard les obligations, insiste Sébastien Soriano, qui se dit « traumatisé » par le New Deal et ses négociations « extraordinairement compliquées ». « Nous n'avons pas de boule de cristal, et nous avons bien vu la manière dont on a été pris au dépourvu sur la 4G », renchérit-il. Le président de l'Arcep en sait quelque chose, lui qui est confronté, à chaque audition à l'Assemblée nationale ou au Sénat, à la grogne de parlementaires furieux de la mauvaise couverture mobile de leurs territoires.