Fibre dans les campagnes : le gouvernement veut rassurer les collectivités

Par Pierre Manière  |   |  817  mots
Dans le cadre du Plan France Très haut débit (PTHD), qui vise à apporter un Internet fixe ultra-rapide à tous les Français d’ici à 2022, ce sont les collectivités territoriales qui déploient leurs réseaux de fibre (ou RIP, pour Réseaux d’initiative publique) dans les campagnes et les villages, en bénéficiant d’aides de l’État. (Crédits : DANIEL MUNOZ)
Ces derniers mois, les collectivités territoriales étaient nombreuses à pester contre un nouveau dispositif gouvernemental, qui vise à faire davantage appel au secteur privé pour financer le déploiement de la fibre dans les campagnes. Antoine Darodes, le patron de l’Agence du numérique, a voulu les rassurer, assurant qu’elles garderaient bien la main sur leurs projets.

L'affaire remonte à l'été 2017. Ce mercredi 12 juillet, SFR organise une grande conférence de presse. Ce jour-là, Michel Paulin, alors DG de l'opérateur au carré rouge, lance un pavé dans la mare : il affirme que l'industriel compte fibrer la France « tout seul », et surtout « sans argent public ». Il dégaine même un calendrier : « Nous fibrerons 80% du territoire en 2022, et l'intégralité d'ici 2025 » ! Beaucoup croient à un coup d'esbroufe, mais quoi qu'il en soit, SFR n'aura pas le temps de mener son projet à bien. Miné par les difficultés commerciales, puis boursières, le groupe du milliardaire Patrick Drahi est contraint, cinq mois plus tard, d'y mettre fin.

Mais du côté du nouveau gouvernement, ce projet, même avorté, donne matière à réflexion. Dans le cadre du Plan France Très haut débit (PTHD), qui vise à apporter un Internet fixe ultra-rapide à tous les Français d'ici à 2022, ce sont les collectivités territoriales qui déploient leurs réseaux de fibre (ou RIP, pour Réseaux d'initiative publique) dans les campagnes et les villages, en bénéficiant d'aides de l'État. Pourquoi ? Parce que lorsque ce PTHD a vu le jour, en 2013, les opérateurs ne voulaient pas investir directement dans ces zones peu peuplées, qu'ils jugeaient peu - ou pas - rentables. Du côté de l'exécutif, on se dit que si la donne a changé, que si SFR ou d'autres opérateurs sont maintenant intéressés, alors leurs financements ne permettraient-ils pas de diminuer la facture pour l'État ? Sachant que, depuis le début du PTHD, les pouvoirs publics ont déboursé plus de 3 milliards d'euros.

Douche froide

Le gouvernement a saisi la balle au bond. En décembre dernier, le Premier ministre Édouard Philippe a dévoilé un nouveau dispositif. Désormais, les collectivités pourront lancer des Appels à manifestation d'engagements locaux (Amel). « En clair, nous [invitons] les opérateurs à déployer des réseaux [dans les campagnes], puisque c'est désormais possible », a lancé le locataire de Matignon. Avant de donner un exemple :

« Ce qui est en train de se passer, c'est que dans le territoire de Belfort, le département a renoncé à son RIP pour se tourner vers le secteur privé. C'est une solution qui se révélera en fin de compte plus rapide et surtout moins coûteuse. »

Du côté des collectivités, déjà échaudées par la proposition de SFR, c'est un peu la douche froide. Après le spectre passager de voir leurs réseaux plombés par ceux de l'opérateur au carré rouge chez elles, beaucoup se demandent si elles ne vont pas, avec les Amel, perdre la main sur leurs projets numériques... Sénateur de l'Ain (Les Républicains) et président de l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (Avicca), Patrick Chaize est un des premiers à tirer la sonnette d'alarme. Rapidement, il fixe une première « ligne rouge » : « Rien ne doit se passer sans l'aval des collectivité », a-t-il rappelé ce mardi, lors d'une réunion au siège de l'Avicca à Paris.

Quid de la suspension du guichet Très haut débit?

À ses yeux, les collectivités doivent impérativement conserver la possibilité de dire « non » aux projets des opérateurs sur leurs territoires. Présent à la réunion de l'Avicca, Antoine Darodes, le patron de l'Agence du numérique, qui chapeaute le PTHD, a tenu à le rassurer. « Les collectivités garderont la main sur les zones d'initiative publique [où les RIP sont déployés, Ndlr] », a-t-il insisté.

Mais Patrick Chaize et l'Avicca ont une autre préoccupation. Celle-ci concerne « la suspension du guichet France Très haut débit, qui garantissait jusqu'à maintenant aux collectivités des solutions ou financements pour atteindre leurs objectifs de couverture » en Internet fixe, a affirmé le sénateur. Sa crainte ? Qu'avec cette fermeture, les collectivités n'aient plus qu'un seul choix : se tourner vers les Amel. Antoine Darodes s'est voulu, ici aussi, rassurant. D'après lui, un nouveau guichet va bel et bien voir le jour. Mais uniquement lorsque le processus des Amel sera terminé, soit d'ici la fin du mois de novembre. « Pour pouvoir rouvrir un guichet, il faut savoir ce qu'il reste à faire », a expliqué le chef de file de l'Agence du numérique. Sachant que selon lui, environ 1 million de prises fibre seront déployées via des Amel. Il en restera, ainsi, « un petit 3 millions » à financer par des RIP.

En outre, Antoine Darodes a précisé que le nouveau guichet, dédié à ce « reste à faire », sera différent du premier. « Il concernera des territoires ruraux, plus pauvres que la moyenne, avec des lignes beaucoup plus longues à tirer, affirme-t-il. On devra probablement avoir un cahier des charges plus adapté. » Reste que pour l'heure, les collectivités ignorent tout des moyens financiers que ce nouveau guichet mettra à leur disposition.