Fibre  : l’Arcep réfléchit à modifier sa régulation d’Orange

Par Pierre Manière  |   |  1053  mots
Sébastien Soriano, le président de l'Arcep. (Crédits : Sipa)
Alors que dans l’Internet fixe, la fibre, aujourd’hui en plein déploiement, est amenée à devenir le réseau de référence en France, le gendarme des télécoms réfléchit à de nouvelles mesures à l’égard d’Orange pour que le marché reste concurrentiel et accessible à tous. Côté grand public, l’institution juge la dynamique actuelle satisfaisante. Au contraire du marché professionnel, qui demeure ultra-dominé par l’opérateur historique.

Branle-bas de combat ! L'Arcep a publié ce jeudi son bilan du marché de l'Internet fixe en France. Ce document, qui fait l'objet d'une consultation publique, doit permettre au régulateur des télécoms de définir sa politique à l'égard d'Orange pour la période 2020-2023. Tous les trois ans - et ce depuis l'ouverture à la concurrence du secteur à la fin des années 1990 -, les règlements européens obligent l'Arcep à faire un point sur sa régulation envers l'opérateur historique, qui demeure l'acteur le plus puissant dans l'Hexagone.

C'est essentiellement le marché de la fibre qui focalise l'attention de l'Arcep. A travers le plan France Très haut débit (PTHD), la grande majorité des Français auront accès à cette technologie d'ici à la fin 2022. Les opérateurs et l'Etat investissent depuis des années des milliards d'euros dans ce nouveau réseau, qui doit remplacer, à terme, le vieux réseau cuivré et ses offres ADSL.

« Les déséquilibres concurrentiels se résorbent »

Sur le marché grand public, l'Arcep estime que, ces dernières années, sa régulation a été efficace. « L'ensemble des opérateurs (Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free, Ndlr) ont clairement fait le choix de la fibre et les déséquilibres concurrentiels constatés [auparavant] sur le segment résidentiel du marché de détail se résorbent progressivement », écrit le régulateur.

« Notre priorité était qu'Orange soit moins seul sur la fibre, souligne Sébastien Soriano, le président de l'Arcep. C'est désormais cas : en 2016, la part de marché d'Orange en termes de conquête d'abonnés fibre avoisinait les 55%, contre 35% à 40% aujourd'hui. La situation est équilibrée, et tous les opérateurs peuvent commercialiser leurs offres dans de bonnes conditions. »

Dès lors, Sébastien Soriano s'est fixé deux objectifs. Le premier, c'est d'assurer le déploiement intégral du réseau de fibre dans le pays. Des inquiétudes concernent notamment certaines grandes villes et zones très peuplées, comme Marseille et Lille. Dans ces territoires très rentables, où les opérateurs sont libres de déployer leurs infrastructures comme bon leur semble (la règle étant ici celle de la concurrence par les infrastructures), le régulateur veut être certain que les immeubles et locaux seront bien, à terme, tous raccordés.

Organiser l'extinction du réseau cuivré

Le second objectif, très délicat, concerne l'extinction du réseau cuivré.

« On ne prévoit pas de le débrancher d'un coup, insiste Sébastien Soriano. Mais nous voulons inciter les opérateurs à davantage miser sur la fibre. Il y a en arrière plan une question d'efficience : maintenir deux réseaux, cuivre et fibre, en état de marche, cela a un coût. Et celui-ci n'est pas seulement supporté par Orange, mais par la collectivité des opérateurs. »

Pour rappel, le réseau cuivre, qui date des années 1960, appartient à l'ex-France Télécom. Il a l'obligation d'entretenir ce réseau, dont il loue l'accès à prix régulé (le tarif dit du « dégroupage ») à ses rivaux.

Sébastien Soriano et l'Arcep ne précisent pas, pour l'heure, comment ils pourraient s'y prendre pour éteindre progressivement le réseau cuivre d'Orange. Cependant, le régulateur pourrait très bien, par exemple, écraser le prix du dégroupage, afin que l'opérateur historique n'ai pas intérêt à trop étendre la vie de ces infrastructures.

Un marché professionnel trop dominé par Orange

Mais c'est surtout sur le marché des entreprises qu'Orange va, très certainement, encore entendre le sifflet du gendarme des télécoms. Ce gros gâteau avoisinant les 10 milliards d'euros reste archi-dominé par l'opérateur historique. Sa part de marché se situe aux alentours de 70%, contre près de 20% pour SFR et 5% pour Bouygues Telecom. Récemment, l'opérateur au carré rouge, celui de Martin Bouygues et Free ont décidé d'attaquer ce segment jugé profitable et prometteur à l'heure de la « digitalisation » des entreprises. Mais il demeure trop peu concurrentiel aux yeux de l'Arcep, malgré ses efforts pour « secouer le cocotier », comme l'affirmait Sébastien Soriano dans nos colonnes il y a tout juste deux ans.

La stratégie du patron de l'Arcep n'a pas changé : « L'idée, c'est d'utiliser l'arrivée de la fibre, c'est à dire une infrastructure nouvelle, pour donner un coup de pied dans la fourmilière et remettre en cause la position très forte d'Orange. » Si le régulateur a pris des mesures pour favoriser l'ouverture du marché, celle-ci ne se fait pas aussi rapidement qu'il l'espérait. « Nous n'avons pas complètement atteint nos ambitions », concède Sébastien Soriano.

Une « arme nucléaire » : la « séparation fonctionnelle »

Certaines initiatives d'Orange, en particulier, interrogent le régulateur. L'une d'elles concerne ses nouvelles offres de gros, baptisées FTTE (pour Fibre jusqu'à l'entreprise). Destinées aux professionnels, celles-ci, qui permettent notamment aux entreprises de bénéficier d'une garantie de temps de rétablissement en cas de problème, reposent sur le réseau de fibre grand public du numéro un français des télécoms. Mais aux dires de l'Arcep, certains opérateurs alternatifs se plaignent qu'Orange ne les prévienne pas en amont de la disponibilité du FTTE dans certains territoires. Ils soupçonnent certains commerciaux d'Orange, en charge de la vente d'offres au détail, d'avoir cette information bien avant eux, en discutant, possiblement, avec leurs homologues spécialisés dans les offres de gros. Ce qui permettrait in fine à Orange de proposer des tarifs bien plus avantageux que ceux des opérateurs alternatifs.

Ce type de problème pousse l'Arcep à poser clairement la question de la « séparation fonctionnelle » concernant Orange.

« Nous ne voulons pas démanteler l'opérateur, insiste Sébastien Soriano. Mais l'idée serait d'obliger Orange, sur le marché des entreprises, à séparer très fortement les entités en charge de la vente en gros de celles en charge de la vente au détail. »

Sébastien Soriano rappelle que cette mesure constitue « l'arme nucléaire » du régulateur, mais souligne que rien n'est encore décidé. Reste que le simple fait d'évoquer cette possibilité va forcément donner des boutons à Orange.