Immobilier : comment Duflot compte sortir la France de la crise du logement

Par Mathias Thépot  |   |  2004  mots
Reuters
La crise du logement est devenue une des plaies de l'économie française. Le marché est gelé et 2013 s'annonce comme la pire année depuis cinquante ans pour l'immobilier. Cécile Duflot présentera en juin une loi-cadre sur le logement et l'urbanisme. Mais ses leviers d'action, sans moyens budgétaires, ne sont pas à la hauteur de l'objectif très volontariste de construire 500.000 logements par an en 2017.

De toute évidence, le pouvoir d'achat des Français est durement affecté par le coût du logement. Celui-ci constitue le premier poste de dépenses des ménages, soit 22 % de leur revenu disponible en moyenne, alors qu'il ne pesait que pour 14 % en 2004. Un niveau qui croît surtout dans les zones urbaines les plus tendues, notamment l'Île-de-France et les grandes métropoles régionales. Ceux qui n'ont pas la capacité d'assumer un tel poids sont contraints de vivre dans des logements inadaptés ou très éloignés de leur lieu de travail. Avec 3,6 millions de ces personnes en situation de mal-logement, selon la Fondation Abbé Pierre, la crise ne cesse de s'aggraver. Cette crise vient d'un double phénomène : un déséquilibre structurel entre l'offre et la demande et la hausse spectaculaire du prix de la pierre, qui a plus que doublé depuis le début du nouveau siècle.

Faibles marges de manoeuvre
Aujourd'hui, même Louis Gallois le dit : la crise du logement affecte la compétitivité de l'économie française. Ce sentiment a été corroboré par des travaux de la direction du Trésor à Bercy, qui démontrent que les entreprises françaises ont été pénalisées par la hausse de l'immobilier qui a « pesé sur leurs coûts, à la fois directement via le prix des loyers et des investissements immobiliers, mais également plus indirectement du fait de la pression sur les salaires nominaux ». Cela a renchéri le coût du travail, abaissé la compétitivité coût des entreprises françaises et détérioré la balance courante, ajoute le rapport de Bercy qui relève que l'Allemagne a bénéficié à l'inverse de prix de l'immobilier presque stables qui ont permis d'absorber en partie la modération salariale des années 2000.

Dès la campagne présidentielle, il faut reconnaître que François Hollande avait pris conscience de la gravité de cette situation et donné comme objectif ambitieux de permettre la construction de 500 000 logements par an, dont 150 000 logements sociaux. Un niveau qui n'a plus été atteint depuis les années 1970 ! Mais en ces temps de rigueur budgétaire, les marges de manœuvre de la ministre en charge, Cécile Duflot, sont faibles.

Investissements publics impossibles
Pour dynamiser la construction, il faut attirer les investisseurs et motiver les acheteurs. Or, ceci ne saurait se faire sans une politique publique de soutien. « On ne résoudra pas la crise du logement sans un minimum d'investissement public », assure Jean-Claude Driant, socio-économiste à l'Institut d'urbanisme de Paris. Mais le ministère du Logement n'a pas le poids suffisant pour faire fléchir Bercy. La ministre du Logement a tout de même donné son nom à un nouveau dispositif fiscal d'incitation à l'investissement locatif, le « Duflot », sorte de dispositif Scellier en plus social. Mais le ministère du Budget a depuis fermé les vannes de la dépense.

Du coup, on cherche des voies de contournement, pour inciter les investisseurs institutionnels à revenir, via l'assurance- vie, vers le logement résidentiel qu'ils ont largement déserté ces quinze dernières d'années, faute de rentabilité. Mais à l'heure actuelle, les négociations sont au point mort. Les grands acteurs de l'immobilier, promoteurs et groupes de BTP, ne cessent pourtant d'alerter l'État sur un potentiel « risque industriel » à court terme pour leur secteur. La ministre du Logement a donc lancé un plan d'urgence pour s'attaquer aux causes plus structurelles du déficit de logement et rééquilibrer le marché. En voici les principaux leviers.

Fluidifier les mises en chantier
Les mises en chantier risquent de tomber cette année « à un plus bas niveau depuis cinquante ans » se désole Alain Dinin, le patron du promoteur Nexity. Pour accélérer la cadence, le gouvernement va entériner dans les prochaines semaines par ordonnance une série de mesures qui ont pour but de diviser par deux les délais de traitement des recours de tiers, parfois abusifs, contre les permis de construire : 25 000 opérations seraient ainsi dans l'attente d'une décision des tribunaux administratifs. Toujours par ordonnance, des dérogations aux règles d'urbanisme seront prises pour faciliter la construction dans les zones tendues. Elles concerneront principalement l'Île-de-France pour transformer des immeubles de bureaux vacants (2,5 millions de mètres carrés) en logements, ainsi que pour surélever des immeubles d'habitation.

Reste que pour vendre à prix efficaces, les promoteurs immobiliers ont besoin de réduire leurs coûts, et principalement celui du foncier, très élevé dans les zones urbaines. L'État s'est ainsi engagé à céder le foncier public avec une décote qui va jusqu'à 100% de sa valeur vénale pour la part de logement social de l'opération éligible. Toujours pour permettre aux maîtres d'ouvrage de réduire leur prix de revient, François Hollande a récemment promis un moratoire de deux ans sur l'instauration de nouvelles normes techniques. Un soulagement pour les acteurs de l'immobilier et du bâtiment, qui demandent de la stabilité et se plaignent des surcoûts des obligations imposées en matière d'accessibilité.

Agir sur le stock de logements existants
Très volontariste, l'objectif fixé par le chef de l'État de construire 500 000 logements par an mobilise les acteurs, qui n'y croient cependant guère. Mais pour résoudre la crise, ce seul objectif est largement insuffisant. « Ces 500 000 logements ne représentent en fait que 1,5% du stock de 33 millions de logements en France », indique Jean-Claude Driant. Si, par miracle, le gouvernement arrivait à faire construire 500 000 logements par an, cela ne fera qu'accroître de 7,5 % le nombre de logements en France. Difficile donc de parler d'un véritable « choc d'offre » alors que, toujours selon Jean-Claude Driant, chaque année, « 2,5 millions de ménages entrent dans le parc existant ». Dynamiser la mobilité est un autre levier exploré par Cécile Duflot, mais le chantier est complexe.

Le taux de rotation, c'est-à-dire la part de logements libérés au cours de l'année, est en effet à l'arrêt. C'est un des symptômes révélateurs de la crise : plus personne ne bouge, comme le montre la chute dramatique des transactions de logements anciens ces derniers mois. Le blocage se comprend aisément : le rapport de force est en train de changer entre des vendeurs qui ne veulent pas baisser leurs prix et des acheteurs qui attendent.

Des incitations fiscales à l'efficacité incertaine
Le marché immobilier est victime de son succès. Depuis quinze ans, il a été artificiellement dopé à coup d'incitations fiscales par un État qui voulait « une France de propriétaires ». En 2009 encore, après la crise financière de 2008, l'ajustement des prix a été retardé par l'élargissement des aides à la pierre, décidé dans un mouvement de panique par le gouvernement en place. Jusqu'au moment où les transactions se sont inévitablement grippées, la majorité des ménages ne pouvant plus suivre la dérive inflationniste.

En conséquence, une grande partie de la population se trouve désormais exclue de l'accession à la propriété dans les zones urbaines. Des ménages les plus modestes jusqu'aux classes moyennes, tous sont contraints de s'exiler loin des centres-villes, favorisant l'étalement urbain, un phénomène dont l'inefficience économique et écologique fait consensus. C'est aussi au regard de ce constat que le gouvernement rechigne, en dehors du « Duflot », à engager de nouveaux dispositifs d'aide à la pierre, coûteux et à l'efficacité incertaine.

Inventer un secteur locatif intermédiaire
En parallèle à l'offre de logements neufs, le gouvernement veut agir sur la mobilité dans le secteur locatif. En particulier dans le logement social où la mobilité est quasi inexistante en raison de l'écart de prix avec le secteur libre. Pour réduire ce fossé financier, le ministère songe sérieusement à encadrer les loyers du marché libre. Une mesure qu'il veut introduire dans la loi-cadre sur le logement et l'urbanisme qui sera présentée en conseil des ministres en juin prochain. Les services du ministère s'appuieront sur un observatoire des loyers qui définira un loyer médian par zone, dont les propriétaires ne pourront pas s'éloigner. Le but de la mesure sera de « réguler les excès », et non de faire baisser le niveau des loyers par une décision unilatérale, qui risquerait de bloquer encore plus le marché, tempère-t-on chez Cécile Duflot.

Plutôt qu'un encadrement des loyers, c'est davantage la création d'un secteur locatif intermédiaire à part entière qui correspondrait le mieux aux besoins des ménages, notamment des classes moyennes. Celles-ci subissent en effet la double peine : pas d'accès aux logements sociaux et difficulté pour accéder à un logement décent dans le parc privé. Le gouvernement devrait poser les bases de ce nouveau secteur locatif dans sa loi de juin. Une fois créé, il faudra rendre ce secteur opérationnel, par des conventionnements public-privé qui permettraient aux bailleurs privés ou sociaux de bénéficier à la marge d'aides publiques en échange de pratiquer des plafonds de loyer et de ressources pour leurs locataires.

Dispositif vertueux mais pas d'investisseurs
Ce type de dispositif a pour avantage d'être peu coûteux pour l'État. Il pourrait même avoir des effets vertueux car son développement « réduira la pression sur le logement social », indique Jean- Claude Driant. «L'investissement dans le logement intermédiaire n'est pas une dépense à fonds perdus », ajoute-t-il, arguant des retombées en termes d'emplois créés et des rentrées fiscales liées à la TVA et aux différents impôts fonciers.

La Caisse des dépôts se dit déjà prête à lancer la construction de 10 000 logements intermédiaires « si elle a le soutien des investisseurs institutionnels », annonçait le président de la République en mars. En réalité, c'est loin d'être fait. D'autant que, depuis, le très attendu rapport sur l'épargne longue des députés Karine Berger et Dominique Lefebvre s'est contenté de préconiser prudemment l'orientation d'une petite partie des contrats d'assurance-vie en unités de compte vers « le logement intermédié ». Une notion assez floue et dont la validité juridique fait débat.

Chasse aux abus
À plus court terme, Cécile Duflot concentre le tir sur la mise sur le marché des 2,3 millions de logements vacants. La ministre compte bien s'attaquer aux comportements spéculatifs de certains investisseurs peu scrupuleux. Elle a instauré une nouvelle taxe accrue sur les logements vacants le 1er janvier 2013, et a en parallèle brandi la menace de réquisitions de logements pour les propriétaires malhonnêtes. Mais celles-ci risquent de se faire attendre. « Aucun responsable politique n'ouvre un bâtiment au pied-de-biche », a reconnu Cécile Duflot en décembre dernier.

Enfin, pour accompagner ces mesures à caractère coercitif, on envisage, rue de Varenne, de créer une « garantie universelle des loyers » pour détendre les relations entre propriétaires et locataires. Concrètement, la garantie devrait d'un côté permettre de sécuriser les propriétaires contre les impayés, et faciliter, de l'autre, l'accès au logement pour les candidats locataires.

Agir sur la politique d'urbanisme
À plus long terme, un État vertueux sur le marché du logement a besoin de politiques d'urbanisme plus efficaces. C'est pourquoi le ministère du logement veut que le Plan local d'urbanisme (PLU), le document qui régit les projets de construction de logements, soit élaboré au niveau intercommunal et non plus communal.
Ce, pour éviter les comportements malthusiens de certains maires qui craignent de construire trop, de peur de se faire sanctionner aux prochaines élections par leurs administrés.
En outre, les maires cherchent surtout à attirer des entreprises qui paient plus d'impôts locaux, que des ménages qui demandent davantage de dépenses d'infrastructures.
In fine, élaborer le PLU au niveau intercommunal permet de mieux lier bassin d'emplois et logements. Pour le gouvernement, c'est une mesure d'une grande portée et qui ne coûte rien aux finances de l'État.