A-t-on raté sa vie si l’on n’est pas propriétaire à 50 ans ?

Par Mathias Thépot  |   |  835  mots
Face à l’obstination des Français à devenir propriétaires, certains économistes s’emploient à démontrer que ces comportements peuvent provoquer des dysfonctionnements du marché du travail.

"Si l'on n'est pas propriétaire à 50 ans, on a en quelque sorte raté sa vie". En prononçant cette phrase choc le 27 août dernier sur BFM Business, le PDG de Century 21 Laurent Vimont affirmait livrer le sentiment des Français qu'il rencontre au quotidien sur le terrain. "Acquérir son logement est un achat de bon père de famille pour les Français", indiquait-il. S'ils sont locataires et que "demain ils rencontrent un problème de chômage par exemple, ils devront toujours payer leur loyer", alors que s'ils sont propriétaires accédants, ils assurent "qu'ils pourront discuter de leur crédit avec la banque et le négocier", indique Laurent Vimont. "Ils sont en position de force en tant qu'emprunteur", ajoute-t-il. De surcroît, "sur le crédit il y a une assurance chômage qu'il n'y a pas sur le loyer", note le PDG du réseau d'agences immobilières.

La propriété : une sécurité pour la retraite

Le raisonnement des ménages tel qu'expliqué par Laurent Vimont est-il le bon ? Oui ,si l'on convient que la propriété incarne la sécurité financière quand la retraite arrive : une fois son emprunt remboursé, le propriétaire ne paiera plus de mensualités, qui plus est dans un contexte économique où le pouvoir d'achat des retraités risque d'être affecté.
En revanche, d'un point de vue macroéconomique, l'obstination des Français à devenir propriétaires -60% des ménages le sont déjà- créé des dommages collatéraux. Plusieurs études économiques expliquent ainsi que "la propriété immobilière implique des coûts de mobilité relativement plus élevés qui entraveraient l'efficacité de l'appariement sur le marché du travail", indique la direction générale du Trésor qui s'interroge dans une note publiée ce lundi sur le lien entre chômage et propriété immobilière.

Le coût de la mobilité est parfois rédhibitoire

L'économiste Andrew Oswald donne notamment cinq arguments -cités dans la note du Trésor- révélateurs de la nuisance d'un taux de propriété immobilière trop élevé sur le fonctionnement du marché du travail.
Pour Oswald, "associée à des coûts de mobilité élevés, la propriété restreint la zone de prospection d'un demandeur d'emploi qui peut renoncer à une offre située loin de son domicile si le gain associé à la reprise d'emploi est inférieur au coût engendré par son déménagement". "Le coût de mobilité engendré par la propriété peut également rendre les propriétaires qui ont un emploi moins enclins à chercher des opportunités plus intéressantes ou plus adaptées à leurs compétences qui pourraient améliorer la qualité de leur appariement et donc la productivité de l'économie", ajoute-t-il.
Ces arguments peuvent se vérifier en France où le coût de la transaction immobilière est un des plus élevés des pays de l'OCDE : au prix du bien viennent en effet s'ajouter pour l'acheteur les droits de mutation à titre onéreux (5,09% de la transaction), la rémunération et les frais de notaires, ainsi que les commissions pour les intermédiaires. Le vendeur, lui, doit obligatoirement prendre en charge un diagnostic technique avant la vente.

Le bien-être au travail des propriétaires en danger

Les jeunes sont les premiers à souffrir de ce coût important. "Un taux élevé de propriétaires peut contraindre la mobilité des jeunes actifs qui ne disposent pas nécessairement de ressources suffisantes pour acheter un logement proche de leur lieu de travail", indique Oswald. "Si les logements locatifs manquent, ils ne peuvent pas se loger à proximité de l'emploi voulu", ajoute-t-il.
Oswald émet deux autres hypothèses qui ne concernent pas directement le coût de la transaction. Selon lui, la productivité des propriétaires est affectée par la baisse de leur bien-être au travail car ils "ont tendance à accepter des temps de trajets domicile travail plus importants, ce qui accentue la congestion sur les réseaux de transport". Enfin, "les propriétaires ont davantage tendance à recourir à des actions collectives que les locataires. Ils peuvent donc plus facilement empêcher l'installation ou l'extension d'une entreprise dans une zone résidentielle", juge l'économiste.

Attention à ne pas rendre les ménages prisonniers de leur achat

D'autres, comme Etienne Wasmer du Conseil d'analyse économique, ont également démontré l'inefficience économique d'une France obsédée par la propriété. Pour cet économiste, "il est dangereux de rendre des ménages modestes prisonniers d'un achat immobilier. Si le marché de l'emploi se retourne dans leur secteur, ils seront alors très peu mobiles", pour retrouver un autre emploi dans une autre région. Et, en cas d'accident de la vie, les ménages endettés seront les premiers touchés, car "ils auront payé cher un bien qui subira une décote en cas de revente très rapide liée, par exemple, à un divorce ou à une perte d'emploi".