Pourquoi les exportations françaises pâtissent de la croissance de l’immobilier

Par Mathias Thépot  |   |  835  mots
l’augmentation de plus de 80 % des prix des logements en France va de pair avec un recul de 12 à 13 % des exportations, selon des économistes de l'OCDE.
Très rentable durant les années 2000, le secteur de la construction a capté les ressources en capital et en main-d'œuvre au détriment du secteur manufacturier et de ses exportations, explique une note de l'OCDE.

La compétitivité de la France est bien affectée par l'attrait très prononcé que les Français portent à la pierre… Et cette fois, c'est l'OCDE qui le dit, n'en déplaise aux promoteurs immobiliers français, qui avaient réagi l'été dernier aux constats similaires des services du ministère de l'Économie, du commissaire général à l'investissement Louis Gallois, ou en encore du Conseil d'analyse économique, le think tank de Matignon.

Publiée le 13 novembre dernier, la note de l'OCDE cible tout particulièrement les méfaits de la croissance du secteur de la construction durant la première décennie du 21e siècle sur les exportations du secteur manufacturier.

"Il existe de bonnes raisons de croire que le redressement du secteur de la construction de logements s'est fait dans une certaine mesure au détriment de la vigueur des exportations manufacturières", juge l'Organisation européenne de coopération économique.
Ainsi, selon deux de ses économistes, Egert et Kierzenkowski, "l'augmentation de plus de 80 % des prix relatifs des logements enregistrée entre 2000 et 2007 en France est allée de pair avec un recul, toutes choses étant égales par ailleurs, de 12 à 13 % des exportations, soit environ la moitié de la perte totale de la part de marché".

S'appuyant sur une forte rentabilité alimentée par la hausse des prix des logements lors des années 2000, le secteur de la construction aurait en fait phagocyté en partie le secteur manufacturier en captant les ressources en capital et en main-d'œuvre.

 Réaffectation de la main d'œuvre

Pour l'OCDE, la croissance des prix de l'immobilier peut en effet entraîner une réaffectation de la main-d'œuvre entre les secteurs.
En pleine croissance entre 2000 et 2007, le secteur de la construction en France a vu ses besoins en main-d'œuvre croître de manière importante. Pour attirer les emplois, les entreprises du bâtiment ont donc dû augmenter les salaires. "Le salaire horaire de base des ouvriers de la construction a, de fait, augmenté plus rapidement que dans d'autres secteurs ; cette évolution divergente des tendances salariales a entraîné une réaffectation sectorielle de la main-d'œuvre", explique l'OCDE.

Résultat, durant cette période, "la part du secteur de la construction dans l'emploi global a augmenté de plus d'un point de pourcentage pour s'établir légèrement au-dessus de 7 %, ce secteur représentant un quart des créations d'emplois de l'économie française au cours de cette période", ajoute l'organisation.
Même si les compétences exigées ne sont pas nécessairement les mêmes, le secteur manufacturier, les secteurs primaires et tertiaires ont ainsi été affectés.

Des marges d'exploitation nettes de 28%

Bien évidemment, la main-d'œuvre n'aurait pas pu se reporter massivement sur le secteur de la construction si le capital n'avait pas fait de même. Or, durant les années 2000, la pierre a fait figure d'investissement idoine. "De fait, ce secteur a offert à l'économie les marges d'exploitation nettes les plus élevées de toute l'économie, 28 %, contre une moyenne de juste 10.5 %", indique l'OCDE. Ce qui a incité fortement les créations d'entreprises dans ce domaine.

"Les données de l'INSEE sur les créations d'entreprises semblent confirmer cette évolution : entre 2000 et 2007, le nombre d'entreprises du secteur de la construction a augmenté d'environ un quart, et il a plus que doublé dans l'immobilier ; en revanche, il est resté globalement stable dans le secteur manufacturier", affirme dans sa note l'organisation.

Soutien excessif de la demande des gouvernements

Cette rentabilité a de toute évidence été orchestrée par la folle hausse des prix de l'immobilier en France, elle-même soutenue par la politique du logement des gouvernements successifs. "Les politiques engagées pour promouvoir l'investissement locatif et l'accès à la propriété (les autorités ayant le sentiment que la population était mal logée) ont eu pour effet de soutenir la demande de logements, ce qui a fait augmenter les prix". Ce, au moins dans certaines zones tendues comme la région parisienne ou la Côte d'Azur.

De surcroît, "les plus-values des résidences principales, et des résidences secondaires sous certaines conditions, ne sont pas imposées", ce qui empêche la neutralité fiscale avec d'autres secteurs.
La TVA à taux réduit applicable aux travaux de rénovation et d'entretien pour soutenir le secteur du bâtiment est également pointée du doigt par l'OCDE.

Rétablir l'équité fiscale

Bref, il est temps que la France prenne plusieurs mesures pour que l'équité soit rétablie entre le secteur du logement et les autres. En plus d'une refonte en profondeur de la fiscalité immobilière, l'OCDE milite pour que les valeurs locatives cadastrales, qui datent de 1970, soient mises à jour.

En effet, les pouvoirs publics s'appuient toujours sur cette méthode pour calculer la taxe foncière et la taxe d'habitation. Or, dans certaines zones, elles ne sont plus du tout en phase avec le niveau de prix désormais pratiqué.