"Le nombre de constructions risque de chuter dans les prochains mois"

Par Propos recueillis par Mathias Thépot  |   |  1008  mots
Le PDG de Bouygues Immobilier François Bertière demande au gouvernement de ne plus toucher au dispositif "Duflot". | Copyright Bouygues Immobilier
Le PDG de Bouygues Immobilier, François Bertière, craint une année 2014 noire sur le marché de la construction neuve. Il appelle à réunir tous les ingrédients nécessaires pour alimenter au mieux l’offre de logements.

La Tribune : Les promoteurs semblent avoir le moral en berne…  

François Bertière : Le marché du logement neuf est aujourd'hui fortement contraint. Nous sommes extrêmement loin des 500.000 logements qui ont fait l'objet d'un thème de campagne de François Hollande. Ainsi, les chiffres de la promotion immobilière (qui représente un peu moins du tiers de la production annuelle de logements neufs, NDLR) en matière de mises en chantier ne seront pas bons en 2013 : on atteindra probablement un des points bas historiques depuis 20 ans, avec 80.000 logements vendus, contre 127.000 il y a seulement 6 ans.  

A ce rythme, les prix auraient dû s'effondrer, mais il n'en a rien été car les promoteurs n'ont pas accumulé de stocks de logements invendus (ils représentent aujourd'hui 8% de l'offre commerciale soit environ 6.500 logements NDLR). Concrètement, lorsque la capacité financière de la demande s'affaiblit, les promoteurs français préfèrent ne pas prendre de risques et réguler par les volumes, contrairement à ce qui a pu se passer il y a quelques années en Espagne ou en Irlande.  

Est-il possible dans la configuration actuelle de faire baisser les prix ?

Les prix des logements ont globalement doublé en 15 ans, du fait de la croissance de 60% des prix des travaux et du doublement -voir du triplement- des prix des terrains. Ces deux postes sont les principaux déterminants de notre prix de revient, que nous devons répercuter sur nos prix de vente, sans quoi nous vendrions à perte.

Aujourd'hui, si l'on veut faire baisser les prix, le salut viendra de la libération de terrains, notre matière première. Clairement, si l'on n'arrive pas à satisfaire les besoins de la population en logements, c'est parce qu'il n'y a pas de terrains constructibles dans un délai rapide ! Ce, alors que nous achetons plus de la moitié de nos terrains à des propriétaires publics…

Comment libérer ce foncier disponible ?

Ce pouvoir est principalement dans les mains des élus. Mais aujourd'hui, certains maires ont davantage intérêt à ne pas construire, sous peine de subir les critiques de leurs administrés. De surcroît, un logement représente parfois plus de dépenses que de recettes, que ce soit en matière d'aides publiques ou d'équipements (écoles, bibliothèques etc…).   

L'idée -intégrée initialement dans la loi pour un accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) de la ministre Cécile Duflot- de monter d'un cran dans l'élaboration du plan local d'urbanisme au niveau intercommunal était dans ce contexte positive. Notamment dans l'optique d'une réflexion sur les équilibres généraux entre emplois, habitats et mixité sociale. Mais malheureusement, le gouvernement a cédé face au Sénat qui a donné une minorité de blocage aux maires.

Des mesures ont par ailleurs été prises par ordonnance pour favoriser les constructions…

Certes, mais pour l'instant les ordonnances prises pour simplifier et accélérer le traitement des recours abusifs n'ont par exemple eu aucun effet. Nous concernant, 3.800 logements potentiels dont les permis de construire ont été déposés ne peuvent toujours pas voir le jour à cause de recours. En fait, tant qu'il n'y aura pas de jurisprudence qui sanctionnera lourdement un tiers pour un recours abusif, le processus de construction ne s'accélèrera pas. Concrètement, le choc de simplification annoncé n'a pas encore eu lieu.  

Le ministère du Logement a récemment publié des chiffres alarmants sur la construction de logements au troisième trimestre 2013. Qu'est ce qu'ils vous inspirent ?

Ce qui est angoissant, c'est moins la baisse de 7,5% du nombre de réservations à la vente, que l'effondrement de 33% des mises en vente qui préfigure d'une chute de la construction dans les prochains mois. Dans ce contexte de pénurie de logements qui s'aggrave, la croissance tendancielle des prix ne pourra que se poursuivre. La ministre du Logement Cécile Duflot peut réguler et encadrer les prix comme elle l'entend, sans offre elle ne les fera pas diminuer sur le long terme.  

Justement, quel jugement portez-vous sur la politique de la ministre du Logement?

Il faut savoir que le sujet du logement est très psychologique. Or le message général délivré par Cécile Duflot qui stigmatise les propriétaires et renforce la position des locataires est dissuasif pour l'investissement de long terme.

La ministre a par exemple  fait une erreur en expliquant que grâce à sa loi Alur, les loyers allaient diminuer de 25 %. Voyez plutôt : en 2011, notre clientèle était représentée aux deux tiers pas des investisseurs et au tiers par des acheteurs qui le faisaient pour eux. Cette année, nos ventes seront composées de plus de 60% d'acheteurs pour habiter et de moins de 40% pour investir. Et ce, uniquement à cause de la disparition des investisseurs.

Pourtant en début d'année, le dispositif "Duflot" - qui impose des plafonds de loyers - était plutôt loué par la profession …

Certes, le dispositif d'aide à l'investissement locatif dans le neuf dit "Duflot" est plutôt bon, il ressemble à s'y méprendre au dernier Scellier. Mais force est de constater que son démarrage est un peu lent.

Ainsi, nous constatons que seule la moitié de nos clients investisseurs utilisent le dispositif Duflot. En effet, si l'avantage fiscal de 18% sur 9 ans est important, il est lié à un plafond de loyer. Or, lorsque le plafonnement est largement en dessous du loyer de marché, le dispositif n'a aucun intérêt pour l'investisseur. C'est le cas à Paris et dans certaines villes de première couronne. En outre, le plafonnement des niches fiscales à 10.000 euros peut aussi être dissuasif.

Enfin, il faut dire qu'un certain nombre d'incertitudes ont subsisté depuis le lancement du dispositif, principalement sur ses conditions d'application (zonages, plafonds de loyers etc…). Pour qu'il puisse prendre son envol, le "Duflot" a désormais besoin que le gouvernement n'y touche plus. Nous demandons un moratoire sur les loyers pour que nos clients puissent s'endetter sur le long terme en connaissance de cause.