Immobilier : la crise du foncier, un mal bien français

Par Mathias Thépot  |   |  896  mots
Hors Paris intramuros, le foncier disponible est abondant en Ile-de-France
La politique foncière de la France est très spécifique en Europe. De multiples blocages subsistent pour libérer des terrains indispensables pour accroître l’offre de logements.

Le foncier est en quelque sorte la matière première du constructeur de logements. Malheureusement en France son potentiel est inexploité, alors même que le pays manque cruellement de logements (entre 800.000 et 1 million).

"Hors Paris intramuros et certaines communes très denses de la première couronne, il y a beaucoup de possibilité de construire en France", assure l'économiste Vincent Renard, directeur de recherche au CNRS, et spécialiste des questions de politique foncière. "En Ile-de-France par exemple, les différentes études réalisées montrent à chaque fois un potentiel pour construire plusieurs centaines de milliers de logements ! ", assure-t-il.

Un marché de croque-mort

Les terrains constructibles existent donc… mais ils ne sont pas disponibles. Le marché du foncier en France est en fait "un marché de croque-mort", selon l'expression de Vincent Renard. "Les terrains qui viennent sur le marché sont principalement le fait de décès, de faillites d'entreprises ou de séparations familiales", constate-t-il. Sans accident de la vie, les propriétaires fonciers n'ont en effet aucun intérêt à construire ou à céder leur terrain. "Ils ne paient même pas d'impôt dessus !", remarque Vincent Renard.

"Le seul comportement raisonnable dans ce cas est celui du bon père de famille qui attend que son terrain prenne de la valeur", ajoute-t-il. Bref,  les propriétaires fonciers ne sont pas vendeurs, car on ne leur impose rien. En France règne ainsi "la dictature du parcellaire", toujours selon l'expression de l'économiste, où les professionnels de l'immobilier guettent le moindre lopin sur le point de se libérer pour l'acquérir.

Malthusianisme foncier des maires

Si la politique foncière n'est pas aujourd'hui pensée de manière globale dans l'hexagone, c'est principalement parce que le pouvoir de construire appartient aux maires. Or, ceux-ci sont coupables de ne pas autoriser certaines opérations de logements, de crainte de se faire sanctionner aux prochaines élections par leurs administrés.
Ce malthusianisme foncier est particulièrement prégnant dans les communes périurbaines (en Ile-de-France notamment), où les ménages qui y emménagent le font pour le confort de vie et pour fuir les tumultes des centres-villes. Ils ne voient pas d'un bon œil les opérations de densification. "Un maire bâtisseur battu est une réalité de terrain très substantielle" dans ces communes, reconnaît Vincent Renard.

Le maire de Sceaux Philippe Laurent y voit même

"une évolution assez problématique des mentalités : la peur de l'arrivée de l'autre s'accentue ; et le sens du bien commun est un peu plus atténué chez un certain nombre de nos concitoyens qu'il ne l'était il y a quelques années".

Économiquement, les maires ont également davantage intérêt à favoriser l'implantation d'entreprises sur leurs sols, au détriment des logements, car elles génèrent davantage de rentrées fiscales et moins de dépenses publiques d'équipements (écoles, bibliothèques, aires de jeux, ect.. ).

Même après l'obtention d'un permis de construire, de multiples obstacles subsistent

Et même lorsque les maires donnent leur autorisation pour construire, les blocages liés à des recours contre les permis de construire ou à des formalités administratives sont légions. Ce qui fait dire à Vincent Renard que "les décisions d'urbanisme se jouent désormais entre l'avocat et le juge".

Comme la politique de l'urbanisme, la politique foncière doit être pensée au niveau de l'agglomération pour que soient harmonisés au mieux bassins d'emplois, habitations et mixité sociale.  L'absence de cohérence dans ces politiques a notamment permis à l'investissement immobilier de se développer dans des zones inappropriées, regrette Patrick Doutreligne, délégué général de fondation Abbé Pierre.

"Dans les années 2000, l'investissement immobilier, tiré par des dispositifs fiscaux, a fortement contraint l'aménagement du territoire car l'investissement était plus rentable hors des villes", explique-t-il.

Résultat, les bassins d'habitations se sont éloignés progressivement des bassins d'emplois. Un non sens absolu.

 La France, une exception européenne

La France devrait en fait s'inspirer de ce qui se fait ailleurs, là où aucune "dictature parcellaire" ne s'est imposée.

"Dans les pays du Nord, comme les Pays-Bas ou la Norvège, l'offre foncière est dictée par une politique de forte planification urbaine", note Vincent Renard. De même, "en Grande-Bretagne et en Allemagne, le pouvoir foncier est aux mains de l'agglomération", ajoute-t-il.

L'exemple allemand mérite que l'on s'y penche : lorsque les services locaux d'urbanisme ont décrété qu'un terrain est constructible, ils le signifient au propriétaire foncier par une lettre ; et lui donnent le choix soit de faire construire dessus, soit de le céder en échange d'un dédommagement approprié. En cas de refus du propriétaire, on peut aller jusqu'à l'expropriation pour cause d'utilité publique. Ce, toujours en échange d'une compensation financière.

En France il est donc temps "de mener une politique foncière sérieuse", exhorte Vincent Renard. En premier lieu, l'économiste milite pour "redéfinir la propriété foncière qui confère des droits et des devoirs. L'utilisation des sols est d'intérêt général, c'est une chose trop sérieuse pour être laissée au marché. On ne peut pas jouer avec le foncier".

Les élus auront-ils la même perception du problème ?