Immobilier : le partage de la propriété peut-il faire baisser les prix ?

Par Mathias Thépot  |   |  851  mots
La loi Alur favorise le développement du bail emphytéotique
Bail emphytéotique, démembrement de propriété, ces techniques séduisent les pouvoirs publics qui recherchent un moyen de mettre à disposition des habitants des logements à moindre coût.

Sur les marchés tendus, il est de plus en plus difficile de commercialiser des logements à prix décents correspondant aux besoins des habitants. D'où la nécessité de trouver de nouveaux montages financiers pour loger les habitants à moindre coût.
Pour ce faire, le partage de la propriété séduit de plus en plus les pouvoirs publics, avec des dispositifs comme le bail emphytéotique ou le démembrement de propriété, qui peuvent permettre d'alléger la charge financière des classes moyennes et modestes pour se loger.

Le bail emphytéotique pour faciliter l'accession dans les zones tendues

Le bail emphytéotique est notamment mis en avant dans la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur). Ce bail de longue durée (19 à 99 ans) qui dissocie le foncier du bâti, fait l'objet de l'article 164 de la loi. Il crée des organismes de foncier solidaire qui resteront propriétaires de leur terrain et consentiront à un preneur (un promoteur immobilier par exemple) "dans le cadre d'un bail de longue durée (emphytéotique ndlr) (…) des droits réels en vue de la location ou de l'accession à la propriété des logements, à usage d'habitation principale (…) sous des conditions de plafond de ressources, de loyers et, le cas échéant, de prix de cession". L'Agence départementale d'information sur le logement (Adil) de Paris préconisait déjà dans un rapport datant de 2012 le bail emphytéotique "pour faciliter l'accession dans les zones les plus tendues".

Acheter un bien décoté de 40%...

Les pouvoirs publics s'intéressent également de très près à l'usufruit locatif social (ULS) qui s'appuie sur le mécanisme de démembrement de propriété pour faire baisser le prix des logements. Le droit de propriété est ici partagé entre l'usufruit et la nue-propriété. Le droit d'usufruit permettant à une personne d'utiliser un bien et d'en percevoir les revenus, et la nue-propriété donnant la propriété du bien sans en avoir le droit d'usage ou d'en récolter les fruits ou revenus. L'usufruit locatif social est en général acquis pour une durée de 15 à 20 ans par un bailleur qui perçoit les loyers plafonnés et assure la gestion locative. "Il loue les logements à des ménages sous conditions de ressources, moyennant des loyers sociaux ou intermédiaires", explique Laurent Mogno, président de Perl, société spécialisée dans l'ULS. "Il prend également en charge, sur toute la durée, les frais, les travaux et les taxes", ajoute-t-il.

De son côté, l'acquéreur de la nue-propriété (un épargnant) achète le bien à un prix réduit par rapport à sa valeur en pleine propriété. En moyenne, un acquéreur en nue-propriété paie "60% de la valeur du bien", constate Laurent Mogno. La décote correspond en fait "au montant des loyers qui aurait été perçu en pleine propriété sur la durée de l'usufruit", ajoute-t-il. Intéressés, les pouvoirs publics ont ainsi récemment élargi le périmètre potentiel des investisseurs dans ce type de dispositifs. "La loi Alur donne la possibilité d'investir par l'intermédiaire des supports « pierre papier » (SCPI, OPCI, SIIC etc…)", se satisfait Laurent Mogno. La création imminente des contrats d'assurance-vie "Euro-croissance" devrait également permettre de drainer davantage épargne vers l'ULS.

Des dispositifs davantage développés en Angleterre

Si ces techniques de partage de la propriété ne sont pas assez développées en France, c'est en grande partie car ils ne sont pas ancrés dans la culture nationale. Le bail emphytéotique est à l'inverse très en vogue depuis des siècles en Angleterre, un héritage du système féodal, ou même en Chine, un héritage du droit communiste qui refusait l'appropriation privé du sol.

Autrement dit, comme l'indique une étude datant de 2011 de l'Agence nationale pour l'information sur le logement (Anil), "le bail emphytéotique correspond à la survivance de logique correspondant à un état social passé", et non à une innovation financière ayant pour but de faire baisser le coût du logement. Il n'y qu'à regarder l'évolution des prix de l'immobilier en Angleterre, et tout particulièrement la flambée récente des prix à Londres, où le partage de la propriété est très ancré, pour prouver que le bail emphytéotique n'est pas en soit un régulateur de prix sur la durée.

L'équilibre de l'opération est difficile

Certes, "le bail emphytéotique mérite d'être tenté", jugent l'Adil de Paris, mais "l'avantage ne sera réel que si les conditions financières de la mise à disposition du terrain sont nettement inférieures à une acquisition classique". L'association avoue que "l'équilibre de l'opération est difficile". Le risque étant de créer in fine des situations de rente pour les propriétaires fonciers déconnectées de l'intérêt du plus grand nombre.

Pour pérenniser les effets vertueux des dispositifs de partage de la propriété, les pouvoirs publics auront dont un rôle prépondérant.