Immobilier : faut-il encore favoriser l'accession à la propriété ?

Par Mathias Thépot  |   |  868  mots
Etre propriétaire réduit la mobilité sur le marché du travail.
La culture de l'accession à la propriété immobilière induit des effets pervers sur l'économie française.

D'un point de vue macroéconomique, la France a -t-elle intérêt à entretenir sa culture de l'accession à la propriété ? Cette obsession d'une grande partie des ménages français de devenir dès que possible propriétaire de son logement a participé à tirer les prix de l'immobilier vers le haut durant les années 2000, et à les maintenir à un niveau élevé depuis. Aujourd'hui; 58 % des ménages français sont propriétaires de leur résidence principale selon l'Insee, contre 55 % en 1994 et 52 % en 1984.

Cette hausse de la part des propriétaires dans le temps s'est faite par l'endettement à des taux de crédits immobiliers qui ont continuellement baissé, atteignant à peine plus de 2 % en moyenne cette année. La dette immobilière des ménages français rapportée à leurs revenus a ainsi doublé depuis le début des années 2000, note l'économiste Jacques Friggit. Autant d'argent phagocyté par l'immobilier - il y a 840 milliards d'euros d'encours de crédits immobiliers aux ménages en France - qui ne va ni « dans la consommation, ni dans une épargne qui serait réinjectée dans l'économie », regrette l'économiste Michel Baroin. « Si l'on arrivait à réinjecter, ne serait-ce qu'une petite partie de cette masse d'argent dans l'économie, ce serait considérable ! », ajoute-t-il.

Plus de propriétaires en France, c'est possible.

La plupart des ménages français, dès qu'ils peuvent entrevoir la possibilité d'acheter, se penchent sur la question de l'accession à la propriété. Et si la baisse des taux d'intérêt de crédits y a grandement participé, l'Etat a aussi joué un rôle de soutien par le biais de prêts à taux bonifiés (Prêts à taux zéro, prêt d'accession sociale) ou d'aides directes (APL Accession) de fait principalement destinés aux jeunes qui ont des ressources en moyenne plus faibles que leurs ainés. Et selon l'avis de tous les experts du logement, il y a encore un fort potentiel de croissance en France pour la propriété immobilière, notamment au regard des taux de propriétaires plus élevés de pays voisins ( Royaume-Uni, Italie, Espagne...)

Des effets secondaires pervers

Cependant, cette culture de la propriété, notamment chez les jeunes, a des effets secondaires pervers sur l'économie française. Car la propriété immobilière implique des coûts de mobilité élevés qui entraveraient l'efficacité de l'appariement sur le marché du travail. Les travaux de l'économiste Andrew Oswald ont notamment démontré le pouvoir de nuisance d'un taux de propriété immobilière trop élevé sur le fonctionnement du marché du travail.

Selon lui, « associée à des coûts de mobilité élevés, la propriété restreint la zone de prospection d'un demandeur d'emploi qui peut renoncer à une offre située loin de son domicile si le gain associé à la reprise d'emploi est inférieur au coût engendré par son déménagement ». « Le coût de mobilité engendré par la propriété peut également rendre les propriétaires qui ont un emploi moins enclins à chercher des opportunités plus intéressantes ou plus adaptées à leurs compétences qui pourraient améliorer la qualité de leur appariement et donc la productivité de l'économie », ajoute-t-il.

Confirmant les propos de l'économiste, une fameuse étude de 2011 du Credoc en partenariat avec le Medef disant que les problèmes de logement des salariés affectaient 40 % des entreprises.

Le coût de transaction en France est élevé

Or en France le coût de la transaction immobilière est un des plus élevés des pays de l'OCDE. En effet, aux prix des biens immobiliers en moyenne élevés dans les zones urbaines, viennent s'ajouter pour l'acheteur les droits de mutation à titre onéreux, la rémunération et les frais de notaires, ainsi que les commissions pour les intermédiaires. Alors que le vendeur doit pour sa part prendre en charge un diagnostic technique avant la vente.

Toujours selon Oswald, la propriété immobilière peut aussi induire des effets pervers sur la productivité au travail des propriétaires. En effet, celle-ci est affectée par la baisse de leur bien-être au travail car dans les zones tendues où les prix de l'immobilier sont trop élevés, ils « ont tendance à accepter des temps de trajets domicile travail plus importants, ce qui accentue la congestion sur les réseaux de transport ».

Faire comme en Allemagne

Autre argument avancé par Oswald : le pouvoir de nuisance d'un surplus de propriétaires. « Les propriétaires ont davantage tendance à recourir à des actions collectives que les locataires. Ils peuvent donc plus facilement empêcher l'installation ou l'extension d'une entreprise dans une zone résidentielle », juge l'économiste.

D'un point de vue macro-économique, il vaudrait donc mieux pour les ménages français, à l'instar de ce qui se passe en Allemagne, viser l'achat immobilier après avoir accumulé suffisamment d'épargne dans le temps, plutôt que de s'endetter dès l'entrée sur le marché du travail. Car il n'est du reste pas contestable que la propriété immobilière apporte une sécurité supplémentaire pour la retraite. Un argument fondamental pour les ménages français.