Comment les socialistes veulent teinter de rose le budget 2014

Par Ivan Best  |   |  1663  mots
Christian Eckert, rapporteur général (PS) du Budget, et la majorité ont bloqué la proposition visant à restreindre l'accès des grandes entreprises au crédit d'impôt recherche. | REUTERS
Mesures pour les ménages modestes, lutte contre l’optimisation fiscale : c’est en amendant le projet de budget 2014 que les députés PS de la commission des finances de l’Assemblée nationale tentent de rendre le texte plus acceptable par la majorité.

« Ils se taisent, pour ne pas semer le trouble dans la majorité, mais ils n'en pensent pas moins. Ce budget n'est pas vraiment de gauche à leurs yeux ; ils ne savent pas comment le vendre à leurs électeurs ». Voilà comment un député PS décrit l'état d'esprit de ses collègues, alors que commence l'examen du projet de loi de finances pour 2014, à l'Assemblée nationale.

Cette semaine, c'est la commission des finances qui est à l'œuvre, avant un examen en séance plénière à partir du 15 octobre. C'est ce mercredi que se sont décidés l'essentiel des changements, forcément à la marge, que pourront apporter les députés de la majorité au projet de budget. Des amendements qu'on peut résumer en deux mots : un peu moins d'impôt sur le revenu pour les ménages modestes, moins d'optimisation fiscale pour les plus riches.

 Une politique fiscale désormais favorable aux entreprises

Aux électeurs de gauche, il n'a pas échappé qu'en dépit des cris d'orfraie des milieux patronaux, la politique fiscale leur est aujourd'hui favorable. Tout aurait été plus simple pour le gouvernement, bien sûr, si la presse avait oublié d'estimer - aucun chiffre officiel n'a été présenté par Bercy - le montant total des hausses d'impôts sur les ménages en 2014, comparé à ce que paieront les entreprises.

Le calcul est vite réalisé : les premiers paieront entre 10 et 12 milliards d'euros de plus, les secondes… la même chose qu'en 2013, même en prenant en compte la hausse de la surtaxe d'impôt sur les bénéfices, qui passe de 5% en 2013, à 10,7% en 2014. Car cette surtaxe compensera des mesures « one shot », qui avaient alourdi exceptionnellement leurs impôts de 2013, et qui ne joueront plus l'an prochain.

La montée en puissance du CICE

Les entreprises paieront même beaucoup moins d'impôt, si l'on prend en compte la montée en puissance du Crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), voté fin 2012. L'Etat distribuera en 2014 près de 10 milliards d'euros à ce titre, sous forme de réduction d'impôt sur les sociétés ou de chèque, pour celles qui ne sont pas imposables, et les entreprises peuvent obtenir le financement, par avance, de 10 autres milliards que donnera l'Etat en 2015.

Cela compense largement les quelque 15 milliards d'euros d'impôts supplémentaires sur les entreprises votés en 2012, selon les derniers calculs de Bercy, dans le rapport économique et financier annexé au budget.

Un CICE financé pour une bonne partie via la taxation des ménages : hausse de la TVA le premier janvier 2014, pour un gain annuel de 6 milliards d'euros, hausse des taxes sur l'essence, surtout à compter de 2015, sur le gaz dès l'an prochain….

Une politique de l'offre qui passe mal au PS

C'est bien cela qui passe mal au PS : une politique de l'offre, financée par des prélèvements sur le pouvoir d'achat des ménages, que le député UMP Gilles Carrez, président de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, reconnaît « bonne sur le principe », et contre laquelle François Hollande avait fait campagne, durant les premiers mois de 2012.

Il y a plein accord sur ce sujet entre les sympathisants PS, leurs représentants, et les économistes du Parti socialiste, qui, comme Karine Berger, aujourd'hui secrétaire nationale du PS à l'économie ou Pierre Alain Muet, ont tout fait pour contrer l'idée même du CICE. Avant de se taire… Cette politique de l'offre passe d'autant plus mal que le patronat continue de crier à la surdose fiscale, niant quasiment les bénéfices du CICE.

Cazeneuve: se montrer ferme avec les entreprises

L'intervention du ministre du Budget, Bernard Cazeneuve, ce jeudi dans Libération, intervient dans ce contexte: il admet publiquement que les entreprises sont plutôt avantagées - ce que Bercy refusait d'admettre jusqu'à maintenant. "Contrairement à ce que j'entends, les entreprises bénéficieront en 2014 d'une baisse de leurs prélèvements", souligne-t-il. Et de citer le CICE, ainsi qu'une autre baisse, "à hauteur de deux milliards pour des mesures prises l'an dernier et non reconduites".

Le ministre ajoute, sans doute à destination du PS, qui critique la position d'un gouvernement pro-entreprises non payé en retour: "On a raison de tendre la main (aux patrons, NDLR), mais il ne faut pas tendre la joue".

 "Gauchir" le budget 2014

Aujourd'hui, le débat parlementaire se concentre donc sur des amendements visant à « gauchir », légèrement, le projet de budget. Dans la catégorie « moins d'impôt que prévu sur les ménages », il y a le maintien, finalement, des réductions d'impôts pour enfants scolarisés, et l'augmentation de 4% des plafonds de revenus pris en compte pour les exonérations d'impôts locaux (et de CSG pour les retraités).

En outre, la TVA sur les travaux d'isolation sera ramenée à 5,5% (une mesure à plus de 700 millions). Les députés PS estiment jouer ainsi sur 1,5 milliard d'euros. Mais le tout est constitué de mesures qui apparaissent symboliques.

 

Empêcher l'optimisation fiscale

Les autres mesures destinées à donner une couleur plus rose au budget visent les riches. Il ne s'agit plus de les taxer, cette période est passée, mais d'empêcher les comportements dits d'optimisation fiscale.

Ainsi, les députés reviennent à la charge sur la définition du plafonnement des impôts. Le total de l'impôt sur le revenu, de la CSG et de l'ISF ne peut dépasser 75% des revenus. Toute la question est de savoir comment définir ces revenus. Si une définition stricte est adoptée, des comportements d'optimisation peuvent permettre à des contribuables des les minorer artificiellement.

C'est pourquoi un amendement prévoit d'intégrer dans le calcul les revenus liés aux bons ou contrats de capitalisation (dont, au premier chef, ceux tirés de l'assurance vie). Le budget 2013 avait prévu une telle extension, mais plus large, qui avait été invalidée par le Conseil constitutionnel. Les députés espèrent, cette fois, échapper à cette censure.

Durcissement de l'exit tax

Dans un même état d'esprit, ils ont décidé d'intégrer dans l'assiette de l'exit taxe, cet impôt que doivent payer les contribuables s'installant à l'étranger, les contrats de capitalisation et autres placements de même nature, dont, là aussi, l'assurance vie.

Il s'agit de ne pas taxer seulement les entrepreneurs mais aussi "les contribuables très aisés qui décident de transférer leur domicile fiscal à l'étranger", selon le rapporteur général du Budget, Christian Eckert.

Fin de l'exonération totale des plus-values en cas de réinvestissement

Par ailleurs, la commission des finances a voté un durcissement du régime des plus-values mobilières. Jusqu'à maintenant, la taxation des plus-values réalisés sur des titres détenus depuis plus de huit ans était reportée, sous réserve d'un réinvestissement. "Ce dispositif a encouragé des montages fiscaux dans des holdings dont le but était d'effacer toute imposition", explique le rapporteur général du Budget, qui a donc proposé de le supprimer.

Taxe à 75% sur les riches salariés non déductible

Les grandes entreprises qui versent des rémunérations supérieures à un million d'euros à quelque 1.000 cadres dirigeants ne pourront pas la déduire de leur revenu imposable.

 

 La taxe sur les transactions financières élargie

Enfin, la commission  a adopté un élargissement de la taxe sur les transactions financières, qui porte, en France, sur les cessions d'actions. Les transactions dites "intra-day", celles qui sont dénouées au cours d'une seule et même journée, seront elles aussi taxées.Cette mesure, qui rentrerait en vigueur le 1er septembre 2014, "participerait au renforcement du produit de la taxe sur les transactions financières dont le rendement, désormais estimé à 0,6 milliard d'euros, est nettement inférieur à la prévision de 1,6 milliard d'euros", souligne le rapporteur général du Budget, le socialiste Christian Eckert, dans son exposé de l'amendement.

"Elle contribuerait également à limiter ces transactions déstabilisatrices, qui accentuent la volatilité du marché, en en réduisant l'intérêt financier", ajoute-t-il.

Une taxe augmentée sur les objets précieux

La taxe sur les objets précieux, appliquée lors des transactions, passera de 7,5% à 12%.

Un débat difficile sur le Crédit d'impôt recherche

En revanche, La commission des Finances a rejeté jeudi un amendement déposé par treize députés socialistes pour limiter le montant du Crédit d'impôt recherche dont bénéficient les grandes entreprises. Le CIR couvre actuellement 30% des dépenses de recherche et développement des entreprises jusqu'à 100 millions d'euros de dépenses dans ce secteur.

Ces treize députés socialistes de diverses sensibilités, parmi lesquels Karine Berger, Guillaume Bachelay, Henri Emmanuelli, Laurent Baumel, Pierre-Alain Muet, Sandrine Mazetier ou Olivier Faure proposaient que ce seuil de 100 millions d'euros s'apprécie au niveau du groupe et non plus de chaque entreprise.

Les groupes intégrés fiscalement "peuvent en effet faire entrer ou sortir des entreprises du périmètre de leur intégration afin de bénéficier plus largement du CIR", déplorent les députés dans l'exposé de leur amendement, soucieux de "recentrer cette dépense fiscale" et de limiter les stratégies d'optimisation.

Bercy bloque: pour défendre les entreprises?

Mais Christian Eckert, sans doute en accord avec le gouvernement, a bloqué cette tentative. S'agit-il d'un blocage définitif? Ou de la nécessité d'un temps de réflexion. "Sur  le crédit d'impôt recherche, "le travail continue" pour voir "si on peut le corriger dans le débat", estime l'un des porte-parole du groupe socialiste à l'Assemblée, Thierry Mandon.

Les députés signataires de l'amendement s'appuient pourtant sur un récent rapport sévère de la Cour des comptes sur cette niche fiscale généreuse, censée doper l'innovation en France, mais qui apparaît surtout à la Cour coûteuse et mal contrôlée.