Caisse noire de l'UIMM : ce que le procès n'a pas encore révélé

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  988  mots
Le procès de l'UIMM permettra-t-il de connaître l'intégralité des bénéficiaires des fonds détournés ?
Au procès des anciens dirigeants de l'UIMM, les syndicats de salariés sont désignés comme les bénéficiaires des fonds issus de la caisse noire. Ces ex responsables de la fédérations patronale tardent en revanche à évoquer les nombreux autres destinataires de leurs largesses. Les politiques notamment.

Au procès des anciens dirigeants de la fédération patronale de la métallurgie, l'UIMM, les syndicats de salariés sont en passe de devenir les… principaux inculpés. L'affaire UIMM" qui a éclaté en 2007 après une enquête menée par Tracfin, la cellule anti blanchiment de Bercy, vaut en effet aujourd'hui à ses anciens dirigeants de se retrouver devant la justice. Les juges cherchent à savoir où sont passés environ 16,5 millions d'euros, puisés dans la fameuse "caisse noire" de l'UIMM - de son vrai nom "Entraide professionnelle des industries de la métallurgie" (Epim) -, fondée en 1972 pour aider les entreprises du secteur confrontées à des conflits durs et alimentée par des cotisations facultatives des entreprises. Fin 2006, les fonds déposés sur l'Epim atteignaient… 600 millions d'euros. Et on sait qu'une partie de cet argent (au moins 16,5 millions d'euros donc) a servi à " fluidifier les relations sociales", selon l'expression de Denis Gautier-Sauvagnac - surnommé "DGS "- , alors président de l'UIMM, ainsi qu'à assurer "des complément de rémunération" en liquide à certains cadres de l'organisation patronale.

Au départ, "DGS" refusait de donner les noms des destinataires des fonds:

"Je ne veux pas impliquer des organismes ou des personnes physiques avec qui j'ai tissé des liens de confiance pendant toutes ces années. Ce serait les trahir .

 

Les ex-dirigeants de l'UIMM chargent les syndicats...

Puis, la tactique a évolué. Les dirigeants de l'UIMM ont décidé d'organiser un tir de barrage et de lâcher du lest en détournant l'attention vers les syndicats de salariés. C'est d'abord Arnaud Leenhardt, un autre ancien président de l'UIMM, qui, appelé comme témoin, a déclaré devant les juges "les cinq syndicats représentatifs étaient les destinataires des fonds". Des propos qui ont "libéré" Denis Gautier-Sauvagnac :  

"En réalité, je reconnais que je n'ai pas été assez clair jusqu'à présent et je confirme ici les propos d'Arnaud Leenhardt "

Et de préciser que ces aides versées aux syndicats s'effectuaient de deux façons : la première sous forme de chèques pour acheter au prix fort des espaces publicitaires dans des publications syndicales ou des stands à l'occasion d'un congrès par exemple ; la deuxième consistait en la remise de "liquide" de " façon plus discrète", selon DGS.

Depuis, les cinq confédérations syndicales (CGT, CFDT, CFTC, CFE-CGC et FO) ont donné de la voix pour démentir ces versements en liquide (c'est un peu différent pour les achats d'espaces publicitaires ou de stands), certaines - comme la CFDT - menacent même d'agir en justice si de telles accusations persistent.

Lire aussi:  "L'UIMM avait une caisse noire, elle a maintenant une grosse cagnotte"

Si les syndicats en " ont croqué", il est quand même étonnant que, pour l'instant, lors du procès des anciens dirigeants de l'UIMM, aucune autre organisation ou personne physique également destinataire des largesses de la fédération patronale ne soit citée.

... mais "oublient" pour l'instant les nombreux autres bénéficiaires

Pourtant, de très fortes présomptions existent. Des notes ont été retrouvées, prouvant que l'UIMM a largement participé au financement du RPR de Jacques Chirac. Tracfin a également constaté que les pics de sorties d'argent liquide coïncidés avec les campagnes électorales de 2002 et 2007…

De nombreux indices permettent aussi d'avancer que les sommes de l'Epim ont servi à "arroser un certain nombre d'élus, surtout de droite - mais pas seulement - , à financer des campagnes électorales, à boucher les trous d'organismes amis tels que les officines anticommunistes, ou encore à mettre un peu de beurre dans les épinards de quelques retraités "*….

Comme d'ailleurs l'a reconnu lui même Jacques Gagliardi, ex-responsable des relations extérieures de l'UIMM, qui a perçu une "enveloppe" de 76.000 euros au moment de son départ à la retraite, puis encore…15.244 euros par mois après (toujours "au noir ").

Parfois aussi, Denis Gautier- Sauvagnac, l'a timidement évoqué, Il s'agissait de payer le salaire d'un attaché parlementaire d'un député "ami" (celui qui défend un amendement  livré clé en main par l'UIMM). Dans d'autres cas:

"ces fonds ont aussi financé des opérations plus classiques de relations publiques ou couvert les frais de représentation du délégué général de l'union ou se son adjoint, soucieux de s'attirer les bonnes grâces de certains médias, de chefs de parti, de syndicalistes et même d'intellectuels, en particulier de sociologue prêts, à défaut de notoriété, à monnayer leurs compétences".*

Quand une ancienne chargée de mission de la métallurgie "balance"

A cet égard, le témoignage en 2008 devant le juge Roger Le Loire, chargé de l'affaire UIMM, d'Annick Lepage*, ancienne chargée de mission de la Fédération des industries mécaniques (FIM), l'une des composantes de l'UIMM, est symptomatique. Cette dame, licenciée de son poste en 2001 pour avoir dénoncé le système, raconte par le menu comment était détournée par l'organisation patronale une partie de l'argent normalement destiné à la formation professionnelle (stages bidons, surfacturation, etc.). Elle évoque aussi l'Epim qui a servi à monter des opérations de prestige comme celle du 23 septembre 1997, quand l'UIMM s'est "offert" le Palais omnisports de Bercy  à Paris pour un " forum de l'emploi des jeunes" où étaient réunis plus de 12.000 participants venus de la France entière.

Alors, peut-être les syndicats de salariés sont-ils "coupables" d'avoir accepté des fonds de l'UIMM mais espérons que les suites du procès vont permettre également de révéler les autres bénéficiaires des " largesses "du patronat de la métallurgie. Question d'équité.

* Ces citations, ainsi que les révélations d'Annick Lepage sont extraites du très complet ouvrage rédigé par un collectif de journalistes " Histoire secrète du patronat de 1945 à nos jours" (Editions La Découverte, 720 pages, prix : 25 euros).