Faut-il déjà réformer le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi ?

Par Fabien Piliu  |   |  1183  mots
Bercy a rejeté toute idée d'amender le dispositif actuel du CICE
Comme le crédit impôt recherche (CIR), le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) est remis en cause par une partie de la majorité lors de l’examen du projet de loi de finances 2014 à l’Assemblée nationale. Certains députés veulent en limiter le bénéfice aux entreprises les plus exposées à la concurrence internationale.

C'est l'une des conséquences de la rigueur : une niche fiscale onéreuse pour les finances publiques est forcément contestée. Comme le crédit impôt recherche (CIR) qui a été évalué une bonne dizaine de fois depuis son rajeunissement en 2007, le crédit impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) lancé en février est également dans le viseur des parlementaires.

Alors que son impact sur l'économie ne sera pas correctement estimé avant plusieurs années, c'est son coût qui fait réagir certains députés. Celui-ci s'élèvera à 9,76 milliards d'euros précise le projet de loi de finances 2014, faisant du CICE la niche fiscale la plus immortante pour les finances publiques, loin devant le CIR dont le coût pour la collectivité passera de 3,35 à 5,4 milliards entre 2013 et 2014. Le CICE concerne toutes les entreprises employant des salariés soumises à un régime d'imposition et qui porte sur la masse salariale n'excédant pas 2,5 SMIC. Il s'élève à 4% en 2013 et passera à 6% à partir de 2014. 

Tensions dans l'Hémicycle

Jeudi soir, lors de l'examen du projet de loi de finances 2014, une partie de la majorité, l'aile gauche du Parti socialiste précisément, a déposé un amendement pour moduler cette aide aux entreprises en fonction de leur exposition à la concurrence internationale, sans cependant les définir. En contrepoint, il s'agit donc d'exclure les entreprises et les secteurs protégés comme la grande distribution, la Poste ou les professions règlementées comme les notaires et les taxis qui ne sont pas confrotés à des risques de délocalisation.

La réaction des défenseurs du CICE a été vive et immédiate.

« Je n'imagine pas un seul instant qu'un parlementaire avisé puisse signer un amendement qui ne tiendrait pas une seconde devant la Commission européenne. On peut avoir une discussion café du commerce, il n'y a pas de problème », a lancé Christian Eckert, le rapporteur du Budget à Jérôme Guedj, co-auteur de l'amendement avec vingt-quatre autres députés du PS.

Un crime de lèse-majesté pour Bercy

Bernard Cazeneuve, le ministre délégué au Budget n'a pas non plus goûté l'initiative. « Votre amendement, c'est juste pour affirmer un positionnement dans l'hémicycle. Votre amendement a été défendu, vous avez pu faire ce dont vous rêviez ce soir, a-t-il déclaré, avant que cet amendement soit finalement retiré.

De nombreuses questions restent posées

Bien qu'il soit désormais clos, ce débat pose néanmoins quelques questions intéressantes. Le CICE est-il un outil efficace pour stimuler l'emploi et la compétitivité sachant que selon les données recueillies par La Tribune et datées d'octobre, Bpifrance avait déjà accepté 10.720 dossiers de préfinancement pour un montant de 927 millions d'euros depuis le lancement du dispositif en février ?

"Tout dépend des objectifs que l'on se fixe", avance Denis Ferrand au COE-Rexecode. "Si l'objectif principal est de stimuler l'emploi dans un horizon de temps très court, le CICE est intéressant", avance-t-il. L'Insee, dont les travaux reposent sur les observations portant sur des mesure similaires au CICE, en particulier celles consistant à réduire le niveau des charges salariales, estime à 15.000 le nombre d'emplois qui devraient être créés grâce à ce dispositif au second semestre. A titre de comparaison, plus de 55.000 contrats d'avenir avaient été signés en septembre selon le rapport d'information de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale. le gouvernement espère la signature de 100.000 contrats de ce type d'ici la fin de l'année.

Mais, à plus long terme, de nombreuse études, dont celles menées par l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)  indiquent que les dispositifs d'allègement de charges sur les bas salaires conduisent à augmenter la part de l'emploi non qualifié dans l'emploi total. Or, les économistes s'accordent à penser que la remontée de l'emploi non qualifié n'est pas compatible avec le redressement de la compétitivité d'une économie.

Sachant que ce sont les plus petites entreprises qui bénéficient du CICE - les micro-entreprises concentrent 85% des gains sur la masse salariale selon le Comité de suivi du CICE , et que l'industrie ne récolte que 20% de ces gains, le CICE peut-il redresser la compétitivité tricolore ?

C'est assez peu probable. Le CICE ne concernant que les salaires inférieurs à 2,5 SMIC, il ne peut aider les entreprises à alléger le coût du travail des chercheurs et des chargés d'affaires à l'international dont les salaires dépassent bien souvent ce plafond. C'est la raison pour laquelle le rapport Gallois plaidait pour des allègements de charges pour les salaires jusqu'à 3,5 SMIC.

Les frondeurs ont-ils raison ?

Dans ce contexte, la question soulevée par les députés frondeurs est-elle pertinente ? Faut-il recentrer le CICE sur les entreprises effectivement soumises à la concurrence internationale et délocalisables, notamment l'industrie ? Si l'enjeu est la compétitivité future de l'économie française, qui représente le meilleur vecteur d'emplois durable, cette proposition semble avoir du sens.

A Bruxelles, verrait-on cette initiative d'un bon œil ?

"Si le nouveau dispositif recentré concerne une assiette suffisamment large d'entreprises et de secteurs, le risque que Bruxelles le considère comme une aide d'Etat susceptible de fausser la concurrence est assez faible. Et même si tel était le cas, rien ne dit que la Commission européenne s'y oppose", indique Benoît le Bret, associé au cabinet Gide à Bruxelles.

Ne serait-il pas plus simple de lever ce plafond de 2,5 SMIC tout en conservant l'enveloppe budgétaire de 20 milliards d'euros, permettant ainsi d'alléger l'ensemble des salaires, même ceux des emplois plus qualifiés ?  Denis Ferrand doute de l'efficacité de cette mesure. "Ce serait du saupoudrage. Plus on grimpe sur l'échelle des salaires, plus l'élasticité de l'emploi sur son coût est faible", avance l'économiste. En clair, alléger le coût des salaires élevés favorise peu l'emploi total.

L'instabilité de la fiscalité tricolore

Toutefois, si le gouvernement devait se résoudre à réformer un jour le CICE dans le sens souhaité par les 24 députés signataires de ce fameux amendement, n'apporterait-il pas de l'eau au moulin de ceux qui, à l'étranger notamment, critiquent l'instabilité de la fiscalité française ?

Par ailleurs, ne risquerait-il pas de casser un dispositif qui monte enfin en puissance après un début plutôt délicat ? La notoriété du CICE dont le lancement fut officiel en février a en effet souffert de la polémique sur d'éventuelles contreparties. Afin de lutter contre les effets d'aubaine pour les entreprises, l'aile gauche de la majorité réclamait à l'exécutif la mise en place de contreparties avant que François Hollande ne mette un terme à la discussion en excluant ce principe de donnant-donnant.

Le développement du CICE a également souffert de la lenteur des banques à proposer le préfinancement de ce dispositif à leurs clients, celles-ci ayant très peu à y gagner. Un retard qui s'explique également par le peu d'empressement de l'administration à rédiger la charte relative à ce préfinancement.