Fonction publique : un léger parfum de réforme

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1618  mots
Après la remise du rapport Pêcheur, la ministre dela Fonction publique va engager une longue négociation avec les syndicats pour "tout remettre à plat". (Crédits : AFP)
Le conseiller d'Etat Bernard Pêcheur a remis au Premier ministre son rapport sur "l 'évolution de la fonction publique". Il défend le maintien du régime des fonctionnaires mais propose de s'inspirer des règles du privé pour mieux gérer les quelque 5,2 millions de fonctionnaires. Il suggère aussi de faciliter la mobilité des agents en fusionnant des corps et en créant des corps communs aux différentes fonctions publiques. Ce que les syndicats ne devraient pas apprécier.

Reportée d'une semaine en raison de la crise bretonne, c'est ce lundi 4 novembre que le rapport du Conseiller d'Etat, Bernard Pêcheur, sur "l'évolution de la fonction publique dans les années à venir" a été remis au Premier ministre… Non sans une certaine appréhension du côté des syndicats.

De fait, ce rapport très complet de plus de 240 pages s'emploie à cerner les "évolutions des modes de recrutement, de rémunération, de gestion et d'organisation des carrières ainsi que des parcours professionnels" des quelque 5,2 millions de fonctionnaires des trois fonctions publiques (Etat, collectivités, hospitalière). Il doit surtout servir de point de départ à une longue et profonde concertation entre la ministre de la Fonction publique, Marylise Lebranchu, et les organisations syndicales pour totalement repenser l'organisation de la fonction publique.

Une concertation qui doit débuter le 5 novembre et qui devrait se déroulerr sur près de deux ans. Etant entendu que la négociation proprement dite ne s'engagera qu'en mai 2014. Et c'est ce  jeudi 7 novembre que le rapport Pêcheur sera présenté officiellement aux syndicats.

"Un vrai catalogue de La Redoute"

C'est finalement Thi-Trinh Lescure (syndicat Solidaires) qui était le plus dans le vrai en imaginant que le rapport Pêcheur ressemblerait "à un vrai catalogue de La Redoute". C'est en effet le cas. Les propositions du Conseiller d'État concernent absolument tous les aspects de la fonction publique (déontologie, recrutement, mobilité, rémunération). Mais, a priori, contrairement à certaines craintes exprimées par les syndicats, aucune des recommandations ne semblent très provocantes... sauf peut-être sur la création d'un corps commun à deux ou trois fonctions publiques.

D'entrée de jeu, le rapporteur rappelle en effet son attachement à préserver le statut général des fonctionnaires, tout comme il préserve la notion de fonction publique de carrière. En revanche, Bernard Pêcheur insiste fortement sur le besoin de faciliter à outrance la mobilité des fonctionnaires et sur le nécessaire besoin de réenclencher le mouvement de fusion des corps.

 Faciliter les passages entre les trois fonctions publiques

Ainsi, et c'est l'une des mesures la plus sensible, le rapport suggère de de créer des "cadres professionnels communs à deux ou trois fonctions publiques", ce qui conduirait en fait à fusionner certains corps.

"Ces cadres professionnels trans-fonctions publiques ont vocation à réunir, en les fusionnant, les corps ou cadres d'emploi qui, bien que relevant de fonctions publiques différentes, correspondent aux mêmes professions. (…). Au sein d'un cadre professionnel, les fonctionnaires serviraient en situation normale d'activité. Ils seraient donc directement affectés sur un emploi de l'une des fonctions publiques concernées. Les mouvements s'opèreraient par mutation, y compris entre deux fonctions publiques. Pour les fonctionnaires appartenant à ces cadres professionnels, les régimes indemnitaires resteraient fixés par les règles régissant la collectivité publique employeuse. Chaque collectivité employeuse resterait également libre de décider des avancements des fonctionnaires affectés en son sein".

Les fonctionnaires appartenant à un cadre professionnel seraient recrutés par un concours unique. Le nombre de postes ouverts au concours serait égal à la somme des besoins de chaque fonction publique concernée par le cadre professionnel. Le concours serait financé par chaque fonction publique au prorata des postes dont elle a demandé l'ouverture.

Les formations seraient communes ou comporteraient des cycles communs. Une proposition qui pourrait faire " tiquer" les syndicats, très attachés au maintien des corps pour éviter une gestion trop individuelle des carrières.

Il reste aujourd'hui 333 corps dans la fonction publique

Sur ce même sujet, le rapport Pêcheur propose également de " lever les derniers obstacles à la mobilité entre les trois fonctions publiques ", notamment en

" abrogeant les dispositions législatives qui prévoient que le fonctionnaire réintégré dans son corps d'origine après un détachement conserve le grade et l'échelon dont il avait pu bénéficier durant son détachement".

Bien entendu, donc, afin de décloisonner la fonction publique, le rapport suggère de "relancer la politique de fusion des corps, de créer dans certains cas des commissions administratives paritaires communes et développer les corps interministériels à gestion ministérielle, en en faisant des « cadres professionnels interministériels". Il y a actuellement 333 corps dans la fonction publique. 327 ont été supprimés entre 2005 et 2011. Et il ne devrait en avoir plus que 230 en 2018.

 Le rapport Pêcheur, très prudemment, développe aussi un certain nombre de mesures destinées à rapprocher la gestion des trois fonctions publiques, toujours  pour faciliter la mobilité des fonctionnaires. Il suggère ainsi de :

  •  Créer un portail internet unique qui intègre ou fédère les portails existants de bourses et les complète pour permettre d'avoir connaissance de tous les emplois publics vacants à chaque instant.
  •  Instituer un répertoire commun des emplois permettant d'harmoniser les répertoires d'emplois existants dans les différentes fonctions publiques.

    Mieux encadrer les possibilités de recours à des non titulaires.

    Afin d'éviter l'instauration d'une "fonction publique bis ", Bernard Pêcheur veut

  • " affirmer dans la loi, pour les trois fonctions publiques, que le recrutement de contractuels pour occuper des emplois permanents du niveau de l'actuelle catégorie A n'est possible que sous réserve qu'aucun fonctionnaire n'ait pu être recruté ". Il propose aussi de " ne pas exclure, après avoir mené une évaluation, de reconduire les dispositifs de recours à l'intérim, plutôt que de laisser se reconstituer des effectifs trop nombreux de contractuels à durée déterminée ".

Des mesures de gestion des fonctionnaires inspirées du privé

Par ailleurs, a fin d'optimiser la gestion des effectifs des trois fonctions publiques, le rapport Pêcheur émet un certain nombre de propositions inspirées des mesures applicables dans les grandes entreprises privées, notamment en développant les notions d'études  d'impact et de " reporting". Il propose ainsi :

  • De garantir la transparence et la régularité des régimes indemnitaires et procéder à leur audit, tous les cinq ans, dans les trois fonctions publiques. Sachant que pour certains corps, les indemnités (c'est-à-dire les primes) peuvent atteindre jusqu'à près de 40% de la rémunération totale.
  • Développer les démarches de gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences.
  • Renforcer, dans les études d'impact accompagnant les projets de lois, l'analyse des conséquences du texte en termes d'emploi public, en particulier en ce qui concerne les qualifications et les besoins de formation.
  • Inscrire dans la loi que les négociations salariales auxquelles participent les organisations syndicales de fonctionnaires sont « conduites par le Gouvernement, après consultation des représentants des administrations de l'Etat, des employeurs publics territoriaux et des employeurs publics hospitaliers.
  • Débattre au sein du Conseil commun de la fonction publique, en lien avec la réflexion prospective conduite périodiquement, des plans d'action de moyen terme à mener, notamment en matière de formation des agents, de modalités d'exercice des professions, d'organisation du travail

 

 Définir un nouveau cadre salarial

 Last but not least, le rapport Pêcheur s'attaque au monumental et opaque problème de la rémunération des fonctionnaires. Il propose un ensemble de mesures, parfois très techniques, pour harmoniser différents barèmes et faciliter le mécanisme d'avancement. Il s'agirait ainsi de :

  •   Caractériser chaque corps ou cadre d'emploi par un  niveau de fonctions »qui correspondrait, selon le cas, soit au diplôme détenu, soit à la nature des missions et des responsabilités exercées.
  • Mettre en place pour chaque corps ou cadre d'emploi deux paliers de recrutement, le premier pour les personnes sans expérience professionnelle, le second pour celles ayant acquis une expérience professionnelle dans la fonction publique ou le secteur privé.
  • Maintenir, voire développer les bonifications d'ancienneté afin de remédier aux difficultés d'affectation des fonctionnaires dans des territoires " difficiles"ou à faible attractivité
  • Recourir aux différents leviers d'une politique salariale dynamique et responsable : rémunération indemnitaire, mesures catégorielles de grille, mais aussi mesures générales.
  • Rechercher la conclusion avec les organisations syndicales d'un " contrat social triennal" qui porterait sur les grandes orientations salariales et les autres chantiers transversaux à incidence budgétaire (ajustements de grille, réformes indemnitaires ayant une dimension transversale, action sociale).

 

Enfin, afin d'éviter l'éternelle course poursuite entre l'évolution du Smic et l'évolution du traitement de la fonction publique le plus bas, le rapport Pêcheur conseille " lorsque le contexte économique et budgétaire ne permet pas d'adopter des mesures générales assurant une progression suffisante des traitements les plus bas, laisser jouer à titre conservatoire le mécanisme d'indemnité différentielle du décret n°91-769 du août 1991 ainsi modifiée, plutôt que de relever le bas de la grille pour aligner le minimum de traitement indiciaire sur le SMIC ".Il suggère aussi d'inclure dans l'assiette de comparaison entre la rémunération de l'agent public et le SMIC, outre le traitement indiciaire, les indemnités correspondant à un travail effectif ».

Un long rapport, très complet, mais qui ne rompt pas avec les principales règles actuellement en vigueur dans la fonction publique. Ce sont les dispositions sur la mobilité entre corps et la création de corps communs qui devraient "gêner" les syndicats. Ceux-ci, en revanche, risquent d'être déçus par les propositions salariales.