Détachement des salariés : accord à Bruxelles pour combattre les abus

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1060  mots
Michel Sapin, le ministre français du Travail, a été en pointe sur la nécessité de mieux encadrer le détachement de salariés étrangers
Les 28 ministres du Travail européens réunis à Bruxelles ont finalement trouvé un accord pour lutter contre les abus dans les recours à des travailleurs détachés. Deux camps s'affrontaient au sein de l'Union sur ce sujet. Sept pays ont d'ailleurs voté contre ce compromis.

Ce n'était pas gagné, tant les divergences au sein de l'Union européenne apparaissaient profondes.  Pourtant, les 28 ministres du Travail des pays de l'Union européenne  réunis à Bruxelles pour tenter de définir une "directive d'application" tendant à préciser la directive de 1996 sur le régime des salariés européens détachés provisoirement dans un autre de l'Union, ont fini par trouver un "accord général" ce lundi soir  dont on ne connaît pas encore le détail précis. Mais une chose est certaine: les pays pourront fixer librement la liste des documents demandés à une entreprise étrangère qui souhaite détacher des salariés sur son territoire et donneurs d'ordre et sous traitants auront une responsabilité solidaire en cas de fraude. Sept pays ont voté contre mais la Pologne qui dispose de 25 voix (27 pour la France) sur un total de 357, a fini finalement par se rallier au texte.

Préciser la directive de 1996 sur le détachement

L'enjeu des débats? Réaménager un texte qui prévoit qu'une entreprise peut envoyer provisoirement des salariés dans un autre pays de l'Union européenne (UE), à condition d'appliquer certaines règles du pays d'accueil (salaires, conditions de travail). Problème : pendant une durée deux ans, ce sont les règles de protection sociale du pays d'origine qui peuvent continuer de s'appliquer.

Résultat, ces salariés et leurs employeurs n'ont à acquitter aucune cotisation sociale à la Sécurité sociale française ce qui peut conduire à des situations de "dumping social" de moins en moins acceptées alors que les plans sociaux se multiplient en France. Selon le ministère du Travail, le nombre de salariés étrangers détachés en France serait 210.000 en 2013 contre 170.000 en 2012 (+23%) . Et plus de 12.000 situations frauduleuses auraient été détectées.

En raison de ces  abus, une partie des 28 ministres du Travail souhaitaient donc apporter "des correctifs à la directive". Deux fronts se dessinaient. Les pays favorables à plus de contrôles, comme la France, à la pointe du combat, et ceux qui craignent de mettre en place un cadre trop contraignant, remettant progressivement en cause le principe du détachement. Parmi eux, on comptait plusieurs pays de l'Est (Pologne, Hongrie, République tchèque...), ainsi que le Royaume-Uni et l'Irlande.*

"Liste ouverte" contre "liste fermée"

Deux points surtout focalisaient les débats. Le premier est l'idée, défendue notamment par Paris ou Berlin, d'une "liste ouverte" des documents qui peuvent être réclamés à une entreprise détachant des travailleurs, en opposition à une "liste fermée", que souhaite notamment le Royaume-Uni. En d'autres termes, la "liste ouverte" permettrait à chaque pays de demander les documents de son choix à une entreprise étrangère qui souhaite détacher des salariés dans un pays d'accueil.

A l'inverse, la " liste fermée" serait fixée par la directive européenne et applicable par tous les pays qui ne pourraient pas demander de documents complémentaires. Pour la Grande-Bretagne et les pays d'Europe centrale, cette liste fermée éviterait que des pays dressent des barrières supplémentaires au détachement..

Le second point est celui de la responsabilité solidaire des donneurs d'ordre en cas de sous-traitance dans le secteur de la construction, Paris souhaitant qu'elle soit "obligatoire" et non "optionnelle", ce que certains États refusent.

Une adoption à la majorité qualifiée

La majorité pour parvenir à ces modifications semblait difficile à réunir. Concrètement, chaque État bénéficie pour le vote d'un nombre de voix proportionnel à sa taille. Pour parvenir à la majorité qualifiée, il faut obtenir 260 voix. Le ministère du Travail français reconnaissait qu'il y avait avant l'ouverture des discussions une "minorité de blocage". In fine, si seppays ont bien voté contre (le Royaume-Uni, allergique à toute nouvelle réglementation pour les entreprises, ainsi que la Hongrie, la République tchèque, la Lettonie, l'Estonie, la Slovaquie et Malte), le ralliement  de la Pologne a finalement fait pencher la balance en faveur du camp mené par la France. Il y aura donc bien une "liste ouverte" qui permettra à chaque pays de fixer les critères pour accepter un détachement sur son territoire. D'autres part, dans la construction, le donneur d'ordre sera solidaire du sous traitant en cas de fraude. Cette règle sera obligatoire pour chaque pays et non "optionnelle" comme l'espérait la Grande-Bretagne et ses alliées. 

Des Eurodéputés pour une remise en cause de la directive de 1996

D'autres voix s'élèvaient pour aller beaucoup plus loin que le replâtrage souhaité par la France. Ainsi l'eurodéputées PS, Pervenche Berès, présidente de la commission sociale du Parlement européen, plaide ouvertement dans une interview sur le site EuroActiv.fr pour une révision de la directive de 1996 elle-même :

" Aujourd'hui la position de la France consiste à rétablir un minimum d'équité, même si c'est une position moins ambitieuse que celle du Parlement européen". 

Par ailleurs, environ 250 militants syndicaux se sont rassemblés devant le siège du Conseil européen, à Bruxelles pour dénoncer une "Europe sociale à deux vitesses".

En France , plusieurs politiques de gauche ainsi que des syndicalistes, emmenés par des parlementaires comme Jérôme Guedj, marie-Noëlle Lienemann (PS) ou Patrick Le Hyaric (PC), ont lancé un appel (https://www.gaucheavenir.org/) contre le "dumping social ". Ils estiment que

"devant cette situation inacceptable, des décisions urgentes s'imposent". Les signataires de l'appel demandent au gouvernement de "suspendre immédiatement la mise en oeuvre" de cette directive et de "restaurer les contrôles et l'autorisation préalable avant toute intervention des salariés d'une entreprise étrangère en France, en particulier dans les secteurs où les abus actuels sont manifestes".

 

Un thème pour les prochaines élection européennes

Ils réclament que "le Conseil européen des 20 et 21 décembre prochains (réunion des chefs d'État) se saisisse de la question et qu'il décide des mesures conservatoires immédiates et la révision au fond de cette directive, en instaurant le principe d'obligation pour une entreprise étrangère de respecter l'ensemble des droits sociaux et fiscaux des pays où s'effectue le travail.

Ils plaident enfin pour une possibilité des États membres à "faire appel à une clause de sauvegarde et de prendre des dispositions compensatrices des distorsions de concurrences sociales".