Pourquoi la France doit enfin se doter d'une politique maritime

Par Fabien Piliu  |   |  1069  mots
La zone économique exclusive des îles Saint Paul et Amsterdam s'élève à 506.000 kilomètres carrés
La France dispose du deuxième domaine maritime mondial, derrière les Etats-Unis. Pourtant, les gouvernements successifs n’ont pas été capables de construire une politique maritime digne de ce nom, préférant tenter de dupliquer le modèle économique allemand basé sur le développement de l’industrie à l’export. En plusieurs volets, La Tribune enquête sur cet « oubli » de la politique économique gouvernementale et sur les opportunités de développement qu’offrent nos territoires ultra-marins. Premier volet : la France est le seul pays au monde présent sur les quatre continents.

Savez-vous que la France dispose du deuxième domaine maritime mondial, juste derrière les Etats-Unis ? Si la France terrestre est un nain, ses 640.000 kilomètres carrés ne représentant que 0,43% de la surface terrestre du globe¸ elle est une géante si on tient compte de ses territoires émergés et immergés. Leur surface s'élève à 11 millions de kilomètres carrés, ce qui fait de la France la deuxième puissance maritime mondiale, juste derrière les Etats-Unis, pour 300.000 kilomètres carrés d'écart !

La France est le seul pays au monde présent sur quatre continents

Parce que ses territoires, hérités pour la plupart de son passé colonial, sont éparpillés à travers le globe, elle est aussi le seul pays au monde à pouvoir afficher sa présence sur quatre continents. Seule l'Asie lui échappe. Une situation qui pourrait être compensée à condition que les liens tissés lors de la période coloniale soient réactivés. Comme la Grande-Bretagne, jusqu'au début du vingtième siècle, la France est le seul pays dont le drapeau ne voit jamais le soleil se coucher.

" La France-sur-mer, c'est dix-huit fois et demie la surface du territoire national métropolitain ! " calculent Philippe Folliot et Xavier Louy dans leur ouvrage intitulé France-sur-Mer, un empire oublié » *, classant la France, qui est le quarante-troisième pays au monde par sa superficie terrestre, au sixième rang mondial si l'on intègre les surfaces maritimes. Sont devancés le Brésil, la Chine et l'Inde.

Source : Ifremer

Source : Ifremer

Les Nations Unies distinguent plusieurs catégories de zone d'influence

Mais comment se compose cet espace maritime gigantesque ? Régie par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) signée à Montego Bay en Jamaïque en 1982 et ratifiée en 1996 par la France, la souveraineté des Etats dans le domaine maritime distingue plusieurs catégories de régimes juridiques selon le critère de l'éloignement des côtes.

Il faut donc distinguer plusieurs zones : les eaux intérieures, situées en-deçà de la ligne de base, c'est-à-dire la limite des zones toujours couvertes par la mer quelle que soit la marée. La souveraineté y est totale. Dans les eaux territoriales, qui sont comprises entre la ligne de base et une distance maximale au large de 12 milles marins, soit 22,2 kilomètres, l'Etat côtier est alors seul bénéficiaire de l'exploitation du sous-sol, des fonds marins et des eaux surjacentes avec ses ressources halieutiques de cette zone. Dans ces eaux, les navires étrangers y disposent d'un droit de passage inoffensif mais qui peut être suspendu temporairement par l'Etat souverain pour des raisons de sécurité intérieure.

La CNUDM a également consacré la " zone contigüe " qui prolonge se 12 milles supplémentaires les eaux territoriales. C'est une sorte de zone tampon où l'Etat souverain peut effectuer légalement des contrôles afin de sanctionner les infractions à ses lois et règlements douaniers, fiscaux, sanitaires ou d'immigration sur son territoire ou dans sa mer territoriale.

Le très intéressant régime de la zone économique exclusive (ZEE)

L'Etat côtier dispose avec le régime de la zone économique exclusive (ZEE) de droits souverains aux fins d'exploration et d'exploitation , de conservation et des gestion des ressources naturelles, des eux surjacentes aux fonds marins, des fonds marins et de leurs sous-sol au-delà de 24 milles au large des côtes nationales et jusqu'à un maximum de 200 miles, soit 370 kilomètres à partir des lignes de base !

Sans surprise, la plupart des Etats, dont la France, ont opté pour la limite maximale ! Grâce à cette convention, les territoires ultra-marins offrent à la France 97% des 11 millions de ses ZEE. " L'île inhabitée de Clipperton, territoire parmi les plus isolés au monde, perdue dans l'océan Pacifique nord à 12.000 kilomètres de Paris, offre à la France une ZEE de 440.000 kilomètres carrés pour une surface terrestre de 2 kilomètres carrés... à comparer à la ZEE de la France métropolitaine, qui plafonne à 350.000 kilomètres carrés ", précisent Philippe Folliot et Xavier Louy.

Concrètement, 99 % de la population française est économiquement directement concernée  par moins de 10 % des ZEE. Parmi les autres, départements d'outre-mer (DOM) et Clipperton mis à part, toutes ces terres sont situées dans l'hémisphère Sud. Le quart d'entre-elles relève de territoires qui, selon la terminologie de la convention de Montego Bay, " ne se prêtent pas à l'habitation humaine ou à une vie économique propre sans pour autant qu'il s'agisse de rochers".

Et ce n'est pas fini ! Lorsque le plateau continental dépasse les 200 milles, l'Etat côtier peut en calculer la limite de deux manières. Soit à une distance ne dépassant pas 350 milles marins, soit 650 kilomètres des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale ; soit à une distance n'excédant pas 100 milles marins, c'est-à-dire 185 kilomètres, de l'isobathe de 2500 mètres, qui est la ligne reliant les points de 2.500 mètres de profondeur.

La course aux surfaces maritimes supplémentaires provoque mécaniquement des tensions entre les pays. En litige avec le Canada, la France n'a pas eu gain de cause aux Nations Unies dans son projet d'extension de la ZEE de Saint-Pierre et Miquelon. Déboutée en 1992, la France a vu la ZEE de ce territoire passer de 47.000 à 10.000 kilomètres carrés.

Des territoires peuvent encore être gagnés

Pour faire valoir ses droits et accroître sa souveraineté maritime, la France s'est dotée en 2002 d'un programme intitulé Extraplac chargé de réaliser et de déposer les revendications territoriales dans toutes les eaux bordant ses territoires. Ses travaux doivent permettre à la France d'augmenter son domaine maritime de plus de 1,5 million de kilomètre carrés. Dans quelles zones ? Début 2003, des études préalables ont été menées pour établir des priorités et définir quelles zones feraient l'objet de dossier pour l'ONU.

Quatre zones prioritaires ont été définies : le Golfe de Gascogne, pour des questions de géopolitique européenne, la Guyane, en raison des réserves potentielles d'hydrocarbure de son sous-sol maritime, la Nouvelle-Calédonie, dont le sous-sol aurait aussi potentiel de ressources « intéressantes » et enfin les îles Kerguelen, pour la vaste étendue de leurs territoires maritimes.

* " France-sur-Mer, un empire oublié " de Philippe Folliot et Xavier Louy, éditions du Rocher