Déficits : la Cour des comptes doute des objectifs de Bercy

Par latribune.fr  |   |  884  mots
Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes
Il manquerait six milliards d'euros de recettes à l'Etat en 2014, et la maîtrise des dépenses sera difficile à assumer, estime la Cour des Comptes

Pour le gouvernement, tenir les objectifs de réduction du déficit public en 2014 va être, une fois de plus, très difficile. Tel est le message de la Cour des comptes, qui, dans son traditionnel rapport public annuel, se livre à un exercice de prévision pour l'année à venir. Le gouvernement a prévu de ramener le déficit de 4,1% du PIB en 2013 -chiffre encore provisoire, qui pourrait être revu  la hausse- à 3,6% en 2013.

Or, les facteurs sont nombreux qui pourraient démentir cette prévision, que les magistrats jugent donc bien optimiste, sans chiffrer exactement l'ampleur du dérapage possible.

D'abord, il existe un effet base : en 2013, les recettes fiscales ont été inférieures de près 20 milliards d'euros à celles qui étaient prévues dans la loi de finances. La preuve de la difficulté de réduire les déficits en temps de crise : les hausses d'impôts, qui ont constitué l'essentiel de l'effort en 2013, ont rapporté beaucoup moins prévu, parce qu'elles ont contribué à déprimer la conjoncture. Comme le souligne la Cour, l'effort de diminution du déficit qualifié de structurel -hors effet de la conjoncture- a atteint 1,7 point de PIB, pour un baisse effective de ce déficit limitée à 0,5 point de PIB.

Pour partie, cet effet base négatif a été pris en compte dans les prévisions de recettes pour 2014. Mais pas entièrement. Et surtout, si la prévision de croissance économique pour cette année (0,9%) paraît fondée, aux yeux de la Cour, ce n'est pas le cas de l'anticipation des recettes. Pour les magistrats, quand le gouvernement retient l'hypothèse que celles-ci vont progresser aussi vite que le PIB, il fait preuve d'un certain optimisme. En outre, entre 1,2 et 2 milliards d'euros de recettes ont été « perdues » au cours de la discussion budgétaire, notamment en raison de l'annulation de l'écotaxe poids lourds. S'agissant des recettes de la sécurité sociale, elles sont basées sur des prévisions de créations d'emplois -qui déterminent la masse salariale- particulièrement optimistes, estiment la Cour des comptes.

Six milliards d'euros de recettes en moins, selon Didier Migaud

Du coup, il pourrait manquer jusqu'à 6 milliards d'euros de recettes fiscales et sociales en 2014, estime le premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud. Voire plus, si les résultats de 2013, sur lesquels est basée la prévision 2014, sont encore plus mauvais que prévu.

Des économies insuffisamment documentées

Quant aux économies, prévues pour atteindre 15 milliards d'euros cette année par rapport à la croissance tendancielle des dépenses publiques, elles ne sont pas totalement détaillées, ce qui rendra indispensable des annulations de crédits, souligne la Cour.

"Compte tenu des nombreuses incertitudes et des risques significatifs que la Cour a relevés, l'atteinte de l'objectif de déficit public en 2014 de 3,6% du PIB n'est pas assurée à ce stade", a expliqué Didier Migaud.


Aucune marge de manœuvre

De plus, ajoute la Cour des comptes, il n'existe aucune marge de manœuvre cette année pour faire face à des dépenses imprévues comme il en survient pratiquement tous les ans.

Peinant à redresser rapidement ses comptes dans un contexte de croissance économique nulle, la France a obtenu de ses partenaires européens un report de deux ans, à 2015, de son obligation de repasser sous la limite européenne de 3% de déficit. Cet objectif sera, de fait, difficile à atteindre, si le déficit est plus proche en 2014 des 4% du PIB que des 3,6% prévus. Un point de PIB de déficit en moins, sur une seule année, c'est possible à condition de bénéficier d'une forte croissance, ou d'augmenter massivement les impôts... Deux hypothèses a priori exclues.

Un délai pour réduire le déficit, sous réserve de mise en œuvre des réformes

Le gouvernement prévoit de dégager plus de 50 milliards d'euros d'économies supplémentaires de 2015 à 2017 pour continuer à réduire le déficit et financer la nouvelle baisse du coût du travail promise aux entreprises dans le cadre du futur "pacte de responsabilité".

Le commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires, Olli Rehn, a déclaré lundi à Reuters que la Commission pourrait accorder à l'avenir plus de temps pour réduire les déficits, à condition que les réformes économiques nécessaires dans des pays comme la France soient mises en oeuvre.

"Nous pouvons accorder une prolongation pour la correction du déficit excessif une fois que nous observons dans les faits qu'un pays a mis en œuvre des réformes économiques réelles et sérieuses, qui rehaussent la compétitivité, le potentiel de croissance et la pérennité des finances publiques", a-t-il dit.

 

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