Climat social : la lassitude des salariés face à la crise pèse sur la compétitivité

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1055  mots
La conflictualité est en baisse dans les entreprises mais la lassitude des salariés gagne du terrain
Une note de conjoncture sociale rédigée par deux grands spécialistes des questions sociales met le doigt sur le "mal être" et le désengagement des salariés dans les entreprises, ainsi que sur les erreurs de management. Autant de facteurs qui nuisent à la compétitivité.

Le « calme avant la tempête » ? Hubert Landier, expert en relations sociales spécialisé dans les audits de climat social, et François Geuze, intervenant au Master  Ressources Humaines de l'Université de Lille 1, viennent de publier leur note « de conjoncture sociale »*. Réalisée sur la base de 125 entretiens auprès de salariés d'entreprises de tailles et secteurs très divers ainsi qu'à partir des réponses à un questionnaire envoyé à 2.945 salariés représentatifs de la population française, cette étude, très complète, ne brille pas par son optimisme.

Toute la première partie, consacrée à l'environnement macro-économique et politique, montre des salariés désabusés par les hommes politiques, déçus par les promesses non tenues, fatigués par la crise économique et tentés par les extrêmes.

La deuxième partie, reproduite (en résumé) ici, décrit une sorte de lassitude au sein des entreprises qui n'est pas sans conséquence sur la productivité, à l'heure où l'on tente de revaloriser le « made in France ». Manifestement, ce n'est pas gagné.

Dans les entreprises, les auteurs observent deux phénomènes concomitants : « une baisse de la conflictualité laissant place à une tendance massive au désengagement beaucoup plus coûteuse pour les entreprises, quoique moins visible » ainsi qu'une « destruction des collectifs de travail par suite de la mise en œuvre de certaines méthodes de management ».

Une baisse de la conflictualité qui s'explique par différents facteurs

De nombreux facteurs jouent en faveur d'une baisse de la conflictualité. Les auteurs en mettent quelques unes  en exergue. Ainsi, la peur du chômage, qui peut inciter les intéressés à la prudence, sauf quand ils n'ont plus rien à perdre (menace de restructuration) ; les contraintes personnelles, liées notamment à l'existence d'engagements financiers comme des emprunts ; l'absence de tradition conflictuelle parmi les jeunes, qui raisonnent davantage d'une façon plus individualiste et en termes de fuite (« je ne suis pas satisfait, donc je me casse ») qu'en termes de résistance et d'action collective (« tous ensemble…. ») ; l'absence de crédibilité de nombre de mots d'ordre syndicaux et, d'une façon plus large, la perte d'influence du syndicalisme sous ses formes traditionnelles.

Pour autant, notent les auteurs, « bien qu'ils aient parfois un caractère anecdotique, les conflits n'en bénéficient pas moins d'une forte visibilité », notamment grâce à une forte médiatisation, comme à Aulnay chez PSA ou Goodyear à Amiens.. 

Le désengagement constaté des salariés

Mais selon la note de conjoncture, il y a peut-être pire que la conflictualité… c'est le désengagement. Nombre d'entreprises doivent en effet faire face à une tendance massive au désengagement des salariés. Celui-ci consiste à « faire ses heures », puisqu'il le faut, « sans pour autant véritablement s'investir dans son travail ». Le désengagement prend ainsi différentes formes : dans les services, il s'agira par exemple d'une attitude désinvolte à l'égard des clients, dans l'industrie, il prendra la forme de retards, d'erreurs, de malfaçons, de casses d'outillages, de détérioration de matériels. Ll'absentéisme de courte durée, dans la mesure où il ne correspond pas toujours à une impossibilité réelle de se rendre à son travail, représente également une forme de désengagement. Ce dernier, enfin, « peut prendre la forme d'une résistance passive au changement alors même que l'entreprise devrait pouvoir compter sur la pro-activité des salariés en vue d'assurer sa réussite ».

Les auteurs soulignent aussi que le problème du désengagement est « est d'autant plus grave que les coûts cachés qu'il entraine peuvent être très importants et réduire sensiblement la performance de l'entreprise. Il en va de même de la résistance au changement ».

Des pratiques de management qui "tuent" les collectifs de travail

Quant à la destruction des « collectifs de travail », les auteurs livrent sur cette question une analyse intéressante que nous reproduisons ici in extenso:

« Nombre d'entreprises ont mis en place des dispositifs d'évaluation individuelle. Ceux-ci passent par le canal d'entretiens, généralement annuels, avec le responsable hiérarchique et sont souvent accompagnés d'augmentations de salaire au mérite. La raison d'être de tels dispositifs fait partie des classiques du management humain tel qu'on l'enseigne : il s'agit de récompenser l'effort individuel et de ménager, au moins une fois par an, un entretien qui permette d'aborder un certain nombre de thèmes - évolution des performances, progrès à accomplir, besoins de formation, possibilités d'évolution, etc. Cela semble aller de soi ; le problème est qu'il y a parfois un écart sérieux entre la pratique et l'intention : entretiens bâclés ou réduits à une simple obligation administrative, « primes de mérite » attribuées de façon incompréhensible aux yeux des intéressés ou en fonction d'objectifs qui ne leur ont pas été expliqués. Et surtout, cette façon de vouloir juger la performance individuelle peut être très artificielle dès lors que celle-ci est fonction de l'efficacité du collectif de travail. C'est ainsi, par exemple, que l'on verra des salariés d'un niveau de compétence reconnu éviter de passer du temps à transmettre celle-ci aux jeunes par souci de « ne pas perdre du temps » compte tenu de leur objectif de résultat personnel ».

"Cette individualisation des objectifs, des rémunérations et des comportements se combine souvent avec les effets de réorganisations incessantes de l'entreprise. Ces réorganisations,décidées d'en haut, souvent sans aucune participation venant des intéressés auxquelles elles sont imposées, ne font pas nécessairement l'objet d'une information très soigneuse. Il en résulte que les salariés cessent de pouvoir se sentir parties prenantes d'un projet partagé ; ils subissent des décisions dont les tenants et les aboutissants leur échappent et dont ils contestent parfois - à tort ou à raison - le bien fondé. L'organisation de l'entreprise devient pour eux quelque chose qui leur est étranger. D'où leur jugement : « ça change tout le temps on ne sait plus qui fait quoi"".

 Un « mal être » et des dysfonctionnements qui devraient être analysés de très près et pris en considération dans le débat actuel sur la compétitivité.

 

* La note de conjoncture sociale complète peut-être commandée à :

Florence VIELCANET
florence.vielcanet@parlons-social.com