Marc Blondel, la "grande gueule" du syndicalisme s'est tue

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  981  mots
L'ancien secrétaire général de Force ouvrière est décédé à l'âge de 75 ans
Marc Blondel, l'ancien secrétaire général de Force Ouvrière (1989/2004) est décédé à 75 ans des suites d'un cancer. L'homme aux bretelles était un "fort en gueule" du syndicalisme qui a marqué son époque... Il n'avait pas que des amis.

« Le terrible Monsieur Blondel », comme il se dénommait lui-même par dérision, n'est plus. Emporté par un cancer ce 17 mars à l'âge de 75 ans. Comme il se doit dans ce genre de circonstances, les hommages du monde politique se multiplient : François Hollande, Martine Aubry, Michel Sapin, Bertrand Delanoë, Jean-Marc Ayrault…

Et c'est normal. Marc Blondel fut incontestablement une grande figure du syndicalisme français, secrétaire général de Force Ouvrière (FO) de 1989 à 2004, mais aussi un membre influent du conseil d'administration du Bureau International du Travail (BIT).

Fort en gueule, provocateur et... misogyne

L'homme était truculent, amateur de gros cigares et de bonne chère, volontiers provocateur,… et, c'est un euphémisme, un rien misogyne. Sa « rivale » Nicole Notat, alors secrétaire générale de la CFDT en sait quelque chose. Lors de la réforme Juppé de la Sécurité sociale de 1995, dont Marc Blondel était l'un des principaux opposants, le leader de FO n'avait pas de mots assez durs pour dénoncer Nicole Notat qui, elle, avait le tort de soutenir le plan.

Marc Blondel, il faut bien le reconnaître, était aussi obsédé par son image médiatique. Il était toujours ravi à l'idée de passer à l'antenne ou sur les ondes. Et les journalistes voyaient en lui « un bon client », toujours capable d'un bon mot ou d'une bonne formule. Lors des grandes manifestations de l'automne 1995, Marc Blondel était hilare et ravi de voir sa photo « faire » la une des hebdomadaires avec des titres du genre « L'Homme qui bloque le pays » Ou « Monsieur Non ». L'homme aux bretelles se délectait de cet affichage. Et il cultivait à outrance son personnage de « grande gueule ». Même chose au sein de son syndicat. Il parlait fort et prenait un malin plaisir à rudoyer les membres de son équipe. Pour certains, il était carrément autocratique. A l'inverse, ceux qui l'appréciaient s'amusaient du personnage qu'il s'était construit.

L'homme qui a radicalisé FO

Sur le fond, l'ère Blondel a profondément marqué Force Ouvrière. Avant son arrivée, la centrale, dirigée par André Bergeron, était le syndicat préféré du patronat. Celui des accords collectifs, celui avec lequel la négociation était toujours possible. Certes, Marc Blondel est resté fidèle à l'image du « syndicalisme de la feuille de paie » qui caractérise FO. Certes, il a toujours revendiqué l'indépendance syndicale - autre antienne du syndicat - et son refus de « faire » de la politique. Il n'empêche, Marc Blondel a radicalisé FO. Et ce dès son élection en 1989.

Il était alors opposé à Claude Pitous - qui avait les faveurs d'André Bergeron -, jugé plus réformiste. Marc Blondel, lui, appuyé par la forte minorité trotskiste de FO, commençait déjà à se présenter comme le « monsieur niet ». Le CNPF (l'ancêtre du Medef) allait vite s'en rendre compte lors des grandes négociation sociales. La signature de FO n'était en effet plus une évidence. Par exemple, lors des négociations sur le renouvèlement de la convention d'assurance chômage, FO ne signe plus. Du jamais vu, alors qu'André Bergeron était l'un des « pères » de l'Unedic (organisme gestionnaire de l'assurance chômage) en 1958. Pis, alors que de 1959 à 1990, FO a présidé (en alternance avec le patronat) sans discontinuité l'Unedic, cette présidence passe désormais à la CFDT, qui, elle, signe les accords d'assurance chômage. Le même scénario s'est produit dans les caisses de sécurité sociale.

Un homme aux multiples réseaux

Et progressivement c'est la CFDT qui est devenue le syndicat « préféré » du patronat. Même si Marc Blondel gardait de très forts appuis dans certains bastions, notamment à l'UIMM (patronat de la métallurgie). Il faut reconnaitre que, historiquement, l'UIMM et FO sont liées par leur anticommunisme. Il est aussi vrai que Marc Blondel appréciait beaucoup la fréquentation des grands patrons. Il s'est même rendu au forum économique de Davos. Du jamais vu pour un syndicaliste français. Marc Blondel était un homme de réseaux, entretenant de nombreuses amitiés dans différents cercles. On connaissait ainsi ses liens avec Jacques Chirac, par exemple.

Quand FO a frôlé la scission

Cette radicalisation de FO n'a pas fait que des heureux en interne. Certains dirigeants du syndicat, notamment en région parisienne, ont reproché la logique du « tout ou rien » pratiquée par Marc Blondel, par exemple face au plan Juppé. Résultat, lors du congrès de Paris en 1996 où il briguait un troisième mandat, Marc Blondel a trouvé en face de lui un opposant de poids, Jacques Mairé, le patron de FO-Paris qui lui reproche son autocratisme et son "jusqu'au boutisme" qui conduirait à une "marginalisation" de FO. La tendance Mairé a obtenu un peu moins de 20% des suffrages. Marc Blondel l'emporta donc largement. Mais FO fut au bord de la scission. Finalement, Jacques Mairé et ses alliées quitteront FO pour aller rejoindre la toute nouvelle Unsa (Union nationale des syndicats autonomes).

Mais cet image de « Monsieur niet » colla à Marc Blondel jusqu'à son départ du poste de secrétaire général en 2004 et FO a perdu pas mal de plumes lors des scrutins professionnels, notamment lors des élections prud'homales. Il faudra attendre l'élection de son successeur (et dauphin désigné) Jean-Claude Mailly pour que les esprits se calment en interne. Jean-Claude Mailly affichant un comportement plus "consensuel" que son envahissant prédécesseur.

En 2014, l'hommage rendu à Marc Blondel est donc quasi unanime. Il y a à peine dix ans, pourtant, le syndicaliste ne faisait pas l'unanimité. Mais malgré tous ses travers, il est exact que Marc Blondel avait une personnalité originale. Epris de liberté, il affichait sa laïcité a tout instant, il devint même en 2007 président de la Fédération nationale de la libre pensée.