Comment les ruptures conventionnelles poussent les seniors au chômage

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1410  mots
La rupture conventionelle représente 25% des fins de CDI des 58/60 ans
Les désastreuses statistiques du chômage de février s'expliquent notamment par la forte progression du nombre de demandeurs d'emploi de plus de 50 ans et surtout de ceux qui approchent la soixantaine. Pour freiner ce mouvement, les règles de la rupture conventionnelles vont être durcies. Mais les entreprises anticipent et multiplient ces ruptures actuellement. Ce qui va encore peser sur le chômage

Les seniors de plus de 50 ans principales victimes du chômage. Cela se vérifie, hélas, mois après mois. C'est même l'augmentation vertigineuse du nombre des demandeurs d'emploi « âgés » qui explique pour une bonne partie les désastreuses statistiques du mois de février où le nombre des chômeurs inscrits en catégorie « A » a progressé de 0,9%, soit 31.500 personnes de plus. Au total, fin février, en France métropolitaine, il y avait 3.347.700 inscrits en catégorie « A »… dont 761.400 âgés de plus de 50 ans, soit 22,7%... Et quand le chômage progresse globalement en février de 0,9%, celui des plus de 50 ans, lui, augmente de … 1,3%. Même constat un mois plus tôt, en janvier, alors que le chômage avait progressé en moyenne de 0,3%, celui des seniors augmentait de... 1%.

Le taux d'emploi des seniors s'améliore  mais l'OCDE demande à la France de faire mieux...

De fait, si dans une récente étude, l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) s'est félicitée de la progression du taux d'emploi des seniors, du fait du recul progressif de l'âge de la retraite et de la fin de tous les dispositifs publics de préretraites, il n'en reste pas moins que l'organisation internationale remarquait que seuls 44,5% des français âgés de 55 à 64 ans avaient un emploi en 2012, contre 48% pour l'ensemble des européens et 54% pour la moyenne des pays de l'OCDE.

Afin de remonter encore le taux d'emploi des seniors, l'OCDE préconisait donc de rendre moins attractives les ruptures conventionnelles instituées dans le droit du travail français en 2008. Ces ruptures conventionnelles consistent en une « entente à l'amiable", moyennant une indemnité au moins égale à celle perçue en cas de licenciement, entre un salarié et son employeur pour mettre fin à un contrat de travail. En outre, gros avantage, la rupture conventionnelle autorise le salarié a bénéficier ensuite de l'indemnisation du chômage. Cette formule « souple » de séparation a connu un succès foudroyant, plus de un million de ruptures conventionnelles ont été instituées depuis sa création.

.... En apportant des restrictions aux ruptures conventionnelles pour les salariés âgés

Le succès est tel que, selon des données de l'Unedic (l'organisme qui gère l'assurance chômage), les ruptures conventionnelles représentent 11,4% des entrées globales en indemnisation chômage et plus particulièrement 12,7% des entrées en indemnisation chez les 25-49 ans et 12,2% chez les plus de 50 ans. A priori, donc, la rupture conventionnelle n'est pas spécialement le moyen utilisé par les entreprises pour se séparer des plus de 50 ans… Sauf que, une étude de la Dares montre que si les ruptures conventionnelles représentent 16% des fins de contrat à durée indéterminée pour l'ensemble des salariés, ce taux monte à 25% chez les 58-60 ans.

Pourquoi cette tranche d'âge est-elle particulièrement visée ? La réponse est simple. A compter de 50 ans, l'indemnisation du chômage peut atteindre 36 mois, contre 24 mois pour les demandeurs d'emploi plus jeunes. Aussi, en cas de rupture conventionnelle à, par exemple, 58 ans, l'ancien salarié est assuré de percevoir un revenu de remplacement jusqu'à 61 ans. Or, c'est à cet âge (62 ans à compter du 1er juillet 2014) qu'un salarié peut conserver son indemnité jusqu'à l'obtention du nombre de trimestres suffisants pour partir à la retraite.

Quand l'Unedic sert de préretraite déguisée

Aussi, il est tentant pour les entreprises ayant besoin d'ajuster leurs effectifs de proposer ce « deal » à des salariés âgés qui sont usés par le travail et manifestent un certain « ras le bol ». Une sorte d'alliance objective se crée alors pour conclure une rupture conventionnelle. D'autant plus que, bien souvent, cette méthode permet d'éviter un plan social en bonne et due forme. Dès lors, l'allocation d'assurance chômage va servir de préretraite cachée, d'autant plus intéressante pour le salarié qu'il aura quitté l'entreprise avec une indemnité supra-légale dans le cadre de la rupture conventionnelle.

L'OCDE a demandé à la France de réformer ce système « particulièrement attractif » pour remonter encore le taux d'emploi des seniors. C'est exactement ce qu'ont fait le 21 mars dernier le patronat et les trois organisations CFDT, CFTC et FO en signant une nouvelle convention d'assurance chômage qui fixe les règles d'indemnisation des chômeurs. Celle-ci prévoit, à compter du 1er juillet 2014, que le plafond du différé d'indemnisation (1er jour où l'on a droit à une indemnisation après rupture d'un contrat de travail) sera porté de 75 à 180 jours pour prendre en compte les indemnité supra-légales perçues par un salarié à la suite d'un licenciement « ordinaire » ou d'une rupture conventionnelle. Le licenciement économique n'étant, lui, pas concerné…. De quoi en effet rendre moins attrayantes les ruptures conventionnelles.

Or, les spécialistes des questions sociales travaillant pour les entreprises (DRH, avocats, conseils, etc.) savaient depuis plusieurs semaines que ce point serait sur la table des négociateurs. Il semble donc, à la lecture des statistiques, qu'il y a eu une accélération des ruptures conventionnelles en janvier et février pour anticiper la réforme. Et ce mouvement pourrait perdurer jusqu'en juillet.

En effet, dans les statistiques communiquées par le ministère du Travail sur les demandeurs d'emploi à la fin février, figurent les motifs d'inscription à Pôle emploi, notamment les fin de CDD, les fins de missions d'intérim… et les « autres cas » qui cachent en fait les ruptures conventionnelles. Or, cette case « autres cas » représente… 41,9% des entrées à Pôle emploi en février, c'est même le premier motif d'inscription, devant les fins de CDD (23,1%). Et, curieusement, le nombre des entrées pour « autres cas » est en hausse de 5,9% en février, alors qu'il avait baissé de 0,9% en janvier !!!

Pour les entreprises, il est "socialement" moins douloureux de faire partir des seniors, via les ruptures conventionnelles

Ce « mouvement » n'a pas échappé au ministère du Travail qui suppute que l'assurance chômage permet en effet à des salariés de 58/59 ans de quitter, plus ou moins avec leur assentiment, leur entreprise tout en bénéficiant d'une sorte de préretraite. Ce qui fait désordre pour un gouvernement qui a justement du mal à « placer » son contrat de génération qui permet à une entreprise de bénéficier d'une aide de 4.000 euros par an dès lors qu'elle embauche un jeune… et garde un senior jusqu'à la retraite.

A l'Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH), on ne nie pas les faits, au contraire, on les assume, comme l'explique son président Jean-Christophe Sciberras, DRH de Solvay :

 « Ce que dit le ministère est juste mais la question c'est pourquoi les entreprises et les salariés concernés font ça. Quand il y a des ajustements d'effectifs inévitables, il faut les faire de la manière la moins douloureuse socialement. Une entreprise ne fait pas partir par plaisir des seniors , le plus souvent très compétents. Personne ne comprendrait dans une entreprise en difficulté qu'on fasse partir en priorité des jeunes salariés avec charge de famille. La plupart des pays d'Europe ont d'ailleurs, sous une forme ou une autre, des dispositifs permettant des départs anticipés de seniors. Et il est exact que notre système d'assurance chômage , qui est généreux, crée une attraction. Et aussi exact que, au regard de la lourdeur et de la complexité du droit du travail français, les entreprises et les salariés préfèrent, quand elles le peuvent, recourir à la rupture conventionnelle pour adapter leur effectifs, et ceci , en toute transparence avec les représentants du personnel ».

 

C'est dit. Mais alors peut-être aurait-il été plus efficient de préserver un vrai mécanisme de préretraite ? « Non, répond Jean-Christophe Sciberras, ce sont les partenaires sociaux qui ont créé et gèrent l'assurance chômage. Les préretraites étaient des systèmes étatiques où l'on faisait payer les contribuables. La veuve de Carpentras ou le médecin de Saint-Flour n'ont pas à payer des préretraites de salariés ».

Conclusion, jusqu'à l'entrée en vigueur le 1er juillet des nouvelles règles destinées à freiner les recours aux ruptures conventionnelles, il faut s'attendre à leur fort développement. Encore un point qui va peser sur le chômage en plus de toutes ses causes structurelles. La courbe du chômage n'est décidément pas près de s'inverser.