"Le rachat d'Alstom par GE permettrait d'assurer son développement"

Par Tiphaine Honoré  |   |  679  mots
Aurélien Duthoit imagine davantage un rachat partiel d'Alstom, avec le secteur "énergies", qui représente 70% des activités de l'industriel. DR
La rumeur d'un rachat d'Alstom par l'américain General Electric a fait s'envoler le titre en Bourse (+17%) . Selon l'agence Bloomberg, GE proposerait 13 milliards d'euros pour l'acquisition du constructeur français de TGV. Une opération qui pourrait renforcer la position d'Alstom sur les marchés, selon Aurélien Duthoit, directeur des synthèses stratégiques chez Xerfi-Precepta.

Aurélien Duthoit, directeur des synthèses stratégiques chez Xerfi-Precepta, n'est pas surpris par la possibilité d'un rachat du spécialiste des infrastructures électriques et ferroviaires Alstom, qui souhaite lever des fonds. Mais il s'interroge quant à l'ampleur de cette opération, selon qu'elle concernera tout ou partie de l'industriel français, détenu à près de 30% par Bouygues. Le Figaro affirme jeudi après-midi que les discussions ne "porteraient que sur les activités "énergies" d'Alstom, et pas sur les transports". Entre une Opération publique d'achat (Opa) et une simple cession d'actifs, la donne change.

La Tribune : Quel sens industriel aurait un rachat d'Alstom par General Electric, l'un des plus grands groupes américains?

Aurélien Duthoit :  Tout dépend vraiment de l'ampleur de cette opération et des secteurs qu'elle va concerner. Il ne me semble pas inconcevable que GE souhaite racheter l'intégralité d'Alstom car ils ont des activités complémentaires. Par exemple dans les transports, le français a axé le développement de sa technologie dans l'acheminement des passagers alors que l'américain s'est spécialisé dans le fret. Une reprise de la partie transport permettrait à GE de se lancer dans un réseau ferroviaire à grande vitesse, aujourd'hui presque inexistant aux États-Unis.

Mais j'imagine davantage un rachat du secteur "énergies", qui représente 70% des activités d'Alstom. C'est celui qui génère le plus de bénéfice structurel et possède une bonne perspective de développement. Il faut tout de même rester prudent car s'il a une bonne position sur les centrales à gaz, il pourrait y avoir un problème au niveau de l'activité nucléaire. En effet, Alstom est l'un des premiers fournisseurs d'Areva pour la construction de centrales nucléaires, alors que GE est lui aussi déjà engagé sur des technologies similaires avec d'autres groupes, notamment au Japon.

Mais cette acquisition par GE pourrait rendre Alstom plus fort…

L'énorme avantage c'est que General Electric est l'un des plus gros groupes industriels au monde en termes de trésorerie, de production et de présence sur le globe. Alstom en sortirait renforcé sur certains marchés, comme celui des turbines où il est en concurrence avec l'allemand Siemens.

Justement, une telle opération ne serait-elle pas un nouvel exemple de l'incapacité de l'Union européenne à faire émerger des géants européens, capables de s'imposer à l'échelle mondiale ?

Certes, mais on touche ici à des questions de fierté nationale et de rivalités entre voisins. D'autant que les métiers d'Alstom et de Siemens se ressemblent. Le fait qu'ils ne soient pas complémentaires risquerait, à mon sens, de créer des doublons dans les technologies.

Y-a-t-il un quelconque lien avec l'échec du rachat de SFR par Bouygues, qui a finalement été remporté par Numericable ?

Bouygues étant l'actionnaire principal d'Alstom, on ne peut pas exclure que ces manœuvres de rapprochements soient le résultat indirect de la non-acquisition de SFR [pour lequel Bouygues a proposé 15 milliards d'euros en cash. NDLR]. Bouygues a montré qu'il souhaitait réorienter sa stratégie.

Dès ce matin, Manuel Valls indiquait « suivre le dossier avec attention ». Le gouvernement français, qui se montre très interventionniste, pourrait-il s'immiscer dans une telle opération et la politiser ?

Il y a en effet un risque de veto important de la part de l'État pour deux raisons. D'abord parce qu'Alstom a été « sauvé » par Nicolas Sarkozy en 2004 qui a favorisé une augmentation de son capital. Ce renflouement a été une opération salutaire pour le groupe, d'autant que l'État s'est ensuite désengagé. Alstom lui est donc un peu redevable, même si l'État n'est plus aux manettes.

Et puis il y a la charge symbolique que représente l'entreprise Alstom. Elle a fabriqué le train le plus rapide du monde et l'a exporté partout. C'est une fierté française. Si on annonce que la technologie du TGV va passer sous pavillon étranger, cela va créer une réaction épidermique. Alstom n'est pas un groupe comme les autres.