Front National : les causes d'une irrésistible ascension

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1201  mots
Le Pen, père et fille, une quasi irresistible ascension... pour l'instant
En récoltant 25% des suffrages au scrutin européen du 25 mai, le Front National est au plus haut après 40 ans d'existence. Tentative d'explication pour comprendre les raisons économiques, politiques et sociologiques qui ont permis au FN de passer de l'état de groupuscule à celui de parti prépondérant.

Plus de 17% au premier tour de la présidentielle de 2012 ; 25% au scrutin européen du 25 mai 2014…Le Front National de Marine Le Pen a franchi un palier supplémentaire en quelques années. Déjà, son père avait réussi dans les années 1980 a sortir le FN des scores microscopiques et à lui faire franchir la barre symbolique des 10%, voire même à atteindre le deuxième tour de l'élection présidentielle un fameux 21 avril 2002. Mais comment cette irrésistible ascension a-t-elle été rendue possible ? Difficile d'appréhender cette question dans sa globalité, tant ont joué des facteurs sociologiques, démographiques, politiques ou économiques. Tentative, tout de même, de regard dans le rétroviseur.

1982: la percée

1981. François Mitterrand est élu président de la République. Après un feu d'artifice de mesures sociales annoncées dans les « 110 propositions», le ministre de l'Economie Jacques Delors tire le signal d'alarme. En 1982 puis, surtout, en 1983 c'est le « tournant de la rigueur ». Le cap des deux millions de chômeurs est franchi. Parallèlement, comme l'avait prédit François Mitterrand, le Parti communiste français, a entamé sa longue phase de déclin.

Mais, jusqu'en 1984, 4 ministres communistes siègent au gouvernement. Par ailleurs, fidèle a ses engagements, le président de la République aboli la peine de mort. Résultat, lors des élections cantonales de 1982, un quasi inconnu dénommé Jean-Pierre Stirbois obtient au nom du Front National 12,6% à Dreux (Eure et Loir). Puis, en 1984, le parti de Jean-Marie Le Pen franchi la barre des 10% (très exactement 10,95%) aux européennes).

Mieux encore pour le FN, en 1986, pour limiter l'ampleur de la défaite annoncée aux législatives pour la majorité socialiste, François Mitterrand instaure le scrutin proportionnel. Résultat, 35 députés FN entrent à l'Assemblée nationale qui leur sert de tribune. Charles Pasqua (RPR), ministre de l'Intérieur, déclare en 1988 « sur l'essentiel le FN se réclame des mêmes valeurs que la majorité ». Des accords locaux de désistement seront mêmes conclus entre l'UDF et le RPR d'une part, et le FN, d'autre part. Notamment à Marseille.Ainsi, le FN se crédibilise.

La conquête des premières villes

1995. Surfant sur les « affaires » qui ébranlent le financement des principaux partis politiques traditionnels, le FN apparait de plus en plus comme un recours possible. Surtout auprès de l'électorat populaire, fatigué par 20 ans de crise économique, victime des plans sociaux, inquiet de la concurrence internationale et par la main d'œuvre à bas coût.

Le PCF, jusqu'ici traditionnel réceptacle au vote d'opposition, n'est quasiment plus là. Parallèlement, la question européenne commence à faire des vagues. Le traité de Maastricht est approuvé de justesse par referendum. Le FN, comme d'autres partis, dénoncent les abandons de souveraineté à Bruxelles et à la Commission européenne. Le Front National va encore une fois profiter de toutes ces circonstances. En 1995, Jean-Marie Le Pen atteint les 15% au premier tour de l'élection présidentiel (après 14% en 1988).

Puis, aux élections municipales de juin, c'est l'apothéose : le FN s'empare des villes de Marignane, Toulon, Orange… et Vitrolles deux ans plus tard.

Le choc du 21 avril 2002

2002. Jean-Marie Le Pen atteint le point culminant de sa carrière politique en se qualifiant le 21 avril 2002 (16,86%) pour le deuxième tour de l'élection présidentielle face à Jacques Chirac. Le candidat socialiste est éliminé.

Les 5 ans de cohabitation entre Jacques Chirac et le Premier ministre socialiste auront bien servi le FN. Surtout que Lionel Jospin a tenu des propos malheureux du style « L'Etat ne peut pas tout » a propos des fermetures d'entreprises. Si, ils s'avèrent juridiquement exacts, ils sont en revanche politiquement désastreux, face à une population victime des plans sociaux et qui veut voir un rempart dans l'État. Au deuxième tour de la présidentielle, Jean-Marie Le Pen obtient 5.525.032 voix, soit 17,79% des voix.

Le referendum européen de 2005

2005/2007. Les Français sont appelés à adopter par référendum le « Traité établissant une constitution pour l'Europe » le 29 mai 2005.  Après une campagne âpre, le « Non » l'emporte avec 54,6% des suffrages. 93% des électeurs FN ont rejeté le traité. Tous les partis politiques ont été traversés par des mouvements contraires. Ainsi, au sein du PS, officiellement en faveur du « oui », Laurent Fabius a pris la tête de la contestation en prônant le« non ».

Or, deux ans plus tard, le traité de Lisbonne du 13 décembre 2007 reprend les grandes lignes de la « constitution ». Mais, cette fois, Nicolas Sarkozy, fait voter sa ratification par le Congrès. Cette décision fait des ravages en France. Pour de nombreux partis opposés à la constitution européenne, la démocratie est bafouée. La confiance dans la parole des hommes politiques prend un rude coup supplémentaire.

Entre temps, en mai 2007, un Jean-Marie Le Pen vieillissant n'a obtenu « que » 10,44% des voix à l'élection présidentielle. Nicolas Sarkozy, le vainqueur, a réussi à siphonner les voix du FN, en « droitisant » son discours et en promettant d'être le candidat du pouvoir d'achat.

Marine Le Pen "gauchise" le discours du FN

2012. Nicolas Sarkozy, malgré les conseils de Patrick Buisson de « droitiser » encore et toujours son positionnement (discours de Grenoble de 2010), ne parvient pas a réitérer le « coup » de 2007. Il est battu le 6 mai au deuxième tour par François Hollande. Au premier tour, Marine Le Pen, qui a succédé à son père, obtient 17% des voix. Astucieusement, la nouvelle présidente du FN a su « gauchir » son discours, afin de tenir compte des de l'état de dépit dans lequel se trouve une grande partie de la population française, inquiète pour son pouvoir d'achat, son emploi, des conséquences de la mondialisation, de la jeunesse du pays, de son métissage, etc. En outre, le doute par rapport aux « élites » s'est accentué et la confiance dans les corps intermédiaires (les syndicats notamment) s'est délitée. Bref, une grande partie de la population française vit dans l'angoisse de lendemains qui ne chantent pas et se recroqueville, voyant dans « l'autre » un danger, voire un envahisseur. PS et UMP, les partis au pouvoir alternativement depuis 30 ans son déconsidérés... Sans parler des ravages des affaires type "Cahuzac" ou "Bygmalion".

Marine Le Pen parle alors davantage pouvoir d'achat que son père, souhaite « taxer » les grandes entreprises. Elle se veut la défenderesse des retraités et de toutes « les petites gens ». Elle fait de la sortie de l'euro son mantra… puisque l'Europe serait responsable de tous les maux de la France.

Dans le même temps, François Hollande commet notamment l'erreur d'annoncer une inversion de la courbe du chômage pour la fin 2013, parle en vain d'une relance au niveau européen. Rien ne se produit. En revanche, la ponction fiscale augmente et la Commission européenne est perçue comme le « vrai » dirigeant de la France. C'est elle qui impose les sacrifices.

Dans ce contexte, d'exaspération, Marine Le Pen n'avait plus qu'à ramasser la mise… C'est en partie fait depuis le 25 mai. Et ce n'est peut-être pas fini...

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