Prélèvements sur les entreprises : qui ment du gouvernement ou du Medef ?

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1161  mots
Geoffroy Roux de Bézieux, vice-président du Medef, a déclenché une polémique sur la réalité de la baisse des prélèvements sur les entreprises en 2015
Le vice-président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux a nié le fait que les entreprises bénéficieront d'une baisse de leurs prélèvements en 2015. Les Ministre Michel Sapin et François Rebsamen lui ont immédiatement porté la réplique par voie de presse.

C'est une véritable polémique générale par voie de presse qui s'est produite ce 4 juin sur la réalité des baisses de cotisations et d'impôts pour les entreprises en 2015 prévues par le pacte de responsabilité ! On a tiré dans tous les coins. Geoffroy Roux de Bézieux, vice-président du Medef en charge de la fiscalité, a lancé les hostilités dans un entretien au Figaro en déclarant:

« Les chefs d'entreprise ne verront aucune différence sur leur feuille d'impôt en 2015. Il y aura bien une baisse de 1 milliard de la C3S [impôt sur le chiffre d'affaires], mais l'essentiel des 6 milliards de suppression ne devrait avoir lieu qu'en 2017, année de l'élection. 

« Il faudra s'acquitter dès l'année prochaine de la taxe carbone, dont on ne connaît pas les détails mais qui atteindra plusieurs centaines de millions pour les entreprises. Et aussi de l'écotaxe, remaniée par le Parlement, qui rapportera 1 milliard. Sans oublier la surtaxe sur l'impôt sur les sociétés, prolongée d'un an, soit plus de 2,5 milliards. S'ajoute à ce cocktail toxique un risque très fort sur la fiscalité locale »

Allant encore plus loin, Geoffroy Roux de Bézieux a dénoncé un véritable « harcèlement fiscal jamais vu » pesant sur les entreprises. Et a évoqué une « possible » sortie de du Medef du Pacte de responsabilité pourtant ratifié le 5 mars par l'organisation patronale.

Le ministre du Travail reproche au Medef de "pleurnicher"

Le ministre du Travail, François Rebsamen, intervenant sur RTL a immédiatement rétorqué que le patronat avait « pris des engagements » et qu'il n'était « pas acceptable de renier sa signature ». « Il va falloir qu'on s'explique, a-t-il déclaré. C'est incroyable, alors même que le gouvernement fait un effort sans précédent de près de 41 milliards d'euros envers les entreprises, d'entendre - je vais reprendre la formule de Laurent Berger [le secrétaire général de la CFDT] - sans arrêt les entreprises se plaindre, geindre, pleurnicher ». Pour calmer les esprit, le ministre a ajouté « faire la différence entre le Medef et les chefs d'entreprise sur le terrain ».

Pour sa part, dans un entretien au quotidien Les Echos, le ministre des Finances Michel Sapin a rappelé que le « collectif budgétaire et le collectif social seront respectivement présentés les 11 et 18 juin en Conseil des ministres (…). Ils comprendront les mesures du pacte applicables dès 2014 et 2015, ce qui donnera aux entreprises de la visibilité ».

A Bercy, on estime à 11 milliards d'euros la baisse en 2015 des prélèvements sur les entreprises

Interrogé plus précisément par La Tribune sur les déclarations du vice-président du Medef, au ministère des Finances on s'énerve un peu en considérant que « Geoffroy Roux de Bézieux est de mauvaise foi car au total les baisses sur les prélèvements des entreprises vont atteindre 11 milliards d'euros en 2015, soit, dans le détail : 4,5 milliards d'euros d'allègements de cotisations sociales patronales,1milliard d'euros en moins au titre de la C3S, 1 milliard d'euros encore en moins pour les cotisations des indépendants et 7 milliards d'euros au titre du CICE [crédit d'impôt compétitivité emploi]. Et ce en tenant compte du report d'un an de la surcotisation d'impôt sur les société qui représente 2,5 milliards d'euros de rentrées fiscales ».

Patronat et gouvernement ne parlent pas de la même chose

Bref, encore une fois dans ce genre de polémique, les parties prenantes ne parlent pas de la même chose. D'un côté, Bercy insiste sur la baisse des cotisations sociales, y compris pour les travailleurs indépendants.

De l'autre côté, le vice-président du Medef se concentre sur la seule fiscalité, il ne fait pas allusion aux cotisations sociales patronales. C'est dommage d'ailleurs, car elles représentent tout de même 4,5 milliards d'euros d'allègements pour les entreprises.

Geoffroy Roux de Bézieux évoque aussi l'écotaxe remaniée, qui représenterait un coût de 1 milliard d'euros pour les entreprises. Étonnant car on ne sait encore rien encore des arbitrages qui seront rendues sur la nouvelle mouture de cette écotaxe… décidée par le gouvernement Fillon, et non par les socialistes. On en saura sans doute plus le 11 juin, date de l'examen en Conseil des ministres du projet de loi de programmation pour la transition énergétique présenté par Ségolène Royal, ministre de l'Ecologie. Idem pour la taxe carbone dont on ne connaît pas bien les contours.

La suppression de la surcotisation IS reportée d'un an

En tout état de cause, Bercy confirme ainsi que la surcotisation temporaire de l'impôt sur les sociétés sera bien finalement reconduite pour un an, jusqu'à fin 2016, au lieu d'être supprimée fin 2015 comme cela avait été évoqué lors des Assises de la fiscalité qui se sont tenues début 2014.

Décidée par le gouvernement Fillon en 2011, pour une durée limitée, la contribution exceptionnelle à l'impôt sur les sociétés (CE), due par les entreprises réalisant un chiffre d'affaires annuel supérieur à 250 millions d'euros, a été reconduite par le gouvernement Ayrault. En 2013, après la polémique sur le projet d'instituer une taxation sur l'excédent brut d'exploitation (EBE), le gouvernement, en accord avec les organisations patronales, avait renoncé à cette idée et avait décidé, en compensation, de rehausser de 5 à 10,7% le taux de la contribution exceptionnelle. Mais il est exact que le gouvernement avait laissé entendre que cette contribution prendrait fin en 2015. Ce ne sera donc pas le cas. La loi de finances rectificative du 11 juin prochain viendra le préciser.

Une première tranche de C3S supprimée dès 2015

Les choses sont un peu différentes concernant la de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), cet impôt du par les entreprises réalisant un chiffre d'affaires hors taxe d'au moins 760.000 euros qui rapporte environ 5 milliards d'euros par an. Dans le cadre des Assises de la fiscalité, le gouvernement s'était engagé devant le patronat à supprimer sur trois ans (au plus tard donc en 2017) cet impôt qui pèse sur la production. Un premier allègement d'environ un milliard d'euros interviendra en 2015. Pas assez donc pour Geoffroy Roux de Bézieux. Sauf que, précise Bercy, ce premier allègement de la C3S en 2015 prendra la forme d'une ristourne forfaitaire qui concernera donc surtout les PME et et les ETI, celles qui en ont le plus besoin.

In fine, pourquoi le Medef a-t-il lancé cette polémique sur les allègements de la fiscalité et des cotisations sociales à ce moment précis ? Sans doute pour peser sur les derniers arbitrages alors que le contenu des projets de loi précisant ces allègements sont dans la dernière ligne droite de leur élaboration.