Hollande-Montebourg : la fin du jeu de dupes

Par Romaric Godin  |   |  990  mots
La rupture entre François Hollande et Arnaud Montebourg est consommée.
Le départ annoncé d'Arnaud Montebourg du gouvernement met fin à un jeu de dupes qui servait les intérêts du ministre et de l'Elysée. Et qui n'avait plus lieu d'être.

En « s'excluant » de fait du gouvernement, Arnaud Montebourg est allé au bout de sa logique. Celle consistant à chercher à infléchir de l'intérieur la politique de François Hollande. En réalité, depuis 2012, le Bressan et le Corrézien jouent (volontairement) un jeu de dupes.

Un « ministre sans portefeuille »

Car du côté de l'Elysée, on a toujours considéré Arnaud Montebourg comme ce que l'on appelait sous les 3ème et 4ème républiques un « ministre sans portefeuille », maroquin qui n'avait d'autres fonctions que d'assurer la fidélité d'un groupe de député au gouvernement. Avec la présence d'Arnaud Montebourg au gouvernement, François Hollande s'assurait à bon compte le soutien de l'aile gauche du PS à ce « socialisme de l'offre » qu'il entendait mener. Aussi, à la différence des habitudes de la 5ème république (que l'on songe à Jean-Jacques Servan-Schreiber, Alain Madelin ou Jean-Pierre Chevènement), laissait-on le bouillant ex-député de Saône-et-Loire pester contre une politique qui était celle de son propre gouvernement. On le laissait ainsi également dénoncer la politique d'une Allemagne que, par ailleurs, on cherchait par tous les moyens concrets à caresser (que l'on songe à la ratification du pacte budgétaire, pacte de responsabilité, passivité dans les conseils européens...).

Le leurre du ministère de l'Economie

L'acmé de cette stratégie a été la nomination d'Arnaud Montebourg au « ministère de l'Economie. » Perçu un peu trop rapidement par certains analystes comme une victoire de la ligne du Bressan, cette nomination était proprement un leurre. La réalité du pouvoir, là où se faisait la politique économique restait entre les mains du ministère des Finances confié au très fidèle Michel Sapin. C'est lui, et non Arnaud Montebourg, qui allait à Bruxelles négocier avec la Commission la marge de manœuvre de la France sur le plan budgétaire. C'est lui, et non Arnaud Montebourg, qui définissait les choix budgétaires et donc économiques du pays. C'est lui enfin qui était l'interlocuteur de Wolfgang Schäuble, le véritable dirigeant économique de la zone euro aujourd'hui. En conséquence, jamais Arnaud Montebourg n'a pu peser sur les destinées économiques du pays. Il était, comme lorsqu'il était ministre délégué au redressement productif, réduit à inaugurer des labels et à faire la tournée des PME « innovantes. »

Prouver l'incapacité à peser de l'intérieur

Arnaud Montebourg était-il dupe du rôle qu'on lui faisait jouer ? Sans doute pas, mais, soutien de François Hollande pendant les primaires socialistes, il se devait, avant de rompre, prouver par les faits qu'il était impossible de peser « de l'intérieur » sur la politique du gouvernement. Aussi a-t-il cherché en permanence la rupture pour éprouver la capacité de résistance de François Hollande. Cette stratégie d'attente était pour lui absolument nécessaire pour gagner en crédibilité et, in fine, apparaître comme une alternative au « socialisme de l'offre » du duo Valls-Hollande. Une fois à l'extérieur du gouvernement, personne ne pourra reprocher au Bressan de ne pas avoir « essayé », de ne pas s'être frotté à la pratique gouvernementale, de n'être qu'un excité prônant l'impossible. Pour Arnaud Montebourg, il s'agissait de désamorcer cette éternelle accusation que les socialistes « réformistes » adressent depuis plus d'un siècle à leur gauche : celle de l'irresponsabilité.

Bon moment pour la rupture

Or, le moment est particulièrement bien choisi pour Arnaud Montebourg pour franchir le Rubicon. Car son discours est, quoi qu'on en dise en France, de plus en plus crédible. La critique de la politique menée en zone euro sous la pression allemande prend de l'ampleur. Le président du conseil italien Matteo Renzi réclame à nouveau que l'on modifie le calcul des déficits en excluant les dépenses d'investissement. Le nouveau président de la Commission promet un plan de relance. Et, surtout, vendredi, dans son discours de Jackson Hole, Mario Draghi a appelé, pour la première fois, les gouvernements de la zone euro à soutenir sa politique monétaire par une politique de soutien à la demande. Pendant ce temps, Paris semble toujours tétanisée par sa crainte de déplaire à Berlin et refuse de se mêler à ce mouvement. Ainsi, lors du conseil européen, François Hollande n'a guère soutenu les exigences de Matteo Renzi. Par ailleurs, le président français a affirmé « maintenir la ligne » après les Européennes et a nommé son ancien ministre des finances, Pierre Moscovici, « le grand ami » de Wolfgang Schäuble (et le seul Français acceptable à ses yeux pour les affaires monétaires), à la Commission européennes. Bref, Arnaud Montebourg peut sortir du gouvernement en représentant une alternative crédible au « socialisme de l'offre. » C'est ce qu'il cherchait.

Un Montebourg devenu gênant

Du côté de l'Elysée, la voix dissonante du Bressan était de moins en moins acceptable alors que le gouvernement cherche à créer une unité d'action et à renforcer la clarté de son action. Au moment où le gouvernement entreprend un "détricotage " de plusieurs de ses mesures comme la loi Duflot. Vis-à-vis de Berlin, Arnaud Montebourg rendait la position de Paris impossible par ses attaques. La presse allemande s'est souvent émue des propos du futur ex-ministre. Or, Paris veut négocier avec l'Allemagne sa bienveillance sur le plan budgétaire. Elle veut donc ménager toujours plus Angela Merkel. C'est le fond de la dissension entre le Bressan et le Corrézien : le premier pense que la confrontation avec l'Allemagne est plus efficace que les caresses. L'autre envisage l'inverse.

Et maintenant ?

Que va-t-il en faire ? C'est toute la question. Désormais, l'ex-ministre ne pourra pas être discret. Il incarne une opposition claire à la ligne gouvernementale et une alternative à cette dernière. Est-ce compatible avec le maintien dans la majorité ? Le Bressan est-il prêt à la rupture ? Les députés PS le suivront-ils ? De la réponse à ces questions dépend l'avenir du gouvernement.