Finances publiques : le coup de poker de Michel Sapin

Par Fabien Piliu  |   |  962  mots
Maintenir le cap en matière de réduction des dépenses publiques, l'objectif de Michel Sapin
Pour limiter le dérapage du déficit public provoqué par la panne de croissance et la chute des recettes fiscales, le ministre des Finances compte maintenir le cap en matière de réduction de la dépense publique afin de ne pas mécontenter Bruxelles. Pour compenser les économies non réalisées, la Sécurité sociale sera encore mise davantage à contribution. Les frondeurs, qui espéraient un assouplissement des mesures d'austérité, en sont pour leurs frais. Bruxelles attend des précisions.

En annonçant mercredi que la France allait maintenir le cap en matière de réduction de dépenses publiques, le ministre des Finances Michel Sapin et le gouvernement auquel il appartient prennent des risques. Ils prennent le risque de décevoir davantage les Français en témoignant de leur incapacité à sortir l'économie française de la crise en dépit des promesses de retournement de la courbe du chômage et des messages positifs sur la sortie imminente de la crise dans laquelle la France est engluée depuis 2008-2009.

Une croissance en berne

Les faits sont là. La croissance du PIB n'atteindra ni 1% - une prévision à laquelle souscrivait encore au printemps toutes les institutions internationales et le Haut conseil des finances publiques -, ni 0,5% comme l'annonçait Bercy fin août mais 0,4%. En 2015, ce n'est plus de 1,7% que le PIB devrait augmenter, mais de 1% seulement.

Dans ce contexte, on imagine difficilement les embauches repartir et la confiance des ménages et des entreprises décoller. En conséquence, la France ne sera pas en mesure d'atteindre son objectif de déficit public cette année. Il devrait s'élever à 4,4% du PIB au lieu des 3,8% prévus par la loi de finances rectificatives votée cet été. En 2015, il atteindrait 4,3%, très loin des 3% programmés par le programme de stabilité. Mauvaise élève la France était, mauvaise élève elle restera.

Michel Sapin prend également le risque de décevoir Bruxelles à qui la France avait déjà demandé le report de deux années de ses engagements communautaires l'année dernière. La pilule devrait avoir du mal à passer alors que l'Elysée se démène pour convaincre la Commission du sérieux de ses engagements. Certes, Michel Sapin évoque des circonstances exceptionnelles pour expliquer l'incapacité de la France à atteindre ses objectifs. En cause ? Le ralentissement de la croissance, aussi brutal qu'imprévisible selon l'exécutif, qui plombe les recettes fiscales, recettes fiscales également dégradées par le faible niveau de l'inflation.

Convaincre Bruxelles, une nouvelle fois

Il ne reste plus qu'à attendre que Bruxelles valide le caractère exceptionnel de ces circonstances et à espérer que le discrédit soit minime. " Nous ne demandons pas la modification des règles européennes, nous ne demandons pas leur suspension, ni aucune exception pour la France non plus que pour les autres pays. Nous demandons la prise en compte collective d'une réalité économique qui nous concerne tous - une croissance trop faible et une inflation trop basse -, dans le respect des traités : le respect des principes et des règles qu'ils posent mais aussi les flexibilités qu'ils offrent - comme l'ont indiqué les chefs d'Etat et de gouvernement lors du Conseil européen tenu il y a deux semaines ", a déclaré le ministre.

Bruxelles s'exprimera en novembre

La France pourra-t-elle continuer à mécontenter Bruxelles ? En signe d'apaisement, le gouvernement assure que le déficit public repassera sous la barre des 3% en 2017. Quelques heures après les annonces de Michel Sapin, la Commission européenne a réagi, demandant à la France de présenter des "mesures crédibles" pour réduire ses dépenses en 2015. "Le projet de budget, que Paris doit envoyer à la Commission d'ici mi-octobre, doit clairement spécifier des mesures crédibles pour mettre en place l'ambitieux plan de réduction des dépenses pour 2015 et après", a indiqué Simon O'Connor, porte-parole de la Commission européenne en charge des dossiers économiques. La Commission se prononcera en novembre, une fois que la nouvelle Commission sera en place, avec Pierre Moscovici aux Affaires économiques et financières.

En attendant, pour mettre toutes les chances de son côté et convaincre Bruxelles de sa bonne volonté, le gouvernement maintient le cap en matière d'économies. Les 2 milliards d'économies non réalisées en raison de la faible inflation seront intégralement compensées. Par des hausses d'impôts ? Michel Sapin a été clair. L'impôt sur le revenu ne progressera pas. Une hausse des taux de TVA est également exclue, en dépit des rumeurs qui circulent, notamment à l'Assemblée nationale.

La Sécu dans le viseur

Comme l'a précisé le ministre des Finances, ces économies seront réalisées par la Sécurité sociale dont le Pacte de responsabilité prévoit une cure d'amincissement de 10 milliards d'euros, cure d'autant plus à suivre que les recettes fiscales qui alimentent le budget de la Sécu sont en chute libre. Les Français seraient donc épargnés ? Est-ce possible ? Il faudrait que les économies qui seront annoncées lors de la présentation du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2015 ne portent pas sur de nouveaux déremboursements, sur une baisse de certaines prestations sociales notamment celles versées aux familles. Alors que la France affiche un des taux de natalité les plus élevés des pays de l'OCDE, une nouvelle charge sur les prestations familiales risque de casser la dynamique démographique tricolore que la plupart de ses voisins lui envient.

Quand Bercy provoque les Frondeurs

Enfin, sur le plan politique, le gouvernement mise gros également. A quelques jours du vote de confiance du gouvernement, qui sera organisé le mardi 16 septembre, cette volonté de maintenir le cap en matière de réduction des dépenses publiques est un message clair adressé aux 41 frondeurs dont les principaux ténors ont d'ores et déjà déclaré qu'ils s'abstiendraient. Malgré leurs demandes répétées d'un assouplissement de la politique d'austérité, le gouvernement reste sourd. " Nous avons pris des engagements en matière d'économies de dépenses, et nous les tiendrons ". La réponse des frondeurs ne devrait pas tarder.