Pourquoi François Hollande joue-t-il à la roulette russe ?

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1018  mots
Les fruits de la politique ménée par François Hollande, s'il y en a, ne pourront être récoltés qu'après 2017...
Après avoir rencontré des difficultés inattendues depuis 2012, François Hollande est condamné à poursuivre sa politique en faveur des entreprises, au grand dam des "frondeurs" du PS qui plaident pour des mesures en faveur du pouvoir d'achat. Ça passe ou ça casse.

Et maintenant que faire ? C'est peu de dire que le président de la République et le gouvernement Valls se retrouvent dans une situation très difficile. « Rien ne se passe jamais comme prévu » a l'habitude de dire François Hollande. Il est servi. Le 10 septembre, Michel Sapin, le ministre des Finances... et des Comptes publics a été obligé de reconnaître que la France ne pourrait pas tenir certains de ses engagements. Le déficit public, qui devait être limité à 3,8% du PIB en 2014, atteindra finalement 4,4% et il serait encore de 4,3% en 2015. Soit loin, très loin, des 3% demandés par la commission européenne. Quant à la croissance, elle restera en berne avec un malheureux 0,4% en 2014 (au lieu du déjà triste 1% initialement prévu) et 1% en 2015. Comment en est-on arrivé là, alors que le Leitmotiv de François Hollande durant la campagne était, justement, la réduction des déficits ? Pour le gouvernement, la cause des maux de la France sont la faible inflation, voire la déflation qui guette, et l'absence surprise de nette reprise de l'économie mondiale.

L'erreur de diagnostic en 2012

Certes, mais ces justifications sont étonnantes : quand un pays cumule restriction, voire austérité (Manuel Valls n'aime pas ce terme)  budgétaire, et faible croissance - ce qui est le cas de la France - la déflation n'est alors forcément pas loin. Ce que le gouvernement prend pour une cause est en fait plutôt un effet. Quant à la croissance, là aussi, il est étonnant que le gouvernement n'ait  pas davantage anticipé. Pour lui, la demande en forte progression des pays émergents - les fameux BRICS - devait tirer les exportations françaises et européennes... et donc la croissance. Ainsi, les prévisions du gouvernement tablaient sur une augmentation de 1,7% du PIB en 2013.... Ce fut, in fine, 0,3%. Car en 2013, du fait du durcissement de la politique de la Réserve fédérale américaine, l'économie a commencé à ralentir dans nombres de pays émergents qui n'ont donc pas pu jouer leur rôle moteur. La Chine, en pleine transition, a vu sa croissance ralentir et les autorités de Pékin se sont davantage souciées de favoriser la demande intérieur mais avec des produits « made in China »... Quant à l'Allemagne, première économie européenne et premier partenaire commercial de la France, elle n'a guère été capable, malgré une croissance solide en 2010 et 2011, de tirer l'économie française.
Pour la France donc, un des moteurs de la croissance, les exportations, est resté encalminé... et notre déficit commercial à encore plongé. Le problème est que les autres moteurs sont également poussifs. L'investissement des entreprises est en panne faute de marges suffisantes dues à l'accumulation des années de crise. Quant à la consommation des ménages, elle tient - notamment parce que les Français piochent dans leur épargne - mais elle toussote.

L'obsession des comptes publics

François Hollande a sans doute voulu aussi être plus royaliste que le roi en matière de réduction des déficits. Non seulement il souhaitait que la France puisse continuer à emprunter aux taux les plus bas sur le marché obligataire mais il voulait aussi prouver que la gauche était au moins aussi bonne gestionnaire que la droite... C'est la France de Nicolas Sarkozy qui a perdu le « triple A » de Standard & Poor's, pas la sienne. Le nouveau président espérait même revenir dans les clous de Maastricht (déficit limité à 3%) dès la fin 2013... Pour ce faire, la nouvelle majorité socialiste a eu la main lourde avec 30 milliards d'euros d'impôts supplémentaires en 2012/2013, soit 1,5 point de PIB ! Or, avec les effets multiplicateurs chers aux keynésiens, ceci a lourdement pesé sur l'activité... Donc la croissance. Le chat se mord la queue.
Et maintenant, quels vont être les objectifs de François Hollande pour la deuxième partie du quinquennat- celle qui devait être initialement consacrée à la « redistribution » comme le prévoyait le programme du candidat Hollande en 2012 ! - ?
Cela tient de la roulette russe, ça passe ou ça casse. La lutte contre le chômage est quasiment perdue d'avance pour au moins deux ans. Avec une croissance inférieure ou tout juste égale à 1%, pas question de faire reculer le nombre des demandeurs d'emploi, faute de créations suffisantes de postes. C'est tout juste si, grâce aux politiques de l'emploi (contrats aidés, formation en alternance), la courbe pourra être stabilisée.

La compétitivité des entreprises: objectif numéro 1

La réduction des déficits reste, elle, toujours une priorité, dixit Michel Sapin, même si la trajectoire est allongée jusqu'en 2017. A cet égard, sur un total de 50 milliards d'économies à réaliser dans les dépenses sur trois ans, le ministre des Finances persiste et signe : 21 milliards d'euros seront trouvés dès 2015. Ce qui fait hurler les « frondeurs » socialistes qui crient à l'injustice et prédisent un nouvel effondrement de la consommation.

Reste la restauration de la compétitivité des entreprises. Là, le cap est maintenu, c'est même ouvertement devenu l'objectif numéro un, via le pacte de responsabilité, qui va alléger de 40 milliards d'euros sur 3 ans les prélèvements sur les entreprises. Et même en période de restriction budgétaire, pas question de revenir sur ce point ont martelé Michel Sapin et François Rebsamen, le ministre du Travail. Toute la politique de l'offre pratiquée par le gouvernement va donc dans ce sens : permettre aux entreprises de rétablir leurs marges, retrouver leur compétitivité... pour ensuite embaucher. Encore faut-il que la croissance soit là et que les entreprises aient un besoin réel de recruter.

Politiquement, également, ce pari est hasardeux, comme le souligne l'économiste Xavier Timbeau, directeur à l'OFCE:  une politique de l'offre met toujours beaucoup plus de temps à produire des effets qu'une politique de la demande. En d'autres termes, il n'est pas du tout certain que François Hollande soit encore en fonction pour recueillir les fruits de sa politique... Si fruits il y a. C'est la roulette russe.