Contrats précaires plus courts, taux de rotation en hausse : le marché du travail se dégrade

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  758  mots
Le taux de rotation sur les postes occupés par des jeunes non diplômés s'accélère
La durée moyenne des CDD et des missions d'intérim a été divisée par trois (passant de 3 à 1 mois) en 30 ans, selon une récente étude de l'Insee. Par ailleurs, le taux de rotation des salariés sur ces contrats courts a été multiplié par 5...

Le marché du travail français se transforme... et pas dans le bons sens. Si la part du nombre d'emplois précaires dans l'ensemble de l'emploi salarié privé est relativement stable depuis une quinzaine d'années, en revanche, la rotation de la main d'œuvre sur ce type de contrats (CDD et intérim) s'est considérablement accélérée en 30 ans. C'est l'un des principaux enseignements que l'on peut tirer de l'édition 2014 de « Emploi et salaires » publiée par l'Institut national de la statistiques (Insee) qui dresse un panorama très complet de la structure du marché du travail français.
Cette année, l'Institut a donc décidé, avec raison, d'approfondir le thème de la rotation de la main d'œuvre. L'indicateur de rotation arrêté par l'Insee mesure l'ensemble des entrées et des sorties résultant de la pratique des entreprises et des comportements des salariés tout au long d'une année donnée. Dit autrement, il s'agit d'un indicateur de « flux » qui mesure pour 100 salariés présents à un moment donné, la moyenne du nombre d'entrées et de sorties sur un an. Les résultats sont éloquents.


13% des salariés sont en contrats précaires... de plus en plus courts

Si la part des formes particulières d'emploi (intérim, CDD) dans l'emploi salarié a progressé de 5% en 1982 à 13% en 1998, elle est restée quasi stable depuis. Ce « boum » constaté entre 1982 et 1998 est notamment du aux modifications législatives qui ont considérablement libéralisées le recours aux CDD et à l'intérim, auparavant nettement plus encadré.
En revanche, et la donnée est impressionnante, entre 1982 et 2011, le taux de rotation de la main d'œuvre a été multiplié par cinq, passant de 32% à 77%. Pourquoi ? tout simplement parce que la durée des contrats à durée déterminée et des missions d'intérim s'est considérablement raccourcie. En 2001, seuls un peu plus de 5% des embauches se font en CDI, contre plus de la moitié en 1982 et, parallèlement,  la durée moyenne des embauches sous CDD ou missions d'intérim est passée de 3 mois en 1982 à... 1 mois en 2011. Soit une division par trois. L'Insee n'est d'ailleurs par le seul a faire ce constat, l'Unedic, qui gère l'assurance chômage, avait déjà souligné la part grandissante des fins de CDD courts et de missions d'intérim dans les motifs d'inscriptions à Pôle emploi.

La variable d'ajustement

L'Insee évoque un « changement dans le mode d'utilisation « des contrats précaires. De fait, ils ne servent plus réellement à l'insertion, notamment des jeunes, ils sont davantage une variable d'ajustement qui permet d'adapter rapidement au plus juste les effectifs dans une période marquée par une absence de visibilité à moyen terme et par des variations erratiques des carnets de commandes. Il est, bien entendu, plus facile pour une entreprise de se séparer de contrats précaires que de licencier des salariés en CDI.
Bien entendu, ce sont le jeunes qui structurellement sont surreprésentés parmi les salariés qui occupent des emplois à fort taux de rotation. Mais là aussi les choses évoluent. Dans les années 80, le taux de rotation des jeunes peu ou pas diplômés était à 25 ans inférieur à celui des plus diplômés. Autrement dit, l'effet de l'expérience déjà acquise à 25 ans leur permettait de compenser l'absence de diplôme. 30 ans après, c'est terminé. Les jeunes de 25 ans peu diplômés occupent maintenant des poste à fort taux de rotation...

Le taux de rotation multiplié par cinq dans la restauration, la manutention

Pis, la rotation augmente beaucoup plus vite dans les métiers où elle était déjà élevée. Ainsi, dans les 10 familles professionnelles au taux de rotation le plus faible (ingénieur, banque, assurance, etc.), la rotation a été multipliée par 1,5 en 20 ans. A l'opposé dans les 10 familles professionnelles où le taux de rotation était déjà élevé (restauration, manutention, spectacles, etc.), la rotation a... quintuplé en 20 ans.
De tous ces phénomènes - rotation accrue alors que la part des emplois précaires n'augmente pas, rotation concentrée sur certains secteurs - l'Insee tire une leçon : le marché du travail devient de plus en plus dual et s'apparente à un « modèle segmenté »« emplois stables et instables forment deux mondes séparés ». Un constat qui rejoint une interrogation du moment : un allègement des règles protectrices des salariés en CDI permettrait-il réellement d'insérer les salariés en emplois précaires ?