Le Medef prône le grand soir social

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1239  mots
Pierre Gattaz (Medef) reste persuadé que 1 million d'empois peuvent ^tre créés en cinq ans en dévérouillant les règles fiscales et sociales
Le Medef de Pierre Gattaz a présenté son programme pour créer 1 million d'emplois en France en 5 ans. On y trouve aussi bien des vieilles recettes que quelques propositions fiscales innovantes.

Ils sont venus, ils sont tous là... Ce mercredi 24 septembre, c'était la grand-messe au Medef. L'état-major de l'organisation patronale était quasiment réuni au grand complet derrière son président Pierre Gattaz pour réciter le nouveau catéchisme: il est temps de rénover le modèle économique et social français fondé au lendemain de la guerre pour l'adapter à la mondialisation. Un appel à une sorte de grand soir social donc ! Pour ce faire, le Medef a présenté son nouveau missel, le "petit livre jaune" comme l'appelle Pierre Gattaz, qui résume toute la doctrine patronale. Et le président de promettre un million de nouveaux emplois nets en France si les préceptes inscrits dans ce petit livre jaune étaient suivis à la lettre, ou presque.

Haro sur le droit du travail

Pour le Medef, il n'y a plus le choix et il faut agir vite car le niveau de chômage actuel "sape, détruit et déstabilise ". Pierre Gattaz propose donc quatre axes d'action. La rénovation du modèle social, d'abord. Il faut en finir avec le tout législatif et confier l'élaboration des règles sociales à l'entreprise ou, par défaut, à la branche professionnelle. La loi doit se contenter de fixer les lignes générales. Tout le reste doit revenir à la négociation entre les partenaires sociaux. Il en va ainsi de la durée du travail. Pierre Gattaz et son vice-président délégué, Jean-François Pilliard, chargé des questions sociales, ont encore fait semblant de croire que tout le monde travaillait 35 heures en France et que les chefs d'entreprise ne disposaient pas de marges de manœuvre suffisantes pour aménager le temps de travail.

Bien entendu, c'est inexact sur le fond. Même si, sur la forme, il exact que le droit de la durée du travail, qui ouvre beaucoup de possibilités, constitue un véritable maquis.  La référence aux 35 heures légales ne correspond pas du tout à la durée réelle effective du travail (qui est plus proche de 40 heures). En réalité, la durée légale des 35 heures ne constitue que le seuil de déclenchement des heures supplémentaires. Les dirigeants du Medef le savent en réalité très bien. Mais, ce qu'ils souhaitent, c'est supprimer toute référence légale. Ils veulent que les entreprise puissent fixer leurs propres règles en matière d'heures supplémentaires. Selon les cas et les accords, celles-ci pourraient démarrer à la 35e, 36e, 38e heure de travail. Bien entendu, l'organisation patronale continue également de réclamer la suppression de deux jours fériés.

Après avoir obtenu des facilitations sur  le CDD, le Medef veut assouplir les règles sur le CDI

Le Medef souhaite aussi que les règles protégeant le contrat à durée indéterminée (CDI) soient assouplies, notamment au moment du licenciement. Jean-François Pilliard a plaidé que la « peur » des entreprises d'embaucher sous CDI expliquait en grande partie pourquoi, maintenant, 87% des embauches se faisaient sous forme de CDD.

Certes, mais il convient de faire un petit retour en arrière. Dès le début des année 1980, le CNPF (l'ancêtre du Medef) a mené de violentes campagnes - notamment sous l'égide d' Yvon Gattaz, le père de Pierre - pour faciliter le recours aux CDD et à l'intérim. Il a été en grande partie entendu. Résultat, durant une quinzaine d'années, les gouvernements, de droite ou de gauche, n'ont eu de cesse d'élargir les possibilités de recours à ces types de contrats et à en allonger la durée. Un CDD peut maintenant être signé pour 18 mois, voire plus dans certains cas. Conséquence, les entreprises, qui n'ont pas toujours une grande visibilité sur leurs carnets de commandes, ont multiplié les recrutements « précaires ». Il n'est donc pas du tout étonnant que ces contrats aient « explosé ». C'était même prévisible. Le Medef joue donc au pompier pyromane.

D'autant plus qu'il reste à vérifier qu'un assouplissement des règles du CDI permettrait de mieux intégrer les actuels salariés précaires. Il faut plutôt s'attendre à un nivellement par le bas et à davantage encore de rotation de l'emploi (turn-over) sur le marché du travail. Car Pierre Gattaz milite aussi pour des contrats de projet, un contrat de travail qui prendrait fin une fois la missions réalisée, une sorte de CDD "à la carte"...

Des pistes de réformes fiscales intéressantes

Le deuxième axe pour relancer l'emploi, selon Pierre Gattaz, doit passer par une amélioration de la compétitivité. Le Medef regrette que le taux de marge des entreprises françaises soit tombé à 29,3%, le plus bas de l'Europe, et un record depuis 1985. Pour retrouver cette compétitivité, l'organisation estime que les 41 milliards d'euros d'allègements de prélèvements sociaux et fiscaux décidés par le gouvernement dans le cadre du pacte de responsabilité ne suffisent pas. Pour Geoffroy Roux de Bézieux, vice-président du Medef, il faut aller plus loin dans l'allègement du coût du travail, la France se trouvant en queue de peloton de l'Europe, selon les statistiques Eurostat.

Certes, mais le vice-président aurait du rappeler que les statistiques fournies par Eurostat ne tiennent pas compte des allègements -notamment l'allègement « Fillon », dégressif entre 1 et 1,6 Smic. En revanche, le Medef s'est livré à une sorte de mea culpa en reconnaissant que la compétitivité hors coût était aussi un souci qui n'avait pas assez été pris en considération, notamment la question de la nécessaire montée en gamme des produits français pour échapper à la concurrence des pays à bas coût.

Avec son troisième axe, le Medef a milité pour une reprise des investissements. A juste titre, l'organisation patronale a souligné combien, fiscalement parlant, il convenait de "privilégier la prise de risque sur la rente". Sur ce dossier, le Medef avance des propositions sérieuses qui méritent d'être étudiées. Selon lui, il faut absolument drainer davantage l'épargne « dormante » vers le financement des PME. Il faut également alléger la fiscalité pesant sur les plus-values ou l'ISF en cas d'investissement dans les PME. Il conviendrait également de réfléchir aux délais de paiement pour empêcher les problèmes de trésorerie des entreprises. Tout comme devrait être étudié sérieusement, un allègement de la fiscalité pesant sur les facteurs de production. Le mouvement est d'ailleurs amorcé puisque le gouvernement s'est engagé pour la fin 2016 à supprimer la C3S.

Enfin, il y aussi ce que le Medef appelle des « leviers transverses et sectoriels ». Ainsi, il persiste et signe sur le nécessaire relèvement des effets de seuils qui pourrait créer « entre 50.0000 et 100.000 emplois ». Idem pour une extension du travail du soir et du dimanche. Là, ce sont également de 50.000 à 100.000 emplois qui pourraient être trouvés, sans que l'on sache très bien s'il s'agit d'équivalents temps plein. Sans oublier qu'un certain nombre de décisions sectorielles dans le tourisme, la construction, la santé pourraient aussi permettre des centaines de milliers de créations de postes... Reste une question, que ne pose pas le Medef : en période de crise européenne, de telles décisions créeront-elles une demande, et donc un chiffre d'affaires, supplémentaire ?