Budget français : pourquoi la Commission européenne joue avec le feu

Par Romaric Godin  |   |  1372  mots
A Berlin, on est prêt désormais à « faire des exemples. » Pour une raison simple : montrer que les règles adoptées grâce à l'intervention d'Angela Merkel durant la crise sont efficaces, punissent les « mauvais élèves » et garantissent l'argent « des contribuables allemands. »
Bruxelles est tentée de censurer le budget présenté par la France, et celui de l'Italie, pour l'exemple. Rien ne serait plus nuisible à l'Europe.

Le ton est donné. La Commission européenne s'apprêterait à rejeter les budgets français et italien, leur demandant de nouvelles coupes dans les dépenses « structurelles. » En Belgique, on craint le même couperet. Ancienne ou nouvelle, la Commission reste la même. Les structures européennes demeurent, les règles aussi et l'idéologie basée sur les vertus de la réduction des déficits tout autant.

Fin de la parenthèse

Cette volonté de mettre la pression sur les budgets nationaux traduit de facto la fermeture de la parenthèse ouverte à la fin du printemps dernier lorsque le président du conseil italien Matteo Renzi avait demandé un peu d'air pour pouvoir investir et relancer la machine économique en Europe. Lors du sommet européen du 27 juin, on lui avait concédé de beaux discours sur la croissance, un rappel de la « flexibilité des règles existantes » et la promesse d'un beau plan de « 300 milliards d'euros » de la Commission européenne. Mais tout ceci n'était qu'une de ces belles usines Potemkine comme savent en construire les fonctionnaires européens.

La Commission décidée à faire sentir son pouvoir

La réalité apparaît en ce début d'automne dans toute sa nudité : la zone euro s'est dotée d'une gouvernance au cours des années 2011-2013 qui assure la persistance d'une unique politique, celle de la réduction des déficits et de l'amélioration de la compétitivité externe. Quel qu'en soit le coût puisque, dans la logique adoptée par ces institutions, tout ceci est évidemment fait pour le bien des peuples. Logiquement, le maintien de la « crédibilité » de ces règles est devenu la priorité des institutions bruxelloises. Rappelons que le semestre européen, comme le Two Pack et le Six Pack ne sont rien d'autres que des procédures renforçant le pouvoir de contrôle et de sanctions de la Commission. Comment peut-on croire que cette dernière allait accepter d'abdiquer elle-même de ce nouveau pouvoir ? La vérité, c'est qu'aucune alternative à cette politique n'est désormais possible au sein de la zone euro.

Soutien allemand

Évidemment, Bruxelles n'aurait pas pris le risque de songer seulement à sanctionner les deuxième et troisième économies européennes sans avoir un appui certain au Conseil. Cet appui, c'est évidemment celui de l'Allemagne qui disposent avec ses alliés de la minorité qualifiée « inversée » de 91 voix nécessaire pour faire échouer le blocage des sanctions. Or, à Berlin, on est prêt désormais à « faire des exemples. » Pour une raison simple : montrer que les règles adoptées grâce à l'intervention d'Angela Merkel durant la crise sont efficaces, punissent les « mauvais élèves » et garantissent l'argent « des contribuables allemands. » Il s'agit évidemment, on l'aura compris, de prouver que la chancelière mène sérieusement la croisade pour la « culture de stabilité » en Europe et, donc, qu'un vote pour les Eurosceptiques d'Alternative für Deutschland est inutile. La pression de ces derniers sur la politique européenne est désormais sans commune mesure avec leur poids dans la politique allemande (entre 8% et 10 %).

La situation est donc claire : dans l'intérêt de la bureaucratie bruxelloise et de la situation politique de la CDU, l'Europe va frapper fort non pas contre la déflation comme le réclamait Mario Draghi, mais contre les déficits. Mais quelles seront les conséquences de ce choix ?

Le pire moment économique

Comme le souligne l'économiste de Nomura Jacques Cailloux, il existe désormais une opposition au cœur de l'économie de la zone euro entre la déflation compétitive incarnée par les mesures budgétaires de Bruxelles et la volonté de faire redémarrer l'inflation de la BCE. Pour le moment, la Banque centrale européennes a brillé par une forme d'impuissance. D'où l'appel de Mario Draghi, le 23 août à Jackson Hole, pour que l'on réduise la pression déflationniste. Cet appel n'a pas été entendu. Il ne le sera pas. La tendance déflationniste l'a donc emporté. Au pire moment.

Car, en ce début d'automne, les indicateurs économiques européens sont en chute libre. Les indices de confiance et d'activité reculent partout, les chiffres bruts apparaissent inquiétants, notamment en provenance d'Allemagne. Les indicateurs avancés d'inflation commencent à baisser dangereusement. Bref, la zone euro se trouve très clairement à la veille d'une nouvelle rechute économique, la troisième depuis 2007.

La route vers la récession est ouverte

Le bon sens voudrait que l'on fasse tout pour éviter cette rechute. Mais la volonté de « faire un exemple » de la Commission aura sans doute des conséquences opposées. Les agents économiques, voyant la France baisser sur ordre ses dépenses publiques ou menacée d'une amende de Bruxelles, vont désormais anticiper une période d'austérité sévère en France et en Italie. Chacun va à nouveau s'abriter derrière ce qu'il estime pouvoir sauver. L'investissement va continuer à reculer, la consommation - dernière défense de la croissance française - va reculer.

La récession sera alors inévitable. Et la France et l'Italie n'étant pas la Grèce et le Portugal, l'effet sur le reste de la zone euro sera redoutable. Penser que l'on y échappera par le seul élément positif qui est celui de la baisse de l'euro est un vœu pieu. D'abord parce que la BCE n'est que très partiellement responsable de cette baisse de l'euro qui est plutôt une hausse du dollar. Ensuite, parce que la baisse des prix des matières premières pourraient compenser cette baisse de l'euro et que la demande externe reste très faible.

Oublier les leçons de l'histoire

Pourtant, les exemples de 2011 lorsque l'on avait voulu punir Grecs, Portugais, Irlandais et Espagnols auraient dû prouver à Bruxelles et Berlin que l'on ne gère pas des économies nationales comme des boutiques et que l'on ne peut faire de l'économie à coup « d'exemples » et de morale. Mais il faut croire que l'idéologie est plus forte que la réalité. On refera donc avec les plus grandes économies de la zone euro les erreurs que l'on a faite avec les plus petites. Sauf que cette fois, on entre dans un trou noir. Une nouvelle récession européenne pourrait avoir des conséquences graves, notamment l'ouverture d'un vrai cycle déflationniste.

Le risque politique

La Commission et Berlin jouent donc avec le feu. Et pas seulement sur le plan économique. Sur le plan politique, ils prennent le risque de discréditer l'action de l'Europe. La position de la Commission a des airs de celle de Charles X avant la révolution de juillet 1830 qui assurait agir pour « le bonheur de ses peuples. » Sauf évidemment que ce comportement alimente la critique du « déni de démocratie » de plusieurs partis en Europe. Nul ne sait comment les Français réagiront à cette application rigoureuse du Two Pack et du Six Pack à l'encontre de leur pays. Le danger, c'est qu'on ne perçoive plus en France ou en Italie l'euro que comme une contrainte et non comme une « chance. » Comment pourra-t-on alors leur en vouloir ?

Au moment où l'on devait agir pour relancer la croissance, où la BCE demandait que l'on agisse, où jamais l'on avait autant eu besoin d'une action coordonnée en Europe, on a mené la barque à contre-courant et l'on a jeté de l'huile sur le feu, sans vraiment se soucier de la question de la demande et de la relance. Comment expliquer alors que l'euro est utile, qu'il permet la collaboration des États, qu'il protège ?

Ce choix de la Commission de censurer la France et l'Italie est du pain béni pour tous les partis eurosceptiques des deux pays. Or, précisément, ces deux pays disposent déjà d'un bon quart de l'électorat qui est rallié à ces partis. C'est dans un jeu dangereux que se lancent cet automne les fonctionnaires bruxellois. S'il se confirme, leur décision aura des airs de 1914, lorsque l'on partait la fleur au fusil, sûr que le bon droit et la morale l'emporterait aisément. Elle a des airs de suicide joyeux.