Les vrais et faux remèdes contre le chômage

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1356  mots
Le droit du travail français n'est pas le plus flexible, loin de là. Il n'en reste pas moins que depuis trente ans il a considérablement évolué dans le sens de la flexibilité - c'est même pour cette raison que, paradoxalement, le code du travail a grossi.
Principal échec de François Hollande, l'inversion de la courbe du chômage ne se produira pas avant 2015, au mieux. Car la croissance économique n'est pas suffisante. La complexité du code du travail est un verrou, surtout pour les PME. Mais les pistes évoquées cet automne tiennent plus du gadget que de vraies réformes.

Mai 2012, François Hollande entre à l'Élysée, la France compte 2.922.100 demandeurs d'emploi inscrits en catégorie « A » en métropole. Vingt-deux mois plus tard, fin juillet 2014, ils sont 3.424.000, soit 500.000 de plus. Quant au taux de chômage, il flirte avec les 10% et ni l'Insee ni l'OCDE n'envisagent de recul avant, au mieux, la fin de 2015. Pis, le pays est quasi en panne en termes de création d'emplois.

La France est malade de son chômage avec toutes les conséquences désastreuses qui en découlent, tant au niveau personnel que collectif. Cet échec sur le front de l'emploi est la principale raison du désamour entre les Français et François Hollande. Sans parler des conséquences financières. L'assurance chômage perd environ 4 milliards d'euros chaque année, et sa dette cumulée atteindra 21,3 milliards d'euros à la fin de 2014.

1,5 %, le minimum de croissance nécessaire

Pourquoi la France, à la différence de certains pays à l'économie comparable, n'arrive pas à se guérir de son chômage ? Où sont les freins ? À sujet compliqué, réponses multiples.

La conjoncture, en premier lieu. Avec un PIB qui ne décolle pas, il ne peut y avoir de création d'emplois dans le secteur marchand. Selon les dernières prévisions de Bercy, le PIB ne devrait croître que de 0,4% cette année, contre le 1% initialement prévu.

En 2015, ce serait 1%. Or, pour parvenir à inverser la courbe du chômage, il faut au moins 1,5% de croissance. Notamment parce que la France, à la différence de la plupart de ses voisins - notamment l'Allemagne -, a la chance de bénéficier d'une démographie active. Mais en matière d'emploi, ceci a un effet pervers : il faut parvenir à créer plus d'emplois que le nombre de jeunes entrant sur le marché du travail. Un objectif rendu encore plus compliqué par la succession des réformes des retraites, qui ont pour conséquence de retarder l'âge de cessation d'activité. Résultat, selon l'Insee, en 2014, la population active devrait s'accroître de 124.000 personnes, en solde net.

Autre point saillant, les entreprises n'ont pas besoin d'embaucher... Non seulement parce que leurs carnets de commandes sont loin de faire le plein, mais aussi parce qu'elles possèdent des réserves en interne. Pour preuve, dans ses enquêtes conjoncturelles, lorsque l'Insee demande aux entreprises si elles pourraient augmenter leur production sans embaucher, une écrasante majorité répond positivement.

« Nous avons calculé qu'il existait un sureffectif d'environ 210.000 salariés dans les entreprises », explique Éric Heyer, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

En d'autres termes, tout cynisme mis à part, depuis 2008 les entreprises françaises n'ont pas autant ajusté à la baisse leurs effectifs que la conjoncture l'imposait, même si une avalanche de plans sociaux a créé un effet de loupe. Ce que confirme l'ancienne présidente du Medef, Laurence Parisot :

« Je me souviens qu'avec d'autres chefs d'entreprise, en 2009, nous nous sommes dit qu'il fallait au maximum maintenir les emplois. Cela nous a beaucoup coûté. »

Bien entendu, il n'y a pas que les raisons conjoncturelles. Le mal français du chômage a de profondes racines. Notre pays souffre de longue date d'une inadéquation entre l'offre et la demande d'emplois.

Généraliser la formation pour monter en gamme

Malgré de sérieux progrès, les jeunes générations n'ont pas toujours en poche le diplôme ou la formation qui leur permettrait d'accéder plus facilement au marché du travail. La formation en alternance et l'apprentissage restent toujours le parent pauvre du système. Et la formation des demandeurs d'emploi est trop longtemps restée en friche. De timides ébauches de réponse se font jour. Ainsi, en 2013, le gouvernement Ayrault a lancé un plan de formation pour 39.000 chômeurs afin de leur proposer un apprentissage en adéquation avec des emplois non pourvus.

D'après une étude du ministère du Travail, 65% de ces chômeurs étaient en emploi durable six mois après la fin de la formation. En 2014, ce sont 100.000 demandeurs d'emploi qui devraient pouvoir accéder à ce dispositif doté d'une enveloppe de 200 millions d'euros.

C'est bien, mais c'est trop peu. Pour résorber le chômage de masse, il faudrait sonner le tocsin et décider d'un gigantesque plan général de formation pour les chômeurs et les salariés les moins qualifiés afin de faire monter en gamme la production française et résoudre le problème de compétitivité par le haut. Ainsi, la France ne se retrouvera plus en compétition avec des pays produisant à bas coûts. À cet égard, les 34 projets industriels novateurs imaginés par l'ex-ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg vont dans le bons sens.

Autre blocage, les entreprises en ont littéralement « ras le bol » de l'instabilité du droit fiscal et social français. Surtout les plus petites, rarement dotées des services adéquats. Impôts sur les sociétés, taxation des plus-values, droit du licenciement, contrat de travail, etc. Sans cesse, l'un ou l'autre de ces points cruciaux pour l'entreprise fait l'objet d'une modification. Une instabilité régulièrement dénoncée par les organisations patronales. Pierre Gattaz, le président du Medef, demande ainsi un « gel » des règles fiscales et sociales pour au moins trois ans. Cette inflation normative serait même un frein à l'investissement étranger en France. Le World Economic Forum le souligne régulièrement dans ses classements des pays les plus attractifs.

En revanche, il ne faut pas trop attendre des pseudo-blocages qui tiennent en réalité davantage d'un combat idéologique mené de longue date par certaines chapelles. Il en va ainsi de l'absence supposée de flexibilité du marché du travail, du « verrou » des 35 heures, de la hantise des seuils sociaux, de la nécessaire extension du travail du dimanche, etc. Certes, le droit du travail français n'est pas le plus flexible, loin de là. Il n'en reste pas moins que depuis trente ans il a considérablement évolué dans le sens de la flexibilité - c'est même pour cette raison que, paradoxalement, le code du travail a grossi.

Pour preuve, l'explosion des embauches sous CDD, qui représentent maintenant 80 % des recrutements. Qui aurait cru ça, il y a trente ans ? Sans parler de l'accord national interprofessionnel (ANI) de janvier 2013, qui a notamment permis la conclusion d'accords sur « le maintien de l'emploi » dans les entreprises en difficulté, qui peuvent ainsi... augmenter le temps de travail et/ou geler les rémunérations.

Freins réels et freins psychologiques

Quant aux 35 heures, rappelons qu'il ne s'agit que d'une référence légale servant de seuil au déclenchement des heures supplémentaires... Et encore ! Les lois Aubry et tous ses avatars autorisent l'annualisation du temps de travail, le forfait jours, le forfait heures, les cycles de travail. L'employeur demeure le seul à choisir la durée réelle du travail dans son entreprise. Quant aux fameux seuils sociaux - dont on n'entend pas parler quand l'économie se porte bien -, que le gouvernement Valls veut relever, ils tiennent davantage du « frein psychologique », ainsi que le reconnaît Pierre Burban, le secrétaire général de l'UPA (artisans employeurs).

« Une modification des seuils sociaux n'aurait pas d'effets massifs sur l'emploi », avoue Laurence Parisot, « mais cela pourrait redonner confiance aux chefs d'entreprise ».

Le vrai problème, c'est surtout la complexité et la bonne maîtrise du droit du travail, davantage que le fond. Combien d'entreprises savent utiliser au mieux la législation sur le temps de travail ? Combien savent que l'instauration d'un CE, d'un CHSCT, de délégués du personnel, etc., peut être remplacée par une « délégation unique du personnel » ? Une fois encore, avec ses velléités de réformes actuelles, le gouvernement risque de ne s'attaquer qu'à l'écume des choses, dans le seul but d'envoyer des signaux aux entreprises pour rétablir la fameuse « confiance ». Et ce aux dépens d'un traitement des racines profondes du chômage, qui se trouvent dans la structure même de notre tissu économique.