Retraites complémentaires : les éléments qu'il faut absolument connaître

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1282  mots
Si rien n'est fait la caisse des cadres (Agirc) pourrait ne plus servir de pensions dès 2018
Les régimes complémentaires de retraite, Agirc et Arrco, pourraient manquer de réserves financières dès 2025, voire 2018 pour la seule Agirc, pour servir les pensions. La Cour des comptes, dans un rapport très complet, dresse la situation exacte et avance quelques suggestions pour sauver ces caisses de retraite.

Dans quelle situation se trouvent réellement les régimes de retraite complémentaire des salariés (Arrco) et des cadres (Agirc) ? Faut-il réellement sonner le tocsin pour assurer leur pérennité ? Des solutions sont-elles (encore) possibles ? La Cour des compte a livré jeudi 18 décembre un volumineux rapport assez exhaustif sur l'avenir des retraites complémentaires pour tenter de répondre à ces interrogations. Etant entendu, comme l'a souligné Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, qu'il n'appartient pas à cette institution de se substituer aux gestionnaires des régimes - les organisations patronales et syndicales - mais simplement d'émettre des recommandations et de « mettre sur la table » toutes les données possibles pour répondre au défi financier auquel se heurtent l'Arrco et l'Agirc. Tour d'horizon.

Rôle et situation de l'Agirc et de l'Arrco

Ces deux régimes couvrent plus de 18 millions de salariés et près de 12 millions de retraités. Ils versent chaque année plus de 70 milliards de pensions de retraite. Créés respectivement par négociation en 1947 et 1961, les régimes Agirc et Arrco sont gérés et pilotés par les seuls partenaires sociaux (organisations patronales et syndicales). Leurs dépenses annuelles constituent plus de 6,5% des dépenses publiques françaises.
La Cour souligne l'excellente gestion de ces régimes jusqu'à ces dernières années. Ainsi, grâce à des mesures de grandes ampleurs amorcées dès 1993, les deux régimes vont connaître entre 1998 et 2008, onze années d'excédents, c'est-à-dire à encaisser plus de cotisations qu'ils n'ont versé de pension. Ils ont ainsi accumulé plus de 60 milliards d'euros de réserves.
Mais depuis 2009, la situation se dégrade. D'abord en raison du fort ralentissement de la croissance économique et de la montée du chômage. Ceci a eu pour conséquence une progression quasi nulle de la masse salariale. Or les cotisations Agirc/Arrco sont assises sur cette masse salariale. Ensuite, on assiste actuellement au départ en retraite des générations nombreuses de l'après guerre, les fameuses générations du « baby boum ». Ceci entraîne une dégradation structurelle du ratio cotisants/retraités. A l'Agirc et à l'Arrco, il y a actuellement 0,6 retraité pour un cotisant, en 2040, il y aura à l'Arrco 0,8 retraité pour un cotisant et à l'Agirc 0,9 retraité pour un cotisant.

Des perspectives financières très dégradées

Résultat, l'Agirc et l'Arrco sont en déficit depuis 5 ans. En 2013, ce déséquilibre a atteint 4,4 milliards d'euros, soit plus de 6% des dépenses. Pour assurer la continuité de versement des pensions, il a fallu faire appel aux réserves financières. Sinon, les retraités auraient vu le montant de leur pension de retraite très amputé. En effet, pour un salarié rémunéré au cours de sa carrière au niveau du salaire médian (soit actuellement 2.160 euros bruts par mois), la pension de retraite complémentaire représentera un quart de sa pension totale, soit 360 euros par mois. Pour un cadre rémunéré 5.400 bruts par mois, soit le salaire moyen des cadres, la pension de retraite complémentaire représentera 1.400 euros par mois, soit la moitié de la pension totale.
Selon les scénarios de croissance retenus, plus ou moins optimistes, les déficits annuels des régimes pourraient atteindre 4 ou 7... voire 20 milliards d'euros jusqu'en 2040. Dans ces conditions, toujours selon les hypothèses de croissance retenues, l'Arrco pourrait avoir épuisé ses réserves en 2025. Pour l'Agirc, c'est pire, l'absence de réserves pourrait se produire dès 2018... mais avec déjà moins de trois mois d'allocations de réserve dès 2016. Il y a donc le feu.

Quelle mesures décider ?

Patronat et syndicats vont se retrouver en février pour négocier des mesures d'urgence. Ils doivent normalement rendre leur copie à la fin juin. Pour sa part, la Cour des comptes a fait part d'un certain nombre de suggestions pour sauver les régimes.
D'abord, la Cour rappelle que le versement des pensions Agirc ne pourra être assuré après 2017 que si un effort spécifique est demandé aux cadres. Cependant, si les cadres devaient supporter seul cet effort, ils subiraient entre 2015 et 2017, une réduction de plus de 10% du pouvoir d'achat de leurs pensions Agirc.

Pour amortir le choc, la Cour suggère de fusionner l'Agirc et l'Arrco pour permettre une « fongibilité des réserves financières ». Cependant, ceci ne pourra se faire qu'en assurant une égalité de traitement entre cadres et non-cadres. Il faudra donc harmoniser les rendements offerts par les régimes « c'est-à-dire des rapports entre le niveau de la pension obtenue et le montant des cotisations acquittées ».
De même, la Cour s'interroge sur le niveau de pensions. Certes, elle reconnaît que les partenaires sociaux ont  déjà décidé dans un accord de mars 2013 un quasi gel des pensions (revalorisation annuelle inférieure de un point au niveau de l'inflation), via une "clause plancher"... mais avec la très faible inflation actuelle, les économies attendues ne sont pas au rendez-vous. Résultat, les retraités étant très faiblement impactés par cette clause, l'essentiel des efforts actuels reposent sur les salariés puisque les partenaires sociaux avaient aussi décidé une hausse des cotisation retraites complémentaires de 0,1% le 1er janvier 2014 puis de nouveau de 0,1% au 1er janvier 2015. La Cour suggère donc un « nouvel examen » de la « clause plancher »... Façon de dire qu'il ne faut pas s'interdire une baisse des pensions.
Mais c'est sur les conditions de liquidation de la pension que la Cour des comptes avance des recommandations les plus audacieuses. Elle estime  "qu'exclure a priori le fait de différer les départs en retraite limiterait les marges de manœuvre des partenaires sociaux, s'ils s'attachaient à repousser l'horizon d'épuisement des réserves au-delà de 2030".

En d'autres termes, une déconnexion avec les conditions de départ en retraite en vigueur pour le régime général (actuellement fixé à 62 ans) ne devrait donc pas être exclue de l'examen des leviers possibles. Légalement, il est exact que l'âge de liquidation de la retraite complémentaire n'est absolument pas obligé de « coller » à celui nécessaire pour percevoir la retraite de base servie par les Sécurité sociale. Mais, dans les faits, au regard de l'importance de la part servie par les retraites complémentaires dans le montant total de la pension de retraite, cela conduira à retarder de facto le départ à la retraite des salariés.
La Cour des comtes a pris un exemple pratique. Il se fonde sur l'hypothèse d'un recul de l'âge de départ de un an (soit 63 ans au lieu de 62 ans), et d'une prolongation des hausses de cotisations (de 0,1%) et des sous-indexations de pensions jusqu'à 2020. Cela permettrait de repousser l'épuisement des réserves au-delà de 2035, tout en limitant la hausse des taux de cotisation à + 0,9% par rapport à 2013 et la perte de pouvoir d'achat à 7%...

La Cour insiste enfin sur la nécessité de lutter contre la fraude ou erreurs aux cotisations de retraites complémentaire, qui, d'après une étude de l 'Acoss (Sécurité sociale) représenteraient jusqu'à deux milliards d'euros. Elle préconise que les agents de l'Urssaf puissent participer au contrôle.

Le débat va donc s'engager en février entre le patronat et les syndicats. Ils disposent, avec le rapport de la Cour des comptes, de nombreuses données et pistes pour « sauver » les régimes complémentaires qui constituent un pilier important du pacte social français. Nombreux sont ceux qui aimeraient voir se pilier s'effondrer pour laisser la place à un autre régime... par capitalisation.