L'Assemblée nationale peut-elle défaire la loi Macron ?

Par Fabien Piliu  |   |  1439  mots
Le projet de loi porté par Emmanuel Macron cconcentre les critiques des députés de droite et de gauche (Crédits : Reuters)
François Hollande l'avait admis : le projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques porté par le ministre de l'Economie n'est pas révolutionnaire. Il semble pourtant l'être beaucoup trop pour les élus et les professionnels concernés.

Les réformes, c'est un peu comme les éoliennes. Tout le monde y est favorable mais personne ne souhaite être directement concerné. Emmanuel Macron, le ministre de l'Economie est en train d'en faire l'amère expérience.

Certes, comme il l'a déjà précisé à plusieurs reprises, les mesures contenues dans le projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques qu'il défend actuellement à l'Assemblée nationale ne constituent pas un véritable électrochoc pour la société et l'économie française. Même François Hollande, le chef de l'Etat en a convenu lors de sa rentrée médiatique sur France Inter le 26 janvier.

Les critiques de la classe politique

Avec ce texte, conscient du risque qu'il y a à casser brutalement les habitudes, le ministre de l'Economie avait simplement pour ambition de supprimer quelques verrous, de mettre un peu d'huile dans quelques mécanismes. Il faut croire que cette ambition était démesurée.
En s'attaquant à des professions réglementées, pensait-il que la partie serait facile ? Peut-être. Entre gens de bonne compagnie, on devait pouvoir s'entendre. Ce fut une erreur d'appréciation. Il suffisait d'assister à quelques échanges publics entre le ministre et les professionnels pour prendre la mesure de l'acharnement de ces derniers à ne pas s'en laisser compter. Dans un climat très hostile, ces limites ont même été franchies. Le ministre de l'Economie a précisé lundi qu'il avait reçu des menaces de mort. Il portera plainte. Richard Ferrand, le député socialiste et rapporteur du texte a également été menacé.

Rien n'y fait ! Une croissance quasi nulle, six millions de personnes environ inscrites à Pôle emploi ne semblent pas convaincre de la nécessité de faire bouger quelques lignes. On ne change pas une recette qui gagne... Résultat, les oppositions à ce texte et à ses 209 articles ont fusé et fusent toujours. De tous les côtés. L'union sacrée décrétée après les attentats qui ont frappé la France début janvier a fait long feu.

Sans surprise, malheureusement, les députés de l'opposition refusent par idéologie stérile de soutenir un texte dont ils auraient pu être les auteurs. Désespérant.

Même la majorité gronde

Au sein même de la majorité, les critiques sont également sévères. Que proposent les frondeurs ? Une refonte du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), une relance du plan Numérique, un encadrement des frais bancaires. Bref, leurs solutions ne sont que des retouches du paysage économique, fiscal et réglementaire actuel. A défaut d'être des réformateurs, les frondeurs perpétuent donc une certaine tradition conservatrice.

Quant aux cris d'orfraies d'anciens ministres de François Hollande, ils ne sont guère plus audibles. Les joutes verbales entre Cécile Duflot, la député écologiste de Paris et ancienne ministre du logement du gouvernement Ayrault et Emmanuel Macron n'a pas fait avancer le débat sur la nécessaire relance de la construction de logements.

Benoît Hamon, l'ancien ministre chargé de l'Economie sociale et solidaire, n'est pas non plus avare de critiques, estimant dans le JDD en décembre que l'extension du travail le dimanche, l'une des mesures phares du projet de loi Macron, était une "triple erreur" : économique, sociale et sociétale. " Je ne vois pas les bienfaits d'une nouvelle extension du champ de la société de consommation ", a déclaré l'ancien ministre. Il a peut-être raison. Alors que la consommation des ménages est en passe de flancher et le commerce est l'un des secteurs les plus touchés par les défaillances, il faudra attendre les premières études d'impact de cette mesure pour pouvoir juger.

Le combat acharné des professionnels

On l'a vu, les professionnels concernés se sont également acharnés pour défendre leurs intérêts, leurs « privilèges » comme se plaisent à les qualifier certains. Malgré de nombreuses réunions publiques d'informations, de séances d'explications, Emmanuel Macron a dû se résoudre à faire marche arrière ce lundi.

Son projet de mettre en place une part de tarifs variables pour les notaires, huissiers et mandataires judiciaires notamment, afin de "permettre à de jeunes professionnels de s'installer" et de faire jouer la "concurrence" a été abandonné sous les coups de boutoir de ses opposants. "Ma résistance a conduit à un système compliqué" et ce dispositif de "corridor tarifaire" devrait être révisé, a déclaré lundi le ministre à l'Assemblée nationale, avouant s'être "trompé". Ne manquait plus que les excuses.

Le dispositif était-il très complexe ? Voici de quoi il s'agissait. « Tous les tarifs des professions réglementées du droit seront arrêtés par le ministre de la Justice et le ministre de l'Economie, après avis de l'Autorité de la concurrence. Ces nouveaux tarifs pourront donner lieu à des adaptations pour les actes importants dans une fourchette de 30 % autour d'un prix de référence. Les tarifs des petits actes seront fixes, en particulier les actes d'exécutions judiciaires. Ils feront l'objet d'une révision régulière sur proposition de l'Autorité de la concurrence, sur la base d'une évaluation des coûts réels. Les prix devront être affichés pour assurer une meilleure information des usagers », précisait le projet de texte avant son passage à l'Assemblée nationale. Cette proposition était-elle incompréhensible ? L'argument ne tient pas vraiment.

Une usine à gaz ?

Au ministère de l'Economie, on assure que l'esprit de la réforme est maintenu, le corridor tarifaire étant remplacé par un système de remises encadrées pour certaines transactions.

Concrètement, pour les commissaires-priseurs judiciaires, greffiers des tribunaux de commerce, huissiers de justice, administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires et notaires, une nouvelle grille des tarifs sera fixée par décret après avis de l'Autorité de la concurrence, dans le but de faire baisser les prix.

Le tarif sera fixe pour les petits actes, par exemple ceux liés au droit des personnes et de la famille, et pour les actes d'exécutions judiciaires. Au-delà d'un certain seuil, les tarifs seront proportionnels à la valeur du bien ou du droit immobilier concerné. Mais au lieu de pouvoir faire varier le prix de ces actes importants dans une fourchette autour d'un tarif de référence (15% en-dessous ou au-dessus), comme prévu par le "corridor tarifaire" qui aurait entraîné des pertes importantes de chiffre d'affaires pour les notaires, les députés ont voté un encadrement des remises qui pourront être consenties, via un amendement des rapporteurs. Quant aux transactions très importantes, supérieures à 300.000 euros, elles ne pourront pas bénéficier de remises mais elles seront écrêtées, abondant un fonds interprofessionnel de péréquation destiné à financer notamment l'aide juridictionnelle, l'accès au droit et les maisons de justice et du droit.

Le nouveau système est-il plus lisible ? Les députés UMP, UDI et Front de gauche ont voté contre ce qui s'apparente selon eux à un "nouveau corridor tarifaire" et une "usine à gaz". De ce point de vue, il est difficile de leur donner totalement tort...

De la difficulté à réformer

D'autres modifications importantes du projet de loi peuvent-elles intervenir ? Tout est possible. Sur le dossier également sensible du travail le dimanche, Emmanuel Macron a déjà dû se résoudre à un compromis avec sa majorité. Alors qu'il voulait donner la possibilité aux maires d'autoriser les magasins à ouvrir douze dimanches par an, dont cinq « de droit » cette obligation d'accord a sauté. Les maires auront la possibilité de bloquer les ouvertures dominicales réclamées par les commerçants.

La libéralisation du transport par autocar permettra-t-elle la création de 22.000 emplois, comme l'estime France stratégie ? Tout le monde l'espère. Mais il faut bien avoir à l'esprit que l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF) n'accordera des autorisations de créations de lignes dans les seules zones non desservies par le réseau de TER.

Sur qui Emmanuel Macron peut compter pour faire adopter son texte ? Les Français sont derrière lui. Publié en novembre, un sondage réalisé par Odoxa Consulting pour RTL indique que 57% des personnes interrogées veulent une accélération des réformes lors de la seconde partie du quinquennat. Dévoilé en fin de semaine dernière, un sondage également réalisé par Odoxa indique que, s'ils étaient parlementaires, 61% des Français de droite comme de gauche, voteraient le projet de loi pour « la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques ». Ils ont un temps d'avance sur leurs élus.