"Les grands pays émergents sont sortis renforcés de la crise"

Selon ce banquier d'affaires, la crise financière est derrière nous.

La Tribune - Un an après la faillite de Lehman Brothers, pensez-vous que la sortie de crise approche ?

Lionel Zinzou - Tout dépend de la crise dont on parle. Et des pays que l'on observe. Le système financier chinois, par exemple, est resté immunisé pour l'essentiel. La capitalisation boursière du secteur bancaire y a pris une envergure supplémentaire. Les institutions financières indiennes sont dans une dynamique très forte. Le rebond des marchés boursiers dans ces pays a permis d'effacer les pertes enregistrées en 2008. Quand proclamera-t-on que la capitalisation de la Bourse de Shanghai est la première du monde ? Bientôt, à mon sens. Les grands pays émergents sont sortis renforcés de la crise. Tous ces indicateurs sont très encourageants. Ils prouvent que la crise financière est derrière nous. Dans les pays les plus développés, nous constatons également le redressement des banques et la fin du «stress» de liquidités. La crise économique et sociale, en revanche, est loin de l'être. Et restons modestes, car nous ne sommes pas à l'abri d'un incident qui provoquerait une nouvelle crise de confiance.

- Les pouvoirs publics ont-ils apporté les bonnes réponses ?

- Leur réaction a été très rapide. Dès août 2007, les banques centrales ont alimenté en liquidités le marché interbancaire. Le mouvement a été bien coordonné, même si la Banque d'Angleterre était au départ un peu sceptique. Les Trésors publics, en apportant des garanties ou des prêts, ont joué un rôle stabilisateur important. Le fait que de nombreuses banques aient renoué avec les bénéfices prouve la validité de l'action déployée. Les aides que les Etats leurs ont apportées, ne sont pas tombées dans le tonneau des Danaïdes tant craint par certains.

- Qu'attendez-vous du G20 ?

- Il a a permis des progrès importants. Les règles destinées à mieux contrôler les risques et les comportements des opérateurs de marché vont dans le bon sens, même s'il faut se garder d'aller trop loin dans le durcissement de certaines d'entre elles. Le danger serait de pénaliser la prise de risque à long terme, notamment le financement des entreprises, en contraignant les prêteurs à mobiliser un niveau considérable de fonds propres. Finalement, on s'oriente vers une véritable labellisation de la finance et de ses produits, à l'image de ce qui existe dans le monde industriel. C'est un pas important qui permettra de rendre le monde financier plus transparent et plus sûr.

- Vous avez pris la présidence de PAI Partners le mois dernier. Ne craignez-vous pas l'éclatement d'une bulle des LBO (rachat par effet de levier) ?

- Deux peurs sont nées de la crise autour de l'industrie du LBO. D'abord, on a craint qu'après les subprimes, une autre bulle explose. Or les fonds de capital-investissement sont bien plus solides que certains le prétendent. On peut estimer que moins d'un tiers de l'univers des LBO mis sur pied en 2007 pose problème. Mais une société comme PAI n'a pas constitué son portefeuille de participations au moment de la bulle de 2006-2007. La grande majorité de nos actifs ont été achetés au creux de la vague, quand les prix étaient très avantageux. Le danger provient en réalité des sociétés en portefeuille dont l'activité est procyclique. Le fabricant de tuiles Monier, par exemple, que PAI avait acquis en 2007, a été frappé de plein fouet par la crise du secteur de la construction. Résultat, nous avons perdu 256 millions d'euros [9,48% des capitaux du fonds IV, Ndlr]. La situation est plus favorable pour notre participation dans le promoteur immobilier Kaufman & Broad.

La deuxième peur provient de la sphère financière, qui craint que le modèle économique du LBO ne soit mort. Evidemment, ce n'est pas le cas. La profession sera seulement contrainte de composer avec des conditions de marché différentes. Elle devra se contenter d'opérations plus petites, du fait d'une moindre disponibilité de la dette et de rendements inférieurs. Il y a deux ans, la dette contractée pour monter une opération représentait facilement 7 à 8 fois le cash flow de l'entreprise rachetée. Nous sommes retombés entre 3 et 4 fois. Nous sortons de la bulle et retournons à un modèle similaire à celui de 2004, lui-même postérieur à l'éclatement de la bulle Internet.

 

- L'utilité sociale du private equity (capital-investissement) est régulièrement mise en cause, notamment par les organisations syndicales. Qu'en pensez-vous ?

- Comme toute industrie, celle du private equity doit pratiquer le dialogue social. Ce travail pédagogique est d'autant plus important que les fonds de capital-investissement ont mauvaise presse. Ils sont encore considérés par certains comme des fonds « vautours », dont le seul but est d'entrer au capital d'une société, d'en extraire le maximum de liquidités, puis de la revendre à la découpe. La réalité est tout autre. Par exemple, depuis qu'il est dans le giron de PAI, Yoplait s'est considérablement développé et vient d'acquérir son activité britannique. Lorsque nous sommes entrés au capital d'Atos [en juin 2008, Ndlr], beaucoup étaient sceptiques. A tort, comme l'ont prouvé les faits. Et rappelons que le private equity, y compris le capital-transmission [LBO, rachat par effet de levier, Ndlr], a une utilité sociale forte. Sans lui, certaines sociétés seraient dans l'incapacité de poursuivre leur croissance, voire de continuer à exister. Nous sommes une industrie créatrice d'emplois. En France, les LBO qui se sont soldés par un échec restent rares.

- L'ancienne direction a quitté PAI en août. Cet événement donne droit aux investisseurs de réduire leurs engagements. Quel sera le niveau de cette réduction ?

- Le marché des grands LBO est à l'arrêt depuis un an. Seules des opérations de taille moyenne ont été menées à bien. Il existe donc une asymétrie entre la grande quantité de capitaux levés en 2007 et la contraction subite du nombre de transactions. Les investisseurs de PAI estiment, à juste titre, que le marché n'est plus capable d'absorber les capitaux levés pour le fonds V [5,4 milliards d'euros, Ndlr]. Ils sont conscients que cette enveloppe aurait pu être intégralement investie une fois la reprise venue, mais nous pouvons leur offrir de réduire leurs engagements dans cette période d'incertitudes. Certains investisseurs souhaitent être libérés de 15% de leurs engagements, d'autres de la moitié... Il faut donc trouver un compromis. En outre, il sera toujours possible pour nos partenaires de co-investir ponctuellement avec nos équipes. La réalité du potentiel d'investissement en capital pour le plus grand fonds français se situe au-dessus de 3 milliards d'euros. Il est trop tôt pour définir l'ampleur de la réduction du fonds. A ce jour, nous avons rencontré 80% des investisseurs. Dans les jours à venir, nous leur soumettrons une offre sur laquelle ils devront s'exprimer. Il serait bon d'avoir réglé ce problème avant Noël.

- Votre intérêt pour l'Afrique n'est un secret pour personne. Ce continent est-il celui que l'on décrit en France ?

- On ne perçoit pas les évolutions réalisées par les pays pauvres sur 20 ans. Et notamment en Afrique. C'est un continent qui compte quasiment autant d'habitants que l'Inde avec un revenu moyen par tête supérieur. Leur dynamique économique est comparable. Les plus grandes réserves de pétrole sont en Afrique, de même qu'on y trouve la plus grande surface de terres arables et plus d'eau que l'on croit. La crise a, certes, fait tomber la croissance africaine à 2%, mais elle n'avait jamais dépassé 6%, quand l'Inde était à 8 ou 9%. Bien sûr il y a des disparités entre Johannesburg et la République du Centrafrique, mais pas plus qu'entre Bangalore et le Kerala. Et l'Inde est une confédération d'Etats, comme l'Afrique. Avec une croissance de 5 ou 6% on n'est pas riche, mais on est moins pauvre. Selon l'OCDE, 434 milliards de dollars sont aujourd'hui détenus par les banques centrales africaines. Ces réserves de change ne sont pas uniquement concentrées en Algérie et en Libye. L'Afrique est aujourd'hui complètement désendettée. Ce n'est vraiment pas un hasard si la Chine, l'Inde et le Brésil s'intéressent autant à ce continent. Je pense que l'on ne le dit pas suffisamment et que l'Afrique souffre d'une image qui ne correspond plus à la réalité.

 

- Y compris sur le plan politique ? La corruption fait encore des ravages dans la plupart des pays...

- Ne soyons pas naïfs. La corruption est un phénomène universel. Regardez plutôt combien de pays sont devenus de vraies démocraties : le Mali, le Benin, le Ghana le sont totalement. Si l'on ajoute ceux qui le sont partiellement, cela fait 31 pays sur un total de 53 [d'après Human Rights Watch, Ndlr).

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