"Le contrat gazier entre Moscou et Pékin n'est pas un pied de nez à l'Europe"

Par Romain Renier  |   |  624  mots
Francis Perrin est président de Stratégies et Politique Énergétiques. (Photo : DR)
Pour Francis Perrin, président de Stratégies et Politiques Énergétiques, le méga-contrat gazier entre la Chine et la Russie est le fruit du besoin de diversification des débouchés de Gazprom. Même si les tensions sur l'Ukraine avec l'Union européenne et Washington ont pu accélérer le processus.

Pékin et Moscou ont signé hier un méga-contrat de fourniture de gaz par la Russie à la Chine, d'un montant estimé à 400 milliards de dollars (293 milliards d'euros). Celui-ci prévoit l'exportation par Gazprom de quelque 38 milliards de mètres cubes par an en vitesse de croisière, sur une durée de 30 ans. Un méga-accord qui met un terme à dix ans de discussions, et qui marque un resserrement des liens entre les deux géants régionaux, estime Francis Perrin, président de Stratégie et Politiques énergétiques. Pour lui, il s'inscrit dans la stratégie de diversification des débouchés mise en place par Gazprom et Moscou. Les tensions avec l'Union européenne n'ont été qu'un accélérateur. Entretien.

Que signifie cet accord du point de vue des relations entre la Russie et la Chine ?

C'est un accord qui permet l'approfondissement des relations économiques et énergétiques entre les deux pays. Mais le rapprochement est aussi politique puisque Moscou est l'actionnaire principal de Gazprom, signataire du contrat, et CNPC, la partie chinoise, est exclusivement détenue par l'État. Si les relations ne sont pas au beau fixe, il y a pas mal de méfiance historique et économique entre les deux pays, c'est la traduction d'une amélioration du climat entre les deux pays. C'est l'aboutissement d'une discussion entamée il y a dix ans.

Peut-on y voir un pied de nez de Vladimir Poutine à l'Union européenne et aux États-Unis, comme le disent certains observateurs ?

Ce n'est pas parce que la Russie va vendre du gaz à la Chine qu'elle ne va plus en vendre à l'Europe. L'Union européenne reste le plus grand marché pour la Russie et pour Gazprom. De plus, il faut bien noter que les négociations durent depuis dix ans, donc il faut relativiser le lien entre cet accord et les tensions liées à la crise en Ukraine. Même si elles ont pu contribuer à l'accélération du processus conduisant à l'accord. En ce sens, c'est un moyen d'envoyer un signal aux capitales européennes et à Washington pour dire que l'on peut vendre aussi à l'est.

En clair, cela ne veut pas dire que la Russie remplace l'un par l'autre, mais cela montre qu'il n'y a pas que l'Europe. D'autant plus que la Russie et Gazprom ont besoin de diversifier leurs débouchés. Ils vendent déjà du gaz en Asie, mais très peu. Cela montre que le front est se développe, pour ne pas trop dépendre de l'Union européenne, pour des raisons politiques, mais aussi à cause du ralentissement économique européen. Car le marché européen n'est plus en croissance.

Le Japon a des vues sur l'est-sibérien, que Moscou cherche à développer. Ses relations avec la Chine sont très difficiles sur les questions territoriales, et en coulisse Tokyo dit ne pas avoir intérêt à voir ses deux voisins se rapprocher. Cette crainte est-elle justifiée ?

Vendre à la Chine et au Japon n'est pas contradictoire. Et c'est vrai qu'il y a un important gisement de gaz naturel liquéfié à Sakhaline duquel la Russie exporte vers le Japon. Gaz dont le Japon a besoin. L'archipel est aussi une cible commerciale importante pour Moscou et pour Gazprom. Mais compte tenu des relations entre Pékin et Tokyo à cause des conflits territoriaux, il est vrai que l'on touche un problème important. Les inquiétudes des Japonais sont justifiées.

Mais les relations entre ces pays sont très ambivalentes. Le Japon reste important pour l'objectif de diversification de Moscou, même si ce n'est plus un marché en croissance. Donc le problème est plutôt du côté des interlocuteurs de Moscou, pas de la Russie elle-même.