Les embargos sont-ils efficaces ?

Par Jonathan Baudoin  |   |  977  mots
Au regard d'exemples de blocus ou d'embargos réalisés dans le passé, rien ne dit que la Russie pourrait souffrir des sanctions économiques occidentales.
L'Union européenne et les États-Unis pourraient renforcer les sanctions économiques imposées à la Russie depuis un mois, qui en réponse a mis en place un embargo sur les produits alimentaires européens. Mais ces actions sont-elles réellement efficaces. C'est loin d'être évident au regard de l'histoire.

L'Union européenne et les Etats-Unis comptent renforcer les sanctions économiques à l'égard de la Russie, considérant que Moscou envoie des troupes dans l'Est de l'Ukraine, zone dominée par des séparatistes pro-russes. En voulant les renforcer, les pays occidentaux ont pour objectif d'affaiblir la Russie économiquement et politiquement. Mais, historiquement, cette méthode n'a guère prouvé son efficacité économiquement et politiquement.

  • Le Blocus continental

Voici un premier exemple d'embargo à grande échelle, concernant des pays européens mais inscrit dans un contexte de guerre. En novembre 1806, Napoléon Bonaparte, empereur des français, instaure le Blocus continental de l'Europe envers l'Angleterre via le décret de Berlin. En guerre contre Londres depuis 1804, Paris impose à l'Europe l'interdiction d'importer des produits anglais, y compris les biens des colonies de la couronne britannique (Indes, Antilles), et compte ainsi déployer l'industrie française sur le "vieux continent" pour devenir la première puissance mondiale, afin de "vaincre la mer par la puissance de la terre". En réponse, la Grande-Bretagne, grâce à la Royal Navy, première flotte maritime au monde, organise un embargo sur les produits français.

Non seulement, le blocus s'est révélé inefficace puisqu'une crise économique a éclaté en 1811 en Europe, touchant notamment les ports atlantiques français (Nantes, Bordeaux), mais aussi la Grande-Bretagne, avec du chômage et une inflation non maîtrisée par la Banque d'Angleterre. Cependant, Londres a développé en réponse son commerce vers les Indes et les Amériques, s'assurant ainsi une domination des mers du globe pour le XIXe siècle tout entier. Enfin, le blocus a conduit la France impériale à une boulimie de conquêtes et de guerres contre des partenaires (Espagne, Russie) qui avaient des relations commerciales avec la Grande-Bretagne et qui souffraient du blocus. Ces guerres menées par la France napoléonienne pour faire respecter le Blocus continental ont tourné à la catastrophe et à la chute du régime en 1814 et 1815.

  • Embargo des États-Unis sur Cuba

Depuis 1962, les États-Unis appliquent un embargo envers Cuba, suite au rapprochement de l'île, sous domination de Fidel Castro, avec l'Union soviétique de Nikita Khrouchtchev, alors en pleine guerre froide. L'embargo américain a été renforcé au fur et à mesure sur l'ensemble des secteurs économiques, fragilisant l'économie cubaine, dépendante du secteur sucrier notamment.

Néanmoins, l'île communiste n'a pas changé de régime politique, ni sombré dans la pauvreté absolue car d'après les données de la Banque mondiale, le Produit intérieur brut (PIB) par cubain (en dollars constants de 2005) est passé de 1938 dollars en 1970 à 3856 dollars en 1985. Cuba a développé des échanges avec l'URSS, mais aussi le Canada, la France, ou encore l'Espagne, des alliés des États-Unis qui n'ont pas voulu suivre l'embargo américain. Néanmoins, durant les années 1990, Cuba s'est renfermée sur elle-même, moins à cause de l'embargo lui-même qu'à la suite de l'effondrement du bloc de l'Est, et en a souffert  : le PIB par habitant est passé de 3636 dollars par cubain en 1990 à 2839 dollars en 1999, d'après la Banque mondiale. Depuis le début du XXIe siècle, les pays latino-américains (Venezuela, Bolivie) relancent leurs échanges avec l'île communiste, avec notamment des tarifs avantageux de la part de Caracas pour le pétrole exporté vers La Havane. Par ailleurs, la pression internationale s'accentue sur les États-Unis, avec des résolutions des Nations unies votées à une large majorité, les seuls pays votant contre étant les États-Unis et... Israël.

  • Embargo sur l'Irak

Suite à l'invasion du Koweït par les troupes irakiennes, une coalition qui comprend les pays de la Communauté économique européenne ou les États-Unis, décide de pratiquer un embargo sur l'Irak, dirigé alors par Saddam Hussein. Un embargo très strict empêchant l'Irak, pourtant grand producteur de pétrole, de ne pas pouvoir l'exporter.

Malgré des assouplissements dans le milieu des années 1990 (Résolution 986 "pétrole contre nourriture"), l'embargo demeura en place, avec pour conséquence principale, un appauvrissement de la population irakienne. Ainsi, selon les données de la Banque mondiale, le PIB par irakien s'est effondré sur la seule période allant de 2000 à 2002 de 10,2%, à 1838 dollars. La vidéo ci-dessous illustre cet appauvrissement durant les années 1990 en Irak.

Mais le régime de Saddam Hussein s'est maintenu durant l'embargo et il a fallu l'intervention militaire des Américains et de leurs alliés pour faire chuter le président irakien en 2003. Un grand exemple d'inefficacité d'un embargo au niveau politique.

  • Embargo sur l'Iran

Les Etats-Unis, plus certains pays de l'Union européenne, ont pratiqué depuis 2003 un embargo sur l'Iran, afin de contraindre Téhéran à abandonner son programme nucléaire, car il est soupçonné de développer du nucléaire militaire à la place du nucléaire civil en s'enrichissant de l'uranium. Cet embargo a été progressivement renforcé sur l'ensemble des secteurs économiques du pays, et notamment le pétrole, ce qui réduit les exportations iraniennes.

L'élection d'Hassan Rouhani à la présidence de la République islamique en juin 2013, a réduit les tensions entre l'Iran et les pays occidentaux, avec une levée des sanctions économiques contre un accord sur la limitation de l'enrichissement d'uranium. L'embargo a eu pour l'Iran une montée de l'inflation, une chute des importations et des exportations de biens et services, mais les iraniens ont eu un revenu par tête accru sur les dix dernières années, selon le Fonds monétaire international. Cet embargo est aussi pénalisant pour certains pays occidentaux, notamment pour la France, avec l'industrie automobile pour symbole, les constructeurs PSA et Renault cherchant à se relancer. Preuve que les pays tiers, comme au temps du Blocus continental, subissent les contre-coups d'un embargo visant un pays auquel ils avaient l'habitude de commercer.

>> L'effet réel des sanctions sur l'économie iranienne