Zone euro : La crise, acte III ?

Par Romaric Godin  |   |  1239  mots
L'inflation a brutalement décroché au sein des 17, passant de 1,1 % à 0,7 % en rythme annuel
La rechute de la croissance européenne au troisième trimestre est inquiétante. Elle rappelle qu'un danger menace l'Europe très sérieusement, celui de la déflation.

Le pari est raté. La Commission, la BCE et tout ce que l'Europe compte de dirigeants avaient promis un « renforcement de la croissance » au troisième trimestre. Mario Draghi avait même, jeudi dernier, assuré à une salle de presse médusée que la « zone euro était la région qui disposait des fondamentaux les plus solides au monde. » C'est finalement un affaiblissement que l'on observe. A 0,1 % de croissance, le PIB de la zone euro a de facto stagné entre juillet et septembre et s'est affaibli de 0,2 point par rapport à la période précédente.

Un spectre plane : la déflation

La plupart des responsables politiques et des économistes ont donc simplement décalé leur discours pour promettre ledit « renforcement de la croissance » pour le trimestre prochain. Mais en réalité, chacun sait qu'un spectre plane sur la zone euro. Ce spectre, c'est la déflation. Car cette faiblesse de la croissance s'accompagne d'un affaiblissement de l'inflation, ce qui est nouveau au niveau de l'ensemble de la zone euro.

En octobre, l'inflation a brutalement décroché au sein des 17, passant de 1,1 % à 0,7 % en rythme annuel. Une baisse qui, quoi qu'en ait dit Mario Draghi la semaine dernière, a conduit la BCE à abaisser son taux directeur pour contrer cette décélération des prix. La déflation est en effet le cauchemar économique. Un cauchemar dont il est très difficile de sortir.

Le cauchemar déflationniste

Lorsque les prix baissent en effet, les salaires doivent suivre. Sinon, ce sont les marges des entreprises qui reculent. Pour contrer ce recul, les entreprises doivent alors réduire leurs coûts donc bien souvent leurs effectifs, ce qui pèse sur la demande et conduit à entretenir un cercle vicieux pour l'activité.

Mais si les salaires baissent plus vite que les prix, la situation n'est pas forcément meilleure : la chute de la demande sera plus marquée et pèsera, en retour, aussi sur les marges. Ce qui conduira ou à des licenciements, ou à de nouvelles baisses de salaires. Là encore, l'activité risque de se dégrader rapidement. On le voit, la doctrine formulée par Mario Draghi en juillet (et oublié depuis) : « with low inflation, you can buy more stuff » (avec une inflation basse, vous pouvez acheter plus de choses) est un peu simpliste.

Un simple effet de l'énergie ?

En zone euro, on ne peut entièrement exclure l'hypothèse que la décélération des prix s'explique essentiellement par la baisse des prix énergétiques, forcément volatils. Mais l'argument a ses limites : comme l'inflation, la déflation peut être induite par des « effets de second tour » où les agents économiques intègrent la baisse des prix pour déterminer leurs comportements futurs. Du reste, le ralentissement touche d'autres catégories de biens et de services. Or, deux éléments conduisent à rendre inquiétante la situation européenne.

La faiblesse de la croissance peut alimenter la déflation

D'abord, la faiblesse de la croissance depuis près de deux ans en zone euro. Lorsque la baisse des prix intervient dans un tel contexte, les marges des entreprises ont déjà été très fortement mises à contribution. Un nouveau recul des marges ou de la demande risque ainsi de conduire à des décisions rapides : faillites, licenciements, baisses des salaires.

Le credit crunch est aussi en cause

L'autre élément inquiétant, c'est l'absence de liquidités dans l'économie. Pour investir, pour consommer, et donc pour relancer la machine économique, il faut que la pompe à crédits puisse fonctionner. Elle est aujourd'hui désespérément à l'arrêt. Une étude publiée ce jeudi par la BCE pointe une « détérioration perçue » de l'accès des PME aux crédits bancaires et une « augmentation » du taux proposé à ces mêmes PME entre avril et septembre. Or, le risque déflationniste a de quoi inquiéter encore les banques sur la qualité de leurs prêts. Et donc, malgré l'argent bon marché, de laisser le robinet du crédit fermé.

Une simple décélération ?

Reste que la situation au sein de la zone euro est très diverse. On peut identifier au moins trois cas. Certains pays, comme l'Allemagne connaissent certes une décélération de la hausse des prix, mais, avec une inflation annuelle à 1,2 %, ils ne sont guère menacés directement par la déflation.

Une « correction » nécessaire ?

D'autres connaissent un phénomène de « correction », comme la Grèce. Dans ce pays, les prix reculent fortement (-2 % en octobre sur un an), mais ils suivent la baisse des rémunérations et de la demande. Sur un an, au deuxième trimestre, le coût de la main d'œuvre a reculé de 11,1 % en Grèce sur un an. La baisse des prix n'a alors pour objet que de « s'adapter » au nouveau niveau de la demande. C'est pourquoi il a été jugé « sain » par Mario Draghi jeudi dernier. En théorie, une fois le niveau d'équilibre retrouvé grâce à la baisse des prix, la demande intérieure devrait repartir. La même situation pourrait être constatée en Espagne ou au Portugal.

Mais pour être « saine », cette correction n'en est pas moins dangereuse. Car les agents économiques, voyant les prix chuter, pourraient être tentés de restreindre leurs dépenses pour attendre la prochaine baisse. D'autant que le niveau de vie dans ces pays a chuté fortement ces dernières années. Dans ce cas, le « point d'équilibre » risque d'être dépassé et la spirale déflationniste peut toucher ces économies et ruiner leur faible reprise.

France et Italie menacée

La dernière situation, c'est celle où les salaires réels continuent d'augmenter alors que l'inflation ralentit. C'est la situation déflationniste classique décrite plus haut. La France, qui a vu ses salaires réels progresser de 0,2 % au troisième trimestre, alors que le taux d'inflation est passé en zone négative (-0,1 %) en octobre, est peut-être déjà sur le point d'entrer dans cette situation. L'Italie, où le coût de la main d'œuvre a grimpé de 8,2 % au deuxième trimestre, serait également menacée…

« Super Mario », dernier rempart

Devant l'incapacité des gouvernements à agir (et même à prendre conscience du danger), les uns, au nord, par idéologie, les autres, au sud, par manque de moyens, la balle est dans le camp de la BCE. Une nouvelle fois, il revient donc à Mario Draghi de sauver la zone euro. Mais sa tâche sera ardue. D'abord, parce que les armes qu'il a utilisées jusqu'ici se sont montrés inefficaces.

Ensuite, parce que le conseil des gouverneurs de la BCE n'est pas unanime sur le sujet. Plusieurs banquiers centraux, dont les économies sont moins menacées par la déflation, ont refusé la baisse des taux en novembre. Dans la presse allemande, on voit fleurir les éditoriaux faisant de cette politique accommodante une incitation pour les « mauvais élèves » à ne « plus réformer. »

Sa marge de manœuvre n'est donc pas si large qu'il veut bien le dire. Enfin, parce que, on l'a vu, trouver le point d'équilibre en matière de déflation est fort complexe. Et que le danger est immense de voir la zone euro plonger dans la troisième phase de la crise, après celle la crise financière (2007-2009) et la crise de la dette (2010-2013).