Pourquoi diable l'euro reste-t-il toujours aussi fort ?

Par Romaric Godin  |   |  872  mots
L'euro s'est apprécié de près de 5 % depuis mai.
La BCE mène la politique monétaire la plus accommodante de son histoire, la croissance est faible en zone euro. Mais l'euro reste fort face au dollar. Tentative d'explications.

Ce jeudi, Mario Draghi a de nouveau repoussé d'un revers de main la question de la politique de change de la BCE.

« Le taux de change est un élément important pour la stabilité des prix, c'est donc une information que nous regardons avec attention, mais ce n'est pas un objectif », a répété le président de l'institution de Francfort.

C'est la doxa habituelle de la BCE.

Inefficacité des actions de la BCE sur le cours de l'euro

La réalité est cependant un peu plus cruelle pour Mario Draghi. Depuis le mois de mai dernier, il a lancé un nouveau cycle d'assouplissement de sa politique monétaire. Sortant de son « artillerie » de nombreuses armes qui, jadis, auraient été considérées comme « de dernier recours » : deux baisses des taux jusqu'à 0,25 %, un ancrage de sa politique monétaire à moyen terme, une évocation plus ou moins ouverte d'un taux de dépôt négatif.

L'euro continue de grimper

L'ambition est de stopper la désinflation. Or, pour faire accélérer à nouveau les prix, le plus sûr moyen demeure de peser sur le taux de change. Nul doute que la BCE comptait sur ce phénomène lorsqu'elle a pris ces décisions. Or, l'euro s'est encore renforcé depuis le mois de mai dernier où il s'échangeait contre 1,30 dollar environ. Aujourd'hui, il s'échange contre 1,36 dollar environ, soit une hausse de 4,7 %. Pourquoi donc la BCE, qui mène la politique la plus accommodante de son histoire, ne parvient-elle pas à peser sur le cours de l'euro ?

L'euro sauvé devient attractif

Une des explications avancées, par exemple par l'hebdomadaire britannique The Economist, est la confiance retrouvée dans l'euro. Après le fameux « whatever it takes » de Mario Draghi en juillet 2012 où ce dernier assurait qu'il ferait tout pour sauver l'euro, les investisseurs auraient rapatrié leurs avoirs mis à l'abri en dollars dans la monnaie unique.

L'explication est juste, puisque l'on voit un vrai redressement de l'euro entre juillet et septembre de plus de 10 cents, soit près de 10 %. Cette explication peut certes être encore juste, mais elle n'est sans doute que marginale, car l'essentiel des retours a sans doute déjà eu lieu.

Une politique monétaire pas assez accommodante

Il existe une autre explication : celui de la politique monétaire de la BCE qui demeure plus restrictive que celle de la Fed. La « production » de dollars est beaucoup plus intense outre-Atlantique qu'en zone euro. Chaque mois, la Fed rachète 85 milliards de dollars d'actifs. Rien de tel encore en Europe où, au contraire, le bilan de la BCE se réduit chaque semaine. Autrement dit, l'euro est plus « rare » que le dollar, son prix est donc plus élevé.

De plus, les taux réels de la zone euro demeurent plus attractifs que ceux des Etats-Unis. La Fed offre des taux nuls avec une inflation de 1 % en novembre. Soit un taux réel de -1 %. En zone euro, le taux de refinancement est de 0,25 % pour une inflation de 0,9 %, soit des taux réels de -0,65 %. Les investisseurs adeptes du « carry trade » peuvent ainsi emprunter en dollar pour revendre en euros et faire un léger bénéfice. Mais cet « avantage » de l'euro ne cesse de se réduire. Pourquoi alors l'euro continue-t-il à monter ?

L'austérité favorise l'euro fort

La réponse est simple : c'est l'austérité. La stratégie de dévaluation interne menée par la zone euro vise précisément à maintenir le cours de la monnaie tout en améliorant la compétitivité externe de la zone. Autrement, dit, il met en place un modèle économique fondé sur le développement des exportations et sur la réduction des importations. Donc sur l'amélioration du solde extérieur. Depuis l'an dernier, la balance commerciale de la zone euro est passée en excédent. Logiquement, cela alimente la demande d'euro et réduit la demande de dollars.

Une inflation toujours faible

Sans compter que les dévaluations internes conduisent à une pression sur les coûts et à un ralentissement de la croissance de la masse monétaire (en raison notamment du « credit crunch » causé par la récession) qui entraîne une désinflation. Or, le ralentissement de l'inflation favorise la valeur intrinsèque d'une monnaie.

C'est la fameuse remarque de Mario Draghi : « with low inflation, you can buy more stuff » (« avec une inflation basse, vous pouvez acheter plus de choses »). Autrement dit, le pouvoir d'achat d'un euro augmente avec la baisse de l'inflation. Les investisseurs étrangers ont donc toutes les raisons d'investir en euros. Et comme, depuis le mois de juin, l'inflation est plus faible en zone euro qu'aux Etats-Unis et que dans certains pays de la zone euro, les plus touchés par l'austérité, la déflation commence à frapper, l'attractivité de la monnaie unique est de plus en plus forte par rapport au dollar.

Tant que la stratégie de dévaluation interne sera en œuvre en zone euro, la tâche de la BCE sera très complexe. Pour faire baisser la valeur de la monnaie unique, elle devra utiliser des armes massives, comme celles de la Banque d'Angleterre ou de la Fed. De simples baisses des taux ne suffiront pas.