L'allemande Sabine Lautenschläger, plutôt faucon que colombe, nommée à la BCE

Par Romaric Godin  |   |  819  mots
Autant Jörg Asmussen a été, comme l'a indiqué Mario Draghi, « une aide énorme » pour le président de la BCE, autant Sabine Lautenschläger devrait être un vrai contrepoids.
La candidature de Sabine Lautenschläger, actuelle vice-présidente de la Bundesbank, au directoire de la BCE, a été acceptée. Elle va remplacer Jörg Asmussen qui rejoint le gouvernement allemand.

Proposée par le Conseil européen, la nomination de Sabine Lautenschläger au directoire de la BCE, a été accepté ce jeudi par ses futurs collègues. Cette nomination est un effet collatéral de la formation du nouveau gouvernement allemand.  Sabine Lautenschläger, jusqu'ici vice-président de la Bundesbank, va en effet remplacer Jörg Asmussen, membre du directoire depuis 2012, a en effet annoncé mi-décembre qu'il quitterait son poste pour prendre celui de ministre délégué à l'emploi (Staatssekretär).

Un choix étrange

Un choix pour le moins étrange sur le papier. Le poste de membre du directoire de la BCE donnait en effet à Jörg Asmussen une autre carrure que ce rôle de second ordre au sein du gouvernement. D'autant qu'il ne disposait pas auparavant d'une stature de banquier central. Cela ressemble même pour lui à un retour en arrière puisque Jörg Asmussen a été Staatssekretär de 2008 à 2011 au ministère des Finances. Enfin, Jörg Asmussen pouvait demeurer à la BCE jusqu'en 2020. Il demeurera sans doute au gouvernement jusqu'en 2017.

Bref, la décision semble assez contestable. La seule explication que donne l'intéressé est peu convaincante : sa famille habite à Berlin, il travaille à Francfort et ne supporterait guère la séparation… Il faut donc sans doute chercher une explication ailleurs. Et celle-ci réside sans doute dans un accord passé entre Angela Merkel et son nouveau ministre de l'Économie, Sigmar Gabriel.

Accord Merkel-Gabriel sur la BCE ?

Angela Merkel a beaucoup lâché aux Sociaux-démocrates. Mais elle a tenu ferme sur un front : l'Europe. C'est ce qui explique en partie qu'elle n'a pas voulu céder sur le portefeuille des Finances que Sigmar Gabriel destinait à Jörg Asmussen, qui précisément est un membre de la SPD. Sans doute a-t-elle également exigé de son « partenaire » que ce dernier cède la place à la BCE pour laisser son poste à une personnalité plus proche de la « vision allemande » de la politique monétaire. Compte tenu de ce que la CDU offrait en retour, le patron de la SPD n'a pas hésité à sacrifier Jörg Asmussen qui a eu un maigre lot de consolation.

Jörg Asmussen : une force de modération

Car Jörg Asmussen, nommé en 2012 par une Angela Merkel qui voulait apaiser son image en Europe ne lui est plus guère utile. Appui certain de la politique de Mario Draghi, il a toujours eu un discours pondéré et modéré, tentant d'expliquer aux Allemands les choix de la BCE. Mais l'ambiance a changé. Angela Merkel est désormais inquiète de la montée de l'euroscepticisme dans son pays. Un euroscepticisme qui lui a coûté sans doute sa majorité absolue en septembre et qui l'a obligé à cette alliance difficile avec la SPD.

Montrer les muscles allemands à l'Europe

Du coup, le mot d'ordre d'Angela Merkel est désormais de montrer à son électorat qu'elle défend à tout prix les intérêts des contribuables allemands. D'où la fermeté sur le sujet de l'union bancaire. D'où également sa volonté de reprendre la main sur la BCE. Car, outre-Rhin, la critique de la politique monétaire de la BCE est très forte.

C'est un des points forts du discours du parti anti-euro et des économistes ordo-libéraux comme Hans-Werner Sinn : la « mutualisation des risques » se fait via la BCE. Cette dernière, en maintenant des taux artificiellement bas pour les pays périphériques ne les incitent guère aux réformes, met ainsi en danger l'argent allemand par les plans d'aide et son propre bilan et pose les fondements d'une future inflation.

Un contrepoids à Mario Draghi

D'où la volonté de Berlin de montrer qu'il existe au sein de la BCE une vraie opposition. Sabine Lautenschläger devrait jouer ce rôle. Vice-présidente de la Bundesbank, elle est un vrai « faucon », partisane de la ligne du président de la « Buba » Jens Weidmann.

Autant Jörg Asmussen a été, comme l'a indiqué Mario Draghi, « une aide énorme » pour le président de la BCE, autant Sabine Lautenschläger devrait être un vrai contrepoids. Elle pourra s'appuyer sur l'autre membre du directoire imposé par Angela Merkel en 2012, le Luxembourgeois Yves Mersch, autre défenseur d'une politique monétaire orthodoxe.

La tâche se complique pour Mario Draghi

Certes, Mario Draghi devrait continuer à disposer d'une majorité au sein du directoire et du conseil des gouverneurs. Mais il a perdu dans les négociations gouvernementales allemandes un appui important. Il sera difficile pour lui de compter sur Sabine Lautenschläger pour calmer les esprits outre-Rhin. Bien au contraire. Avec elle, l'opposition à Mario Draghi va gagner un point. La zone euro, toujours dans le credit crunch, et menacé de déflation n'avait pas besoin de cette nouvelle difficulté. Mais la SPD a préféré encore une fois sacrifier l'intérêt général européen à ses intérêts allemands.