L'indépendance de Venise proclamée depuis Internet ?

Par Romaric Godin  |   |  742  mots
Le lion de Saint-Marc flottera-t-il à nouveau sur le Grand Canal à la place du tricolore italien ?
Un référendum organisé sur Internet concernant l'indépendance de la Vénétie rencontre un vif succès et commence à inquiéter en Italie.

Le 12 mai 1797, le Grand Conseil de la République Sérénissime de Venise accepte les conditions du général Bonaparte dont les troupes occupent les rives de la lagune. La République, un des Etats les plus anciens de l'Europe, âgé de plus de mille ans, a cessé d'exister. Le dernier doge, Ludovico Manin, s'adresse une dernière fois au peuple vénitien au balcon du palais ducal. Une clameur lui répond : « Viva San Marco ! » (Vive Saint Marc !).

Trois jours plus tard, les troupes françaises rentrent dans Venise. La Vénétie finira par tomber dans l'escarcelle autrichienne en 1815 avant de revenir à l'Italie en 1866. Mais le souvenir de la Sérénissime, qui avait pu se constituer un empire maritime et renverser même le puissant empire byzantin, ne s'est jamais perdu, même s'il est demeuré surtout une nostalgie sans traduction politique réelle.

1,3 million de votants

Seulement voilà qu'Internet est arrivé au secours des mânes de la Sérénissime. Un Trévisan de 45 ans, Gianluca Busato, a lancé un site, plebiscito.eu, afin d'organiser un référendum en ligne portant sur cette question : « souhaitez-vous que la Vénétie devienne une république souveraine, indépendante et fédérale ? » Dans un premier temps, les organisateurs attendaient 500.000 réponses. Ils en compteraient ce jeudi matin, alors que le vote doit être clos à 18 heures, 1,3 million ! C'est environ 35 % de l'ensemble des électeurs de la région de Vénétie.

C'est d'autant plus remarquable que les partis favorables à l'indépendance de la Vénétie (Independenza Veneta, Liga Repubblica Veneta et Veneto Stato) n'avait pas obtenu plus de 62.000 voix lors des élections de 2013.

Fraudes ?

Gianluca Busato assure avoir pris toutes les précautions pour éviter la fraude. Pour voter, il faut entrer son numéro d'électeur et avant que le vote soit validé, la correspondance avec les listes électorales est vérifiée. Gianluca Busato assure que près de 2.000 votes ont été invalidés, même s'il reconnaît « quelques abus ».

L'indépendance dès ce soir

Pour ce dernier, l'issue du vote ne fait aucun doute. Si le « oui » l'emporte, il a promis de proclamer immédiatement la sécession. Evidemment, cette proclamation sera illégale et sans effet. On se souvient que, en 1996, sans référendum cette fois, l'autrement plus puissant Umberto Bossi, chef de file de la Ligue du Nord avait plongé dans le Pô pour proclamer officiellement la naissance de la « Padanie » indépendante. Avant d'entrer dans le gouvernement de Silvio Berlusconi, de participer à la gestion de l'Italie depuis Rome et d'oublier la Padanie.

La Vénétie touchée par la crise

L'article 5 de la constitution italienne interdit de fait toute sécession en proclamant que la République est, à l'image de son homologue français, « une et indivisible. » Mais il n'empêche, le succès de ce référendum en ligne a déjà un impact certain de l'autre côté des Alpes. La Vénétie, riche et industrielle, a été particulièrement touchée par la crise et par l'accélération de la désindustrialisation. Le PIB régional était revenu en 2011 à son niveau de 2004 ; le chômage a explosé, notamment celui des jeunes, passés en 5 ans de 8,4 % à 23,4 %. Cette colère a sans doute amené des réactions pro-indépendantistes qui semblent même dépasser les politiciens de la Ligue comme le président de la région Luca Zaia.

Vers un vrai référendum ?

Ce dernier, qui, au début de l'initiative, la prenait de haut, a convoqué cette semaine une conférence de presse pour promettre que le « peuple sera respecté. » Une loi sera examinée au conseil régional pour organiser un référendum. Mais on n'a vu qu'elle risque d'être inconstitutionnelle. Sauf que cette sortie de Luca Zaia a de quoi inquiéter le gouvernement de Rome qui a besoin de tout sauf d'une poussée sécessionniste en Vénétie.

Alors que l'Ecosse votera le 18 septembre sur son indépendance et que la Catalogne espère, malgré le refus de Madrid, en faire autant en novembre, le cas de la Vénétie vient appuyer l'idée qu'au sein de l'Union européenne, la vague sécessionniste prend de l'ampleur. Cette union qui devait unir les peuples semble, à coup de plan d'ajustement et d'austérité, les dissoudre de plus en plus.