Pourquoi Mario Draghi ne parvient pas à faire baisser l'euro avec des mots

Par Romaric Godin  |   |  1156  mots
Mario Draghi parle, mais doit regarder l'euro monter.
Le président de la BCE menace, menace, mais l'euro ne bouge guère. C'est que la politique d'austérité est un puissant soutien à la monnaie unique...

Mario Draghi aurait-il perdu sa « baguette magique. » Voici trois semaines que la BCE tente de faire baisser l'euro. Par des mots. Il y a eu la déclaration de la Bundesbank, le 25 mars, qui autorisait explicitement l'usage de l'assouplissement quantitatif. Puis, il y a eu les déclarations de Mario Draghi lors de sa conférence de presse mensuelle, le 3 avril, faisant du taux de change une des priorités de sa politique. Il y a eu enfin les déclarations de ce samedi qui montrait clairement la volonté de la BCE d'entrer dans le combat contre l'euro fort.

De Mandrake à Sisyphe

Rien n'y fait pourtant. L'euro baisse un peu après chaque déclaration, puis remonte. Lundi, l'euro est encore resté ferme. Il demeure, semble-t-il, coincé aux alentours de 1,38 dollar par euro. La méthode de l'été 2012 ne marche pas, cette fois. On se souvient qu'en juillet 2012, lorsque le président de la BCE avait prévenu qu'il sauverait l'euro « quoi qu'il en coûte » (« whatever it costs »), les marchés, effrayés par le simple verbe de Mario Draghi avait rapidement cessé de spéculer sur les dettes souveraines européennes. En quelques semaines, la crise financière européenne s'était apaisée.

Cette fois, la magie n'opère plus. Le Mandrake Draghi s'est mué en un Sisyphe contraint de répéter éternellement ses menaces. Avec un risque : que les menaces ne fassent même plus tomber l'euro comme la pierre de Sisyphe. C'est ce qui semble se dessiner ce lundi 14 avril… Pourquoi cette impuissance ? Tout simplement parce que la force de l'euro ne relève pas d'une erreur d'appréciation des marchés. C'est le fruit de la politique menée dans la zone euro depuis 2010.

Pourquoi l'euro est-il si fort ?

Les raisons de la force de l'euro sont assez bien résumées par le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer dans son interview publiée ce lundi dans Le Figaro. L'euro est très recherché parce que la zone euro dégage un excédent courant important. Autrement dit, elle exporte plus de capitaux qu'elle n'en importe. Ceci réduit mécaniquement la masse monétaire de la zone euro. Et comme la demande intérieure reste faible, la création monétaire par le crédit demeure faible. Deuxième raison juste avancée par Christian Noyer : les flux en provenance des émergents se sont dirigés vers la zone euro, en particulier vers les pays périphériques. Le succès du placement grec à 5 ans l'a prouvé une nouvelle fois. On comprend la situation : le monde cherche des euros et la zone euro n'en a guère à lui offrir. Le résultat va de soi : l'euro est intrinsèquement fort.

Des conditions économiques favorables à l'euro

Mais alors, la remarque de Christian Noyer dans la même interview est pour le moins étrange : « l'euro est anormalement fort. » En réalité, rien de plus logique. Car les conditions de la force de l'euro sont issues de la politique d'austérité menée par la zone euro depuis 2010. Quelle est le but de cette politique : la compression de la demande intérieure pour rendre la zone euro compétitive et tirer la croissance par les seules exportations. Autrement dit, soutenir l'excédent courant de la zone euro. Autrement dit, elle entraîne avec elle l'euro fort.

La stratégie de dévaluation compétitive soutient l'euro

Et cette stratégie a fonctionné au-delà de toutes les espérances. Les demandes intérieures des pays périphériques ont été réduites fortement. Le « credit crunch », l'effondrement de la distribution de crédits, est lié d'abord à ce phénomène qui conduit à la fois à la méfiance des banques vis-à-vis de la qualité des entreprises compte tenu de la conjoncture, et à une demande de crédits en recul compte tenu de l'effondrement de la demande. Or, sans crédits, pas de création monétaire. Parallèlement, la baisse des coûts induits par cette compression de la demande a conduit les pays de la zone euro à réduire leurs déficits courants, voire à dégager des excédents. Et comme l'Allemagne a continué à maintenir un excédent courant considérable (6 % de son PIB), puisqu'elle a refusé toute réelle « réévaluation interne », alors l'excédent de la zone euro, bâtie sur la compression de la demande, a soutenu l'euro fort.

La consolidation budgétaire et l'OMT aussi

Deuxième élément : la consolidation budgétaire. Ce mouvement a également un aspect positif sur le cours de l'euro puisque les émissions de dettes nouvelles sont plus rares. Or, la demande de dette souveraine de la zone euro est naturellement forte car ces dettes sont implicitement garanties, via l'OMT, le programme de rachat illimité de la dette, le bras armé du « whatever it costs. » Les dettes périphériques de la zone euro figurent parmi les plus attractives du moment, les succès des placements grecs, portugais et irlandais l'ont prouvé. La raison en est simple : la BCE a promis implicitement de tout racheter pour soutenir les taux malgré les effets négatifs de l'austérité. L'OMT, c'est une assurance de taux contre l'austérité. Ceci compense largement le peu d'enthousiasme pour la dette allemande qui est moins attractive, mais dont les placements vont se faire à terme plus rares puisque Wolfgang Schäuble vise l'équilibre budgétaire de l'Etat fédéral en 2015. Bref, l'euro donne envie et les occasions d'en acheter sont rares. Rien d'étonnant donc à ce qu'il soit fort.

Un retard économique, mais un euro fort.

Le fait que la zone euro soit en retard dans son cycle économique, comme le souligne Christian Noyer, ne dit rien de la force de la monnaie puisque, précisément, cette faiblesse de la croissance s'explique par la faiblesse de la demande intérieure, donc par une force qui soutient la rareté de l'euro. Mais l'on comprend que le gouverneur de la Banque de France qui soutient la politique de consolidation budgétaire rapide de la France ne puisse admettre ce fait évident : c'est bien l'austérité et ses conséquences qui raffermit l'euro.

Stopper la machine infernale ?

Pour affaiblir l'euro, il faudrait donc stopper cette machine infernale. Ce serait la méthode la moins risquée et la plus sage. Car plus l'euro est fort, plus la demande interne sera faible. Et plus l'euro sera fort. Compte tenu de la structure institutionnelle de la zone euro et de l'absence de prise de conscience des dirigeants, c'est peu probable que l'on puisse avancer sur ce point. On comprend pourquoi l'arme verbale est impuissante sur l'euro. On comprend aussi que la tâche de la BCE est très difficile : il lui faudrait agir massivement, au risque d'alimenter des bulles et d'inquiéter la Buba. Une chose en tout cas semble certaine : les demi-mesures ne fonctionneront pas.