La BCE, toujours confrontée à sa schizophrénie, devrait encore choisir l'attente

Par Romaric Godin  |   |  1715  mots
La BCE devrait rester attentiste le 8 mai
Mario Draghi devrait choisir de ne rien faire ce jeudi. Non que la situation s'améliore, mais il manque d'outils efficaces.

Plus le temps passe et moins la BCE semble en mesure de résoudre la difficile équation à laquelle elle doit faire face. Ce jeudi 8 mai, l'institution monétaire de la zone euro devrait poursuivre sa stratégie d'attente entamée en novembre dernier. Faute de mieux. Sans doute son président Mario Draghi pourra s'appuyer sur quelques arguments : le légère remontée du taux d'inflation en zone euro en avril (0,7 % après 0,5 %) ou la fermeté de l'indice des directeurs d'achat PMI Markit des 18 qui signale une accélération de l'activité en ce début de second trimestre. La BCE pourra donc juger qu'il n'est pas nécessaire d'agir puisque le risque déflationniste peut sembler s'éloigner au regard de ces deux éléments.

Faibles arguments en faveur du statu quo

En réalité, ces arguments sont faibles. L'inflation de la zone euro d'avril reste très basse. Les statistiques ont déçu les observateurs qui s'attendaient à une reprise plus vigoureuse de la hausse des prix dans la zone euro. Comme le soulignent les analystes de Bank Of America Merrill Lynch « la capacité à fixer ses prix (pricing power) reste faible malgré le rebond d'avril. » Quant à l'indice PMI, il signale bien plutôt une stabilisation de la conjoncture qu'une vraie reprise. On sait que cette reprise manque de souffle, car, fondée sur les exportations, elle est menacée par le peu de dynamisme du commerce mondial. Si l'on voulait s'en convaincre, il suffirait de jeter un œil sur le très préoccupant indice des commandes industrielles publié ce mercredi matin par Destatis et qui révèle un recul de 2,8 % sur un mois, sa plus forte chute depuis octobre 2011. Une baisse qui est en grande partie due au recul des commandes à l'exportation. Or, sans activité en Allemagne, les pays « nouvellement compétitifs » de la zone euro peuvent trembler pour leur croissance ! Bref, une hirondelle ne fait pas le printemps. Et Mario Draghi va surtout, comme toujours depuis sept mois, chercher à gagner du temps.

Tendances négatives qui se confirment

En revanche, les grandes tendances négatives semblent avoir été confirmées par ce mois d'avril 2014. La distribution de crédit demeure atone, La masse monétaire M3 connaît toujours une croissance très faible et en décélération (1,1 % en mars, contre 1,3 % en février). Sur le marché interbancaire, les taux demeurent nettement au dessus du niveau de novembre dernier (0,34 % contre 0,22 % pour l'Euribor à 3 mois). Surtout, l'euro s'est installé au-dessus des 1,39 dollar, renforçant la tendance à la désinflation. Les anticipations d'inflation du marché restent faibles : 1,66 % à 10 ans, 1,22 % à 5 ans, même si la décrue semble freinée.

Echec de la stratégie d'attente

Bref, il faut bien l'admettre : la stratégie d'attente de la BCE a bel et bien échoué. Pire même : depuis le milieu du mois de mars, le Conseil des gouverneurs de la BCE a tenté de sauvegarder cette stratégie en faisant usage de l'arme orale. Jadis, cette arme eût sans doute fonctionné à plein. Cette fois, elle s'est avérée bien inefficace. Les propos sur l'euro de Mario Draghi, le feu vert de la Bundesbank allemande à une politique d'assouplissement quantitatif, le renforcement de la menace d'une action lors de la dernière conférence de presse n'ont eu qu'un effet faible et temporaire sur le marché des changes et, au final, un effet assez faible sur les anticipations d'inflation.

Les risques d'une « période durable de faible inflation »

Il faudrait donc agir. Car la situation peut en effet devenir préoccupante. Mario Draghi lui-même l'a dit en avril : s'il n'y a pas de menace directe de déflation, une « longue période » de faible inflation est tout aussi dangereuse. En coupant toute possibilité pour les entreprises européennes de fixer leurs prix, elle mettrait durablement en péril les marges des entreprises qui seraient contraintes alors de couper dans l'investissement et l'emploi. Dans un contexte de reprise au si fragile que celle de la zone euro, ce serait s'avancer à grand pas vers le gouffre déflationniste. Or, nous y sommes presque : l'inflation en zone euro est inférieure à 1 % depuis octobre dernier, depuis sept mois. Et désormais, la désinflation semble s'accélérer en Allemagne, la première économie de la zone euro. Depuis janvier, les taux d'inflation mensuelle en Allemagne sont compris entre 0 % et -0,2 %. La menace se rapproche donc.

Le QE est risqué, sans certitude d'être efficace

Pourtant, donc, la BCE devrait encore choisir l'attentisme ce 8 mai. Pourquoi ? D'abord parce qu'elle peine à trouver des outils efficaces pour agir. L'assouplissement quantitatif, le QE, est une méthode peu commode à utiliser. Comme le rappelait mardi à Bruxelles Jean-Claude Trichet, le prédécesseur de Mario Draghi, la BCE offre en théorie depuis 2007 aux banques de la zone euro un accès « illimité » à la liquidité. Comme le financement de l'économie en zone euro se fait largement par les banques, on peut considérer que ce « robinet » est l'équivalent du QE de la Fed qui, elle devait, agir sur le marché, qui finance l'économie américaine. Seulement voilà : les banques n'utilisent pas ce robinet. Un QE à l'américaine, avec rachat de titres souverains et d'obligations privées, risque donc de ne pas davantage améliorer le financement de l'économie. Au contraire, il pourrait alimenter des bulles spéculatives. Et lorsque l'on observe les résultats des placements du Portugal ou de la Grèce, on se dit que ces dernières ne sont peut-être pas si éloignées.

Financer directement les PME ?

La BCE pourrait aussi racheter des crédits aux PME ou même les financer comme cela s'est fait au Royaume-Uni ou en Hongrie. Mario Draghi aurait souhaité en passer par le rachat de crédits titrisés. Mais ce marché a disparu ou presque avec Lehman Brothers et les tentatives de relance de ce type d'instruments n'en sont qu'au stade des balbutiements. Au reste, au sein du Conseil des gouverneurs, certains, notamment la Buba, craignent que la BCE ne charge son bilan de mauvaises créances et n'alimente un foyer qui pourrait conduire à une inflation forte. Si la Buba est ouverte au QE, elle n'en veut pas à n'importe quel prix. Surtout qu'elle redoute une surchauffe de l'immobilier outre-Rhin.

Les rodomontades de la France interdisent toute action sur le marché des changes

La BCE pourrait alors intervenir sur le marché des changes. En affaiblissant l'euro, elle agirait sur la croissance des exportations, donc sur l'activité, et sur le renchérissement des importations. En théorie, l'effet sur l'inflation serait positif. Mais les dernières semaines ont montré que l'euro ne sera pas affaibli par de simples paroles ou des actions ponctuelles. Il faudrait une véritable politique de change. Or, de cela, la BCE ne veut pas et là encore, la Bundesbank a clairement lundi tracé une limite infranchissable. Il y a à ce refus des raisons théoriques (le « triangle d'incompatibilité » de Mundell qui indique, grosso modo, que l'on doit choisir, dans une économie ouverte, entre politique de change et maîtrise de l'inflation), mais aussi des raisons politiques. L'insistance du gouvernement français à demander cette action sur l'euro met en effet en jeu l'indépendance de la BCE. Agir sur l'euro pourrait être perçu comme une concession faite à Paris et le gouvernement Valls ne manquerait pas de s'en réjouir à grand renfort de communication. Là encore, la Bundesbank ne veut pas de cela - pas davantage qu'une BCE qui préfère sans doute l'inflation faible à toute impression de recul de son indépendance.

Les vraies raisons de la faible inflation : l'austérité

Mais surtout, quoi qu'elle fasse, la BCE n'est pas certaine d'être efficace en cas d'action. Le nœud du problème de la zone euro, c'est sa politique économique. Cette fameuse gouvernance que les gouvernements français ont tant appelée de leurs vœux et qui est désormais une réalité. Mais cette gouvernance, précisément, est déflationniste. Elle fait porter l'effort de tous les pays sur leur compétitivité externe, elle les conduit à dégager des excédents budgétaires et courants, à comprimer la demande intérieure, à se plier à des ajustements dont les effets sur les revenus et l'emploi sont durablement négatifs. Bref, cette gouvernance favorise naturellement l'inflation faible (et dans certains pays la déflation). Si l'accès des PME au crédit est difficile, c'est parce que la conjoncture - notamment intérieure - des pays de la zone euro demeure fragile et que les banques ne veulent pas prendre de risques. Si l'euro est si fort, c'est parce que la zone euro dégage un excédent courant de 2,6 % de son PIB en février 2014, contre 1,6 % un an plus tôt, précisément sous l'effet des politiques menées. Ces faits ne peuvent être effacés par des paroles.

Schizophrénie de la BCE

La BCE ne peut - et elle ne le veut pas davantage - modifier cet état de fait. D'une certaine façon, elle l'encourage même non seulement avec son soutien à ses politiques, mais aussi avec son « assurance », l'OMT, le programme de rachat illimité d'obligations souveraines, qui alimente tant la « bulle » sur les pays périphériques et donc la demande de titres en euros. Il y a donc une certaine schizophrénie dans la politique de la BCE qui se plaint de l'inflation faible, mais demande encore de l'austérité « pour renforcer le potentiel de croissance. » La solution pour sortir de ce cercle serait sans doute de modifier la politique économique des 18. Cela semble impossible. La zone euro étant ce qu'elle est, si elle veut vraiment agir, la BCE doit le faire avec force, à la mesure des tendances déflationnistes auxquelles la région est soumise depuis quatre ans. Une tâche difficile et risquée. On comprend qu'elle hésite.

Les observateurs estiment cependant une action possible en juin. Mais s'il s'agit, comme c'est probable, de demi-mesures comme la fin de la stérilisation du programme SMP (autrement dit l'arrêt de rachats sur les marchés), d'une baisse des taux de 0,15 point ou encore de mesures contestables comme le rachat de titres souverains, la zone euro sera encore loin d'être sortie d'affaire.