Les faux-semblants de la sortie du Portugal du "programme d'aide"

Par Romaric Godin  |   |  860  mots
Lisbonne s'est réveillée sans l'ombre de la troïka ce dimanche, mais pas sans l'austérité
Le Portugal a officiellement retrouvé son "autonomie" financière samedi. Mais le pays est loin d'être sorti de l'ornière.

Le Portugal s'est réveillé ce dimanche matin sans la troïka. Depuis ce samedi, le pays est officiellement « sorti » du plan d'aide financière de 78 milliards d'euros mise en place par l'Union européenne et le FMI en 2011. Il a donc officiellement retrouvé son « autonomie financière. »

Victoire pour le gouvernement

Cette « sortie » est une victoire pour le gouvernement de centre-droit de Pedro Passos Coelho qui a insisté pour ne pas réclamer de « rallonge » au Mécanisme européen de Stabilité (MES) afin de disposer d'un « filet de sécurité. » Mais cette « sortie » n'est qu'une façade. Derrière l'effet d'annonce se présente deux réalités moins réjouissantes : la poursuite nécessaire de l'austérité et le poids de la dette.

Austérité reste en place

Car si le « programme » est terminé et que désormais, la troïka ne viendra plus vérifier les comptes lusitaniens et donner ses directives au gouvernement, les « aides » accordées par l'Europe et le FMI vont devoir être remboursées. Le poids de la dette reste effrayant : 129 % du PIB. Pour maintenir la viabilité de son budget, pour rassurer les investisseurs et les Européens, le Portugal va donc devoir maintenir l'austérité en place. Le premier ministre l'a, du reste, prévenu dès samedi : « il faut maintenir la rigueur pour éviter de retomber dans les erreurs du passé. »

Une croissance fragile

On le voit donc, l'autonomie financière du Portugal sera toute relative, puisque sa politique ne changera pas réellement. Or, cette politique demeure extrêmement risquée, car la croissance portugaise est très instable, dépendante exclusivement d'exportations devenues attractives par la baisse du coût du travail. Le Portugal voit donc sa croissance ballotée au gré de l'évolution du commerce mondial et de sa position de compétitivité. Condamné à jouer sur l'effet prix, Lisbonne doit comprimer sa demande intérieure dans un pays déjà épuisé par l'austérité. Au premier trimestre 2014, le Portugal a ainsi vu son PIB se contracter à nouveau de 0,7 % suite à une chute des exportations.

La pauvreté progresse

Tout ceci rend difficile un vrai redressement durable du pays. L'effet du redressement de la compétitivité sur le reste de l'économie peine à se faire sentir. Si le chômage a reculé en 2013 de deux points, en revanche, la pauvreté reste préoccupante : 19 % de la population est en risque de pauvreté et 20 % de la population vit avec moins de 409 euros par mois. Bref, le Portugal doit encore construire un vrai modèle économique.

L'OMT comme vrai filet de sécurité

En théorie, pour vivre sans filet, Lisbonne devra trouver un équilibre précaire entre croissance et rigueur afin de maintenir la confiance des investisseurs. Mais en réalité, cette confiance est acquise au Portugal par l'effet « d'assurance » du programme (encore non utilisé) OMT de rachat illimité d'obligations souveraines de la BCE. Les marchés estiment désormais que la BCE assurera un certain niveau minimum aux obligations souveraines des pays de la zone euro, ce qui alimente l'appétit pour ces dernières, surtout, lorsque, comme c'est le cas du Portugal, elles ont des rendements intéressants. Le danger, ce serait évidemment que se créé une « bulle » sur ce type d'obligations et que les taux retrouvent des niveaux que la BCE n'assurerait pas. Par ailleurs, l'OMT est un outil fragile, soumis à une décision de la Cour de Justice de l'UE et au jugement très négatif de la Cour de Karlsruhe.

Le poids de la dette

Reste enfin la question du poids de la dette. Le remboursement des aides n'interviendra qu'à partir de 2020, ce qui va contraindre le pays à constituer des réserves ou à ajuster ses dépenses. Dans tous les cas, ce poids de la dette est une garantie de la poursuite de l'austérité. Certes, une forte croissance pourrait aider, mais il ne faut pas oublier que les conditions de cette croissance vont demeurer encore longtemps l'aspect bon marché de la production portugaise. Tout renchérissement des salaires, toute reprise inflationniste mettra ce modèle en danger. C'est aussi pourquoi le pays n'est pas à l'abri de la déflation alors même que les prix sont quasi stables. Bref, le Portugal est loin d'être sorti de l'ornière, malgré les cris de victoire du gouvernement et de la Commission européenne.  

Les partisans de l'austérité jubilent...

Evidemment, à une semaine des Européennes et alors que les partis au pouvoir au Portugal s'attendent à une nette défaite, les défenseurs de l'austérité ont salué cette sortie "propre" ("clean exit") comme une victoire. Jean-Claude Juncker, le candidat du PPE à la présidence de la Commission et président de l'Eurogroupe lors de la crise portugaise, était à Lisbonne samedi soir et il a "félicité" le pays. Klaus Regling, le président allemand du MES, en a fait de même. Cette nouvelle tombe à pic, en effet. Peut-être un peu trop. Un article du Financial Times de début mai révélait en effet que l'Allemagne et plusieurs autres pays "donneurs" avait "interdit" au MES de proposer un "filet de sécurité"...