Karlsruhe peut-il mettre l'union bancaire en danger ?

Par Romaric Godin  |   |  1308  mots
Les juges de la Cour constitutionnelle alleamnde devront se prononcer sur l'union bancaire.
L'union bancaire sera soumise à l'avis de la Cour constitutionnelle allemande. Un recours qui fragilise encore cette fragile construction.

L'Europe va donc de nouveau être suspendue à la décision des juges de Karlsruhe. L'association Europolis, dirigée par l'avocat berlinois Markus Kerber, a annoncé avoir déposé un recours devant la Cour fédérale constitutionnelle allemande contre l'application de l'union bancaire en Allemagne. Dans un premier temps, ce recours concerne le mécanisme de supervision unique (SSM) concentré dans les mains de la BCE. Mais Europolis a promis d'élargir le recours au mécanisme unique de résolution (SRM) dès qu'il sera juridiquement construit.

Pas d'union bancaire sans l'Allemagne

Quelles sont les chances que ce recours change réellement la physionomie de l'union bancaire ? Premier point : sans l'Allemagne, l'union bancaire n'a aucun sens. Autrement dit, sur ce sujet comme sur beaucoup d'autres, la voix du tribunal de Karlsruhe sera déterminante. L'union bancaire n'a d'autre sens que de mettre en place une solidarité - même minimale - entre les pays de la zone euro pour contrer le risque bancaire. Si la première économie de la zone euro refuse cette solidarité, alors l'édifice s'effondre - y compris la supervision unique dont la seule justification est de garantir le bon usage des fonds communs par une prévention commune.

Jusqu'ici, la Cour constitutionnelle est restée modérée

Mais alors, la Cour de Karlsruhe peut-elle prendre le risque de « censurer » la participation allemande à l'Union bancaire ? Certes, on peut constater que, depuis cinq ans, la Cour ne se prive pas de faire part de sa mauvaise humeur vis-à-vis de l'évolution de l'Union européenne, mais, jusqu'à présent, les juges en rouge n'ont jamais « osé » bloquer un mécanisme européen mis en place. Avec quelques aménagements, le Traité de Lisbonne et le MES ont pu voir le jour. La question de l'OMT a été transmise à la Cour de Justice de l'UE. Mais en réalité, on assiste à un vrai « durcissement » de Karlsruhe vis-à-vis de l'Europe.

Un durcissement évident

La preuve de ce durcissement a été apportée lorsque, en 2012, la Cour a demandé que le Bundestag s'exprime sur chacune des décisions du mécanisme européen de Stabilité (MES). Berlin a ainsi dû changer sa loi de ratification et prévoir que tout vote du représentant allemand au conseil d'administration du MES n'agisse qu'après le vote du parlement. C'était changer de façon importante, le fonctionnement du MES, donnant de facto un droit de veto au Bundestag qui n'est pas dans le traité. De même, sur l'OMT, la Cour ne s'est pas déclaré incompétente en transmettant le dossier à la Cour de Luxembourg. Elle a accompagné sa décision d'un vrai réquisitoire contre le programme de la BCE et a conservé la possibilité d'agir en ce qui concerne l'Allemagne si l'OMT était effectivement mis en place.

Karlsruhe pourrait montrer à bon compte sa détermination

Bref, à deux reprises, Karlsruhe a montré sa détermination à faire respecter sa lecture constitutionnelle des décisions européennes. L'union bancaire est particulièrement fragile de ce point de vue. A la différence du MES ou de l'OMT, il n'existe pas, pour le moment, de danger direct lié aux banques. L'union bancaire ne se mettra en place que lentement. Le mécanisme de résolution commencera à entrer en fonction progressivement l'an prochain et dissoudre la supervision unique n'est pas de nature à provoquer une crise immédiatement. Un échec de l'union bancaire serait sans doute un échec pour l'Europe, mais il serait moins dangereux que de mettre à bas l'OMT en 2013 ou le MES en 2012. Car si en rejetant MES et OMT, Karlsruhe risquait de déclencher une panique, il n'en sera pas de même avec l'union bancaire. Autrement dit, la pression sera moins forte sur Karlsruhe que lors de ses deux dernières décisions. Si elle veut donner la preuve de sa détermination, l'occasion peut être bonne.

Un abus de pouvoir ?

Reste le fond. Europolis appuie sa plainte sur deux piliers. Le premier : la supervision unique de la BCE n'est pas, selon l'association, prévue dans les traités. Ils y voient donc un abus de pouvoir, un dépassement des compétences de la BCE (acte « ultra vires » en latin juridique). Si elle y voit un tel acte, comme dans le cas de l'OMT, Karlsruhe pourrait alors demander à la CJUE de Luxembourg de se prononcer sur la légalité de cette mesure et sur la nécessité ou non de rédiger un traité européen, puisqu'il s'agit d'une question paneuropéenne. La CJUE devra alors estimer s'il y a acte ultra vires ou non. Si oui, il faudra en passer par un traité, ce qui est une procédure très risquée.

Une fédéralisation illégale ?

Mais cette transmission ne signifie pas que la Cour s'interdit de considérer que son application en Allemagne est légale. Elle peut estimer qu'il s'agit là d'une fédéralisation abusive. Lors de sa décision sur le Traité de Lisbonne en 2009, elle avait très strictement encadré les futurs transferts de compétences du niveau national vers le niveau européen en précisant que la loi fondamentale, la Constitution, ne permettait pas une simple inclusion de l'Etat allemand dans un « Etat fédéral européen. » Tout transfert de souveraineté doit donc s'accompagner d'un contrôle démocratique permanent au niveau national, via le Bundestag, organe de représentation de la volonté populaire. Mais comment soumettre la BCE à un contrôle du Bundestag ? Surtout que, à la différence du MES, l'Allemagne ne dispose pas d'un droit de veto au sein du directoire de la BCE... La seule solution sera alors de refuser l'inclusion de l'Allemagne dans la supervision unique.

Le mécanisme de résolution en danger ?

Le deuxième recours d'Europolis concerne le risque de « mutualisation » des risques contenu dans le mécanisme de résolution (SRM). Le 21 juin, l'Eurogroupe a indiqué que la participation du MES (soumise à la validation du Bundestag) sera limitée en tout à 60 milliards d'euros uniquement une fois que les banques en crise auront retrouvé un ratio de solvabilité Tier-1 de 4,5 %. Créanciers, déposants, fonds de résolution bancaire et Etat national concerné par la crise devront donc intervenir d'abord. A priori, une telle limitation - qui pose, comme le note le think tank britannique Open Europe un problème de crédibilité au système - est une garantie suffisante pour Karlsruhe qui a déjà posé un cadre au MES.

Un risque implicite ?

Mais cette solution ne règle pas tout. La question reste de savoir quoi faire une fois que les ressources du Fonds de résolution bancaire et du MES seront épuisés. L'Etat national concerné sera sans doute à genou et incapable de mettre plus sur la table. Que feront les autres Etats membres ? Dès lors qu'existe une supervision unique, toute crise bancaire concerne l'ensemble de la zone euro. En théorie, la mutualisation devra se poursuivre. Sauf que rien n'est prévu sur ce point, pas si impensable si l'on s'en réfère aux crises précédentes : il a fallu 135 milliards d'euros pour éponger les besoins des banques espagnoles, grecques, irlandaises et chypriotes et le bilan du secteur est de 34.000 milliards d'euros.

C'est sans doute ce que plaideront les opposants à Karlsruhe : l'union bancaire est un engrenage qui met en danger les finances publiques allemandes en apportant une garantie implicite du contribuable allemand à l'ensemble du secteur bancaire européen. Le Bundestag risque de perdre le contrôle du budget national, ce qui est anticonstitutionnel.

Nul ne sait comment réagira la Cour de Karlsruhe, mais ce qui est certain, c'est qu'elle a des éléments pour agir. Le recours est donc sérieux et fragilise encore un peu plus la construction baroque et bancale de l'union bancaire.