Pourquoi Paris commet une erreur en refusant de publier la lettre de Bruxelles

Par Romaric Godin  |   |  695  mots
José Manuel Barroso s'est irrité de la publication de la lettre par Matteo Renzi
L'Italie a publié la lettre de la Commission sur le budget, la France s'y refuse. Deux conceptions du pouvoir face à face.

Si l'on voulait prendre la mesure du « mal français », il serait peut-être bon de ne pas regarder que le niveau du déficit budgétaire. La différence de comportement entre les gouvernements français et italien autour de la lettre envoyée par la Commission européenne aux deux pays sur leurs budgets en dit bien plus long.

L'attitude de Matteo Renzi

A Rome, Matteo Renzi a immédiatement rendu publique cette lettre. Mieux même, il en a fait un argument politique. Face aux critiques de José Manuel Barroso quant à sa publication, il a proclamé que le temps des « lettres secrètes » était terminé et que, désormais, il entendait répliquer pied à pied. « Nous publierons toutes les dépenses des immeubles de Bruxelles et ce sera divertissant », a indiqué le président du Conseil italien en forme de provocation.

Le mouvement est politiquement assez bien joué : il place ainsi la Commission face à ses contradictions entre sa volonté affichée de soutenir la croissance et son application entêtée des règles budgétaires. Il tend aussi à Bruxelles le miroir peu flatteur d'une institution qui entend se cacher, procéder en secret sur un sujet qui représente le nec plus ultra de tout gouvernement représentatif, le budget national. Bref, il transfert le sentiment de culpabilité de Rome vers Bruxelles, ce qui lui permet d'assumer avec un certain panache les décisions contenues dans ce budget.

L'attitude française

A l'inverse, le gouvernement français se plie avec respect à la demande de confidentialité de la Commission. On garde la lettre par devers soi. Et on n'entend pas la publier. Les ministres se contentent d'en minimiser l'impact, mais il faut croire les ministres. Cette attitude a, évidemment, quelque chose de ridicule alors que l'on connaît la lettre à l'Italie. Mais cette différence de comportement est, en réalité, fort parlante. Engoncé dans ses protocoles monarchiques, le pouvoir français ne conçoit pas de briser une étiquette. Il préfère l'entre soi douillet des négociations à l'abri d'une escouade de gardes républicains. Derrière ce refus de la publication de la lettre de Bruxelles se dévoile cette réalité nue de la pratique politique française : la priorité doit être donnée avant tout à la protection du pouvoir.

Un pouvoir français incapable de décider

L'autre réalité qui ressort de cette affaire : c'est l'incapacité du pouvoir français à prendre des décisions. Publier cette lettre obligerait Paris à prendre position sur les critiques concrètes de la Commission. Elle l'obligerait à entrer ouvertement ou en résistance, ou en obéissance. Matteo Renzi a clairement repoussé les critiques  de Bruxelles, tout en cédant sur un ou deux points mineurs. Mais en France, on n'agit pas ainsi. On voudrait pouvoir obtenir ceci contre cela, discuter avec Berlin (que l'on songe au « 50/50 » d'Emmanuel Macron), négocier avec des arguments que l'on n'aimerait pas présenter au public. Bref, faire de la bonne vieille politique de chambre, celle qui a fini par détacher les citoyens non seulement de la politique française, mais aussi de la politique européenne.

Stratégie perdante

Evidemment, dans cette affaire, Paris fait fausse route. Si la France a décidé de tenir tête à la Commission, elle doit le faire en tentant de s'appuyer sur l'opinion publique. Elle doit jouer de son avantage démocratique et de ses arguments économiques pour mettre Bruxelles dans une position impossible à tenir. C'est ce qu'a réussi Matteo Renzi et c'est pourquoi José Manuel Barroso a si mal pris cette publication. Mais désormais Rome est en position de force, Paris est encore soumis à la chance des négociations secrètes.

Rien de nouveau. Depuis son élection en mai 2012, François Hollande a toujours choisi les combinazioni au niveau européen plutôt qu'une politique claire et il a toujours perdu à ce petit jeu face à la rigueur allemande. Il s'est enfermé dans cette pratique post-mitterrandienne du pouvoir qui, in fine, a affaibli la France. Et il semble que ni son « jeune » premier ministre, ni l'exemple italien ne le décide à changer cette stratégie perdante.