Grèce : Syriza l'emporte largement, mais n'a pas de majorité absolue

Par Romaric Godin  |   |  1403  mots
Alexis Tsipras pourrait devenir le nouveau premier ministre grec
Après le dépouillement de 99 % des bulletins,la coalition de la gauche radicale (Syriza), d'Alexis Tsipras obtiendrait 149 sièges, deux de moins que la majorité absolue. La formation d'un gouvernement s'annonce délicat, car les possibilités de coalition sont minces.

Selon les premières estimations, Syriza, la coalition de la gauche radicale, aurait obtenu une victoire éclatante ce 25 janvier lors des élections au parlement, la Vouli. Sur 99,8 % des bulletins de vote, Syriza obtient 36,34 % des voix, soit 149 sièges.  Il manque donc au parti d'Alexis Tsipras deux sièges pour obtenir la majorité absolue ! Ces résultats attribuaient aussi 77 sièges et 27,81 % des voix aux Conservateurs de Nouvelle Démocratie du premier ministre sortant Antonis Samaras. Derrière, les néo-nazis d'Aube Dorée arriveraient en troisième position avec 6,28 % et 17 députés. Viendraient ensuite les centristes du parti To Potami (la rivière), avec 6,05 % des voix et 16 élus, le parti communiste (KKE) avec un score de 5,47 % (15 élus), puis les Eurosceptiques de droite de l'ANEL (Grecs Indépendants) à 4,75 % (13 élus). Les Sociaux-démocrates du Pasok sont les derniers à entrer au parlement avec 4,68 % et 13 élus. La parti de l'ancien premier ministre George Papandréou, Kinima, échouerait, quant à lui, à franchir les 3 % nécessaires pour entrer à la Vouli. Il serait donné à 2,46 % des voix.

Les résultats complets sur le site du ministère de l'intérieur grec (en anglais)

Majorité absolue indispensable pour Syriza

Syriza rate donc son objectif principal d'un cheveu. Car si  la première place du parti de la gauche radicale ne faisait aucun doute puisque tous les sondages, depuis plusieurs mois le mettait devant Nouvelle Démocratie, la question de la majorité absolue est centrale dans la mesure où Syriza ne dispose guère d'alliés possibles dans le paysage politique grec. En pouvant gouverner seul, Alexis Tsipras aurait reçu un mandat clair du peuple grec. Un mandat qu'il aurait pu afficher devant ses partenaires européens dans les futures négociations qui s'annoncent très tendues, notamment sur la poursuite des mesures d'austérité et la restructuration de la dette.

Avec qui s'allier ?

Syriza va donc devoir trouver des alliés. Ce sera chose difficile. Impossible de compter sur une "grande coalition" avec Nouvelle Démocratie, ce serait abdiquer tous son programme électoral. Une alliance avec l'Aube Dorée est inimaginable et le KKE fait de Syriza un "ennemi de classe" qu'il entend combattre. Son secrétaire général, Dimitris Koutsoumbas, a ainsi estimé que la victoire de Syriza était le fruit de "faux espoirs." Reste donc trois options pour Alexis Tsipras : To Potami, le Pasok et l'ANEL. Le président du Pasok, Evangelios Venizelos, avait indiqué être prêt à parler avec Alexis Tsipras, mais sur quels critères ? Et une alliance avec un Pasok déclassé qui a été pendant deux ans la rustine de Nouvelle Démocratie est-elle possible ? Pas sûr. L'ANEL est un parti de droite, très opposé à l'UE, le mariage avec Syriza sera très délicat. Mais dimanche soir, son leader, Panos Kammenos, a indiqué qu'il "soutiendra les efforts pour soutenir le changement politique dans ce pays."

Reste To Potami. Ce parti est un nouveau venu. C'est un parti centriste, formé de déçus du Pasok. Son fondateur, l'ancien journaliste Stavros Theodorakis, a une conception très élastique des poltiiques à mener. Ce dimanche, il a précisé être ouvert à des discussions avec Syriza si le parti s'engageait à ne pas faire de "coup de force" vis-à-vis des Européens. Dimanche soir, il s'est dit prêt à éviter une nouvelle élection. Ce pourrait être une possibilité pour Alexis Tsipras, même si les deux formations sont très lointaines l'une de l'autre. Dans tous les cas, Syriza devra accepter des compromis pour construire une coalition. Malgré sa victoire de ce dimanche soir, Syriza risque donc de devoir prendre le risque rapidement de décevoir. Ou de jouer la politique du pire en acceptant un nouveau scrutin.

Une nouvelle élection dans un mois ?

Car en cas d'échec des négociations, on retournera vite aux urnes, comme en 2012. Avec une différence : il faudra élire un président de la République et Syriza le peut avec une simple majorité relative désormais. Dans ce cas, que décideront les électeurs ? De confirmer la victoire de Syriza ou de le sanctionner ? Nul ne le sait. L'ennui, c'est que l'Etat grec aura, en attendant, du mal à finir ses fins de mois. A noter cependant qu'en Grèce, les appartenances sont parfois mouvantes (15 députés avaient quitté leurs groupes entre 2012 et 2014), ce qui laisse une marge de manoeuvre à Syriza s'il manque quelques sièges. Par ailleurs, peu de partis ont, aujourd'hui, intérêt à ce que l'on retourne aux urnes dans un mois. A noter également qu'aucune majorité alternative n'existe vraiment dans ce scénario. Pour contrer Syriza, il faudrait que tous les partis s'allient, ce qui n'est pas envisageable. Ce sera donc Alexis Tsipras premier ministre ou de nouvelles élections.

La mauvaise campagne d'Antonis Samaras

Reste que Syriza l'a emporté et largement. Seuls le parti d'Alexis Tsipras et le KKE ont progressé par rapport à juin 2012. Pour Syriza, la hausse frôle les dix points. Pourquoi ? Il y a évidemment un rejet évident des politiques menées depuis 2010 dans le pays et à qui le peuple grec avait, en 2012, redonné leur chance de justesse. Mais il y a aussi un premier ministre, Antonis Samaras, qui a multiplié les erreurs et les incapacités. Sa campagne centrée sur la « peur du rouge », la défense contre l'immigration et un programme économique assez léger n'a pas pu convaincre des Grecs qui ont pu mesurer également qu'il ne savait guère se faire entendre auprès de la troïka. Ainsi n'a-t-il pas su faire rouvrir le dossier de la restructuration de la dette - comme les Européens l'avaient promis en 2012 si la Grèce dégageait un excédent primaire. Il n'a pas su davantage rendre crédible le retour sur les marchés et la sortie du plan d'aide à l'automne dernier. Enfin, sa gestion de l'élection présidentielle où il a présenté un candidat de « son » camp, ancien commissaire européen, bien peu à même de réaliser un consensus au sein du pays, n'a pas non plus été très heureuse.

Pourquoi Syriza a gagné

A l'inverse, Alexis Tsipras a fait une campagne où il a combattu la peur et prôné l'action. En se montrant ferme face aux Européens, il a ouvert une voie que bien des Grecs pensaient fermée. Surtout, celui qui en 2009 n'était que le leader d'un petit parti d'extrême-gauche allié à d'autres au sein de Syriza, a su se montrer modéré, affirmant sa volonté de maintenir des finances publiques saines et de rester dans la zone euro. Il a incarné le changement face à un bipolarisme usé et qui a trempé depuis 1974 dans toutes les corruptions et dans toutes les collusions. Les anciens électeurs du Pasok y ont retrouvé tout ce que leur parti, soumis à la discipline imposée par l'Europe, a perdu. Beaucoup, y compris à droite, y ont vu un vrai moyen de réellement réformer la Grèce en la débarrassant de cette oligarchie économique paralysante que les « réformes » européennes n'ont pas atteintes.  L'erreur de l'Europe a été de croire que les partis traditionnels qui avaient construit le système pouvaient le changer. Les Grecs, eux, n'y croyaient plus.

Et l'Europe ?

A présent, l'enjeu va devenir européen. Syriza, s'il peut constituer un gouvernement va sans doute demander une poursuite pour six mois du plan d'aide européen afin de pouvoir faire face à certaines échéances, notamment le remboursement de 6 milliards d'euros dues à des obligations d'Etat détenues par la BCE. Ce temps devrait être utilisé pour renégocier le poids de la dette dans l'économie grecque et la mise en place d'un changement de politique économique, notamment un « plan humanitaire. » Syriza veut donc imposer des discussions que les Européens ont toujours refusées jusqu'ici. L'accepteront-ils cette fois compte-tenu du mandat populaire accordé à Alexis Tsipras ? Rien n'est moins sûr. A Berlin, à Francfort ou à Bruxelles, on refuse toujours le principe d'une nouvelle restructuration impliquant de la dette détenue par des Etats ou des institutions européennes. Déjà le patron de la Bundesbank Jens Weidmann a entonné dimanche soir l'hymne des réformes. Les prochaines semaines risquent de s'avérer délicates. Mais le nouveau gouvernement grec sait aussi que nul en Europe n'a intérêt à voir un pays quitter la zone euro et prouver ainsi que l'euro n'est pas « un processus irréversible. »